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– Chicot, un de nos bons ouvriers, répondit le maître-porion. Il a trois enfants... Pauvre bougre !

Le docteur Vanderhaghen demanda le transport immédiat de Jeanlin chez ses parents.

Six heures sonnaient, le crépuscule tombait déjà, on ferait bien de transporter aussi le cadavre ; et l’ingénieur donna des ordres pour qu’on attelât le fourgon et qu’on apportât un brancard. L’enfant blessé fut mis sur le brancard, pendant qu’on emballait dans le fourgon le matelas et le mort.

À la porte, des herscheuses stationnaient toujours, causant avec des mineurs qui s’attardaient, pour voir. Lorsque la chambre des porions se rouvrit, un silence régna dans le groupe. Et il se forma un nouveau cortège, le fourgon devant, le brancard derrière, puis la queue du monde. On quitta le carreau de la mine, 370

on monta lentement la route en pente du coron.

Les premiers froids de novembre avaient dénudé l’immense plaine, une nuit lente l’ensevelissait, comme un linceul tombé du ciel livide.

Étienne, alors, conseilla tout bas à Maheu d’envoyer Catherine prévenir la Maheude, pour amortir le coup. Le père, qui suivait le brancard, l’air assommé, consentit d’un signe ; et la jeune fille partit en courant, car on arrivait. Mais déjà le fourgon, cette boîte sombre bien connue, était signalé. Des femmes sortaient follement sur les trottoirs, trois ou quatre galopaient d’angoisse, sans bonnet. Bientôt, elles furent trente, puis cinquante, toutes étranglées de la même terreur. Il y avait donc un mort ? qui était-ce ? L’histoire racontée par Levaque, après les avoir rassurées toutes, les jetait maintenant à une exagération de cauchemar : ce n’était plus un homme, c’étaient dix qui avaient péri, et que le fourgon allait ramener ainsi, un à un.

Catherine avait trouvé sa mère agitée d’une pressentiment ; et, dès les premiers mots balbutiés, celle-ci cria :

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– Le père est mort !

Vainement, la jeune fille protestait, parlait de Jeanlin. Sans entendre, la Maheude s’était élancée. Et, en voyant le fourgon qui débouchait devant l’église, elle avait défailli, toute pâle. Sur les portes, des femmes, muettes de saisissement, allongeaient le cou, tandis que d’autres suivaient, tremblantes à l’idée de savoir devant quelle maison s’arrêterait le cortège.

La voiture passa ; et, derrière, la Maheude aperçut Maheu qui accompagnait le brancard.

Alors, quand on eut posé ce brancard à sa porte, quand elle vit Jeanlin vivant, avec ses jambes cassées, il y eut en elle une si brusque réaction, qu’elle étouffa de colère, bégayant sans larmes :

– C’est tout ça ! On nous estropie les petits, maintenant !... Les deux jambes, mon Dieu !

Qu’est-ce qu’on veut que j’en fasse ?

– Tais-toi donc ! dit le docteur Vanderhaghen, qui avait suivi pour panser Jeanlin. Aimerais-tu mieux qu’il fût resté là-bas ?

Mais la Maheude s’emportait davantage, au 372

milieu des larmes d’Alzire, de Lénore et d’Henri.

Tout en aidant à monter le blessé et en donnant au docteur ce dont il avait besoin, elle injuriait le sort, elle demandait où l’on voulait qu’elle trouvât de l’argent pour nourrir des infirmes. Le vieux ne suffisait donc pas, voilà que le gamin, lui aussi, perdait les pieds ! Et elle ne cessait point, pendant que d’autres cris, des lamentations déchirantes, sortaient d’une maison voisine : c’étaient la femme et les enfants de Chicot qui pleuraient sur le corps. Il faisait nuit noire, les mineurs exténués mangeaient enfin leur soupe, dans le coron tombé à un morne silence, traversé seulement de ces grands cris.

Trois semaines se passèrent. On avait pu éviter l’amputation, Jeanlin conserverait ses deux jambes, mais il resterait boiteux. Après une enquête, la Compagnie s’était résignée à donner un secours de cinquante francs. En outre, elle avait promis de chercher pour le petit infirme, dès qu’il serait rétabli, un emploi au jour. Ce n’en était pas moins une aggravation de misère, car le père avait reçu une telle secousse qu’il en fut malade d’une grosse fièvre.

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Depuis le jeudi, Maheu retournait à la fosse, et l’on était au dimanche. Le soir, Étienne causa de la date prochaine du 1er décembre, préoccupé de savoir si la Compagnie exécuterait sa menace. On veilla jusqu’à dix heures, en attendant Catherine, qui devait s’attarder avec Chaval. Mais elle ne rentra pas. La Maheude ferma furieusement la porte au verrou, sans une parole. Étienne fut long à s’endormir, inquiet de ce lit vide, où Alzire tenait si peu de place.

Le lendemain, toujours personne ; et, l’après-midi seulement, au retour de la fosse, les Maheu apprirent que Chaval gardait Catherine. Il lui faisait des scènes si abominables qu’elle s’était décidée à se mettre avec lui. Pour éviter les reproches, il avait quitté brusquement le Voreux, il venait d’être embauché à Jean-Bart, le puits de monsieur Deneulin, où elle le suivait comme herscheuse. Du reste, le nouveau ménage continuait à habiter Montsou, chez Piquette.

