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– C’est un cône inaccessible !

– J’irai.

– C’est un cratère béant, enflammé !

– J’irai.

L’énergique conviction avec laquelle Hatteras prononça ces derniers mots ne peut se rendre. Ses amis étaient stupéfaits ; ils regardaient avec terreur la montagne qui balançait dans l’air son panache de flammes.

Le docteur reprit alors la parole ; il insista ; il pressa Hatteras de renoncer à son projet ; il dit tout ce que son cœur put imaginer, depuis l’humble prière jusqu’aux menaces amicales ; mais il n’obtint rien sur l’âme nerveuse du capitaine, pris d’une sorte de folie qu’on pourrait nommer « la folie polaire ».

Il n’y avait plus que les moyens violents pour arrêter cet insensé, qui courait à sa perte. Mais, prévoyant qu’ils amèneraient des désordres graves, le docteur ne voulut les employer qu’à la dernière extrémité.

Il espérait d’ailleurs que des impossibilités physiques, des obstacles infranchissables, arrêteraient Hatteras dans l’exécution de son projet.

– Puisqu’il en est ainsi, dit-il, nous vous suivrons.

– Oui, répondit le capitaine, jusqu’à mi-côte de la montagne ! Pas plus loin ! Ne faut-il pas que vous rapportiez en Angleterre le double du procès-verbal qui atteste notre découverte, si… ?

– Pourtant !…

– C’est décidé, répondit Hatteras d’un ton inébranlable, et, puisque les prières de l’ami ne suffisent pas, le capitaine commande.

Le docteur ne voulut pas insister plus longtemps, et quelques instants après, la petite troupe, équipée pour une ascension difficile, et précédée de Duk, se mit en marche.

Le ciel resplendissait. Le thermomètre marquait cinquante-deux degrés (+ 11° centigrades). L’atmosphère s’imprégnait largement de la clarté particulière à ce haut degré de latitude. Il était huit heures du matin.

Hatteras prit les devants avec son brave chien ; Bell et Altamont, le docteur et Johnson le suivirent de près.

– J’ai peur, dit Johnson.

– Non, non, il n’y a rien à craindre, répondit le docteur, nous sommes là.

Quel singulier îlot, et comment rendre sa physionomie particulière, qui était l’imprévu, la nouveauté, la jeunesse ! Ce volcan ne paraissait pas vieux, et des géologues auraient pu indiquer une date récente à sa formation.

Les rochers, cramponnés les uns aux autres, ne se maintenaient que par un miracle d’équilibre. La montagne n’était, à vrai dire, qu’un amoncellement de pierres tombées de haut. Pas de terre, pas la moindre mousse, pas le plus maigre lichen, pas de trace de végétation. L’acide carbonique, vomi par le cratère, n’avait encore eu le temps de s’unir ni à l’hydrogène de l’eau, ni à l’ammoniaque des nuages, pour former, sous l’action de la lumière, les matières organisées.

Cette île, perdue en mer, n’était due qu’à l’agrégation successive des déjections volcaniques ; c’est ainsi que plusieurs montagnes du globe se sont formées ; ce qu’elles ont rejeté de leur sein a suffi à les construire. Tel l’Etna, qui a déjà vomi un volume de lave plus considérable que sa masse elle-même ; tel encore le Monte-Nuovo, près de Naples, engendré par des scories dans le court espace de quarante-huit heures.

Cet amas de roches dont se composait l’île de la Reine était évidemment sorti des entrailles de la terre ; il avait au plus haut degré le caractère plutonien. À sa place s’étendait autrefois la mer immense, formée, dès les premiers jours, par la condensation des vapeurs d’eau sur le globe refroidi ; mais, à mesure que les volcans de l’ancien et du nouveau monde s’éteignirent ou, pour mieux dire, se bouchèrent, ils durent être remplacés par de nouveaux cratères ignivomes.

En effet, on peut assimiler la terre à une vaste chaudière sphéroïdale. Là, sous l’influence du feu central, s’engendrent des quantités immenses de vapeurs emmagasinées à une tension de milliers d’atmosphères, et qui feraient sauter le globe sans les soupapes de sûreté ménagées à l’extérieur.