Maheu, d’abord, parla d’aller gifler l’homme et de ramener sa fille coups de pied dans le derrière. Puis, il eut un geste résigné : à quoi 374

bon ? ça tournait toujours comme ça, on n’empêchait pas les filles de se coller quand elles en avaient l’envie. Il valait mieux attendre tranquillement le mariage. Mais la Maheude ne prenait pas si bien les choses.

– Est-ce que je l’ai battue, quand elle a eu ce Chaval ? criait-elle à Étienne, qui l’écoutait, silencieux, très pâle. Voyons, répondez ! vous qui êtes un homme raisonnable... Nous l’avons laissée libre, n’est-ce pas ? parce que, mon Dieu !

toutes passent par là. Ainsi, moi, j’étais grosse, quand le père m’a épousée. Mais je n’ai pas filé de chez mes parents, jamais je n’aurais fait la saleté de porter avant l’âge l’argent de mes journées à un homme qui n’en avait pas besoin...

Ah ! c’est dégoûtant, voyez-vous ! On en arrivera à ne plus faire d’enfants.

Et, comme Étienne ne répondait toujours que par des hochements de tête, elle insista.

– Une fille qui allait tous les soirs où elle voulait ! Qu’a-t-elle donc dans la peau ? Ne pas pouvoir attendre que je la marie, après qu’elle nous aurait aidés à sortir du pétrin ! Hein ? c’était 375

naturel, on a une fille pour qu’elle travaille...

Mais voilà, nous avons été trop bons, nous n’aurions pas dû lui permettre de se distraire avec un homme. On leur en accorde un bout, et elles en prennent long comme ça.

Alzire approuvait de la tête. Lénore et Henri, saisis de cet orage, pleuraient tout bas, tandis que la mère, maintenant, énumérait leurs malheurs : d’abord, Zacharie qu’il avait fallu marier ; puis, le vieux Bonnemort qui était là, sur sa chaise, avec ses pieds tordus ; puis, Jeanlin qui ne pourrait quitter la chambre avant dix jours, les os mal recollés ; et, enfin, le dernier coup, cette garce de Catherine partie avec un homme ! Toute la famille se cassait. Il ne restait que le père à la fosse. Comment vivre, sept personnes, sans compter Estelle, sur les trois francs du père ?

Autant se jeter en chœur dans le canal.

– Ça n’avance à rien que tu te ronges, dit Maheu d’une voix sourde. Nous ne sommes pas au bout peut-être.

Étienne, qui regardait fixement les dalles, leva la tête et murmura, les yeux perdus dans une 376

vision d’avenir :

– Ah ! il est temps, il est temps !

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Quatrième partie

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I

Ce lundi-là, les Hennebeau avaient à déjeuner les Grégoire et leur fille Cécile. C’était toute une partie projetée : en sortant de table, Paul Négrel devait faire visiter à ces dames une fosse, Saint-Thomas, qu’on réinstallait avec luxe. Mais il n’y avait là qu’un aimable prétexte, cette partie était une invention de madame Hennebeau, pour hâter le mariage de Cécile et de Paul.

Et, brusquement, ce lundi même, à quatre heures du matin, la grève venait d’éclater.

Lorsque, le 1er décembre, la Compagnie avait appliqué son nouveau système de salaire, les mineurs étaient restés calmes. À la fin de la quinzaine, le jour de la paie, pas un n’avait fait la moindre réclamation. Tout le personnel, depuis le directeur jusqu’au dernier des surveillants, croyait le tarif accepté ; et la surprise était grande, depuis le matin, devant cette déclaration de 379

guerre, d’une tactique et d’un ensemble qui semblaient indiquer une direction énergique.

À cinq heures, Dansaert réveilla monsieur Hennebeau pour l’avertir que pas un homme n’était descendu au Voreux. Le coron des Deux-Cent-Quarante, qu’il avait traversé, dormait profondément, fenêtres et portes closes. Et, dès que le directeur eut sauté du lit, les yeux gros encore de sommeil, il fut accablé : de quart d’heure en quart d’heure, des messagers accouraient, des dépêches tombaient sur son bureau, dru comme grêle. D’abord, il espéra que la révolte se limitait au Voreux ; mais les nouvelles devenaient plus graves à chaque minute : c’était Mirou, c’était Crèvecœur, c’était Madeleine, où il n’avait paru que les palefreniers ; c’étaient la Victoire et Feutry-Cantel, les deux fosses les mieux disciplinées, dans lesquelles la descente se trouvait réduite d’un tiers ; Saint-Thomas seul avait son monde au complet et semblait demeurer en dehors du mouvement. Jusqu’à neuf heures, il dicta les dépêches, télégraphiant de tous côtés, au préfet de Lille, aux régisseurs de la Compagnie, 380

prévenant les autorités, demandant des ordres. Il avait envoyé Négrel faire le tour des fosses voisines, pour avoir des renseignements précis.

Tout d’un coup, monsieur Hennebeau songea au déjeuner ; et il allait envoyer le cocher avertir les Grégoire que la partie était remise, lorsqu’une hésitation, un manque de volonté l’arrêta, lui qui venait, en quelques phrases brèves, de préparer militairement son champ de bataille. Il monta chez madame Hennebeau, qu’une femme de chambre achevait de coiffer, dans son cabinet de toilette.

– Ah ! ils sont en grève, dit-elle tranquillement, lorsqu’il l’eut consultée. Eh bien, qu’est-ce que cela nous fait ?... Nous n’allons point cesser de manger, n’est-ce pas ?

Are sens