Ces soupapes sont les volcans ; quand l’une se ferme, l’autre s’ouvre, et, à l’endroit des pôles, où, sans doute par suite de l’aplatissement, l’écorce terrestre est moins épaisse, il n’est pas étonnant qu’un volcan se soit inopinément formé par le soulèvement du massif au-dessus des flots.

Le docteur, tout en suivant Hatteras, remarquait ces étranges particularités ; son pied foulait un tuf volcanique et des dépôts ponceux faits de scories, de cendres, de roches éruptives, semblables aux syénites et aux granits de l’Islande.

Mais, s’il attribuait à l’îlot une origine presque moderne, c’est que le terrain sédimentaire n’avait pas encore eu le temps de s’y former.

L’eau manquait aussi. Si l’île de la Reine eût compté plusieurs siècles d’existence, des sources thermales auraient jailli de son sein, comme aux environs des volcans. Or, non seulement on n’y trouvait pas une molécule liquide, mais les vapeurs qui s’élevaient des ruisseaux de laves semblaient être absolument anhydres.

Ainsi, cette île était de formation récente, et telle elle apparut un jour, telle elle pouvait disparaître un autre, et s’immerger de nouveau au fond de l’Océan.

À mesure que l’on s’élevait, l’ascension devenait de plus en plus difficile ; les flancs de la montagne se rapprochaient de la perpendiculaire, et il fallait prendre de grandes précautions pour éviter les éboulements. Souvent des colonnes de cendres se tordaient autour des voyageurs et menaçaient de les asphyxier, ou des torrents de lave leur barraient le passage. Sur quelques surfaces horizontales, les ruisseaux, refroidis et solidifiés à la partie supérieure, laissaient sous leur croûte durcie la lave s’écouler en bouillonnant. Chacun devait donc sonder pour éviter d’être plongé tout à coup dans ces matières en fusion.

De temps en temps, le cratère vomissait des quartiers de roches rougies au sein des gaz enflammés ; quelques-unes de ces masses éclataient dans l’air comme des bombes, et leurs débris se dispersaient dans toutes les directions à d’énormes distances.

On conçoit de quels dangers innombrables cette ascension de la montagne était entourée, et combien il fallait être fou pour la tenter.

Cependant Hatteras montait avec une agilité surprenante, et, dédaignant le secours de son bâton ferré, il gravissait sans hésiter les pentes les plus raides.

Il arriva bientôt à un rocher circulaire, sorte de plateau de dix pieds de largeur environ ; un fleuve incandescent l’entourait, après s’être bifurqué à l’arête d’un roc supérieur, et ne laissait qu’un passage étroit par lequel Hatteras se glissa audacieusement.

Là, il s’arrêta, et ses compagnons purent le rejoindre. Alors il sembla mesurer du regard l’intervalle qui lui restait à franchir ; horizontalement, il ne se trouvait pas à plus de cent toises du cratère, c’est-à-dire du point mathématique du pôle ; mais, verticalement, c’était encore plus de quinze cents pieds à gravir.

L’ascension durait déjà depuis trois heures ; Hatteras ne semblait pas fatigué ; ses compagnons se trouvaient au bout de leurs forces.

Le sommet du volcan paraissait être inaccessible. Le docteur résolut d’empêcher à tout prix Hatteras de s’élever plus haut. Il essaya d’abord de le prendre par la douceur, mais l’exaltation du capitaine allait jusqu’au délire ; pendant la route, il avait donné tous les signes d’une folie croissante, et qui l’a connu, qui l’a suivi dans les phases diverses de son existence, ne peut en être surpris. À mesure qu’Hatteras s’élevait au-dessus de l’Océan, sa surexcitation s’accroissait ; il ne vivait plus dans la région des hommes ; il croyait grandir avec la montagne elle-même.

– Hatteras, lui dit le docteur, assez ! nous n’en pouvons plus.

– Demeurez donc, répondit le capitaine d’une voix étrange ; j’irai plus haut !

– Non ! ce que vous faites est inutile ! vous êtes ici au pôle du monde !

– Non ! non ! plus haut !

– Mon ami ! c’est moi qui vous parle, le docteur Clawbonny. Ne me reconnaissez-vous pas ?

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