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Cependant les autres matelots se taisaient.

– Eh bien, moi, reprit Clifton, je vous dis que si vous faites les incrédules, il y a à bord des gens plus savants que vous qui ne paraissent pas si rassurés.

– Veux-tu parler du commandant ? demanda Bolton.

– Oui, du commandant et du docteur.

– Et tu prétends qu’ils sont de ton avis ?

– Je les ai entendus discuter la chose, et j’affirme qu’ils n’y comprenaient rien ; ils faisaient mille suppositions qui ne les avançaient guère.

– Et ils parlaient du chien comme tu le fais, Clifton ? demanda le charpentier.

– S’ils ne parlaient pas du chien, répondit Clifton mis au pied du mur, ils parlaient du capitaine, ce qui est la même chose, et ils avouaient que tout cela n’est pas naturel.

– Eh bien, mes amis, reprit Bell, voulez-vous avoir mon opinion ?

– Parlez ! parlez ! fit-on de toutes parts.

– C’est qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura pas d’autre capitaine que Richard Shandon.

– Et la lettre ? fit Clifton.

– La lettre existe réellement, répondit Bell ; il est parfaitement exact qu’un inconnu a armé le Forward pour un voyage dans les glaces ; mais le navire une fois parti, personne ne viendra plus à bord.

– Enfin, demanda Bolton, où ira-t-il, le navire ?

– Je n’en sais rien ; à un moment donné, Richard Shandon recevra le complément de ses instructions.

– Mais par qui ?

– Par qui ?

– Oui, comment ? dit Bolton qui devenait pressant.

– Allons, Bell, une réponse, dirent les autres matelots.

– Par qui ? comment ? Eh ! je n’en sais rien, répliqua le charpentier, embarrassé à son tour.

– Eh, par le captain-dog ! s’écria Clifton. Il a déjà écrit une première fois, il peut bien écrire une seconde. Oh ! si je savais seulement la moitié de ce que sait cet animal-là, je ne serais pas embarrassé d’être premier lord de l’Amirauté.

– Ainsi, reprit Bolton pour conclure, tu t’en tiens à ton dire, que ce chien-là est le capitaine ?

– Oui, comme je l’ai dit.

– Eh bien, dit Pen d’une voix sourde, si cet animal-là ne veut pas crever dans la peau d’un chien, il n’a qu’à se dépêcher de devenir un homme ; car, foi de Pen, je lui ferai son affaire.

– Et pourquoi cela ? demanda Garry.

– Parce que cela me plaît, répondit brutalement Pen ; et je n’ai de compte à rendre à personne.

– Assez causé, les enfants, cria maître Johnson en intervenant au moment où la conversation semblait devoir mal tourner ; à l’ouvrage, et que ces scies soient installées plus vite que cela ! Il faut franchir la banquise !

– Bon ! un vendredi ! répondit Clifton en haussant les épaules. Vous verrez qu’on ne passe pas si facilement le cercle polaire !

Quoi qu’il en soit, les efforts de l’équipage furent à peu près impuissants pendant cette journée. Le Forward, lancé à toute vapeur contre les ice-fields, ne parvint pas à les séparer ; on fut obligé de s’ancrer pendant la nuit.

Le samedi, la température s’abaissa encore sous l’influence d’un vent de l’est ; le temps se mit au clair, et le regard put s’étendre au loin sur ces plaines blanches que la réflexion des rayons solaires rendait éblouissantes. À sept heures du matin, le thermomètre accusait huit degrés au-dessus de zéro (-22° centigrades).

Le docteur était tenté de rester tranquillement dans sa cabine à relire des voyages arctiques ; mais il se demanda, suivant son habitude, ce qui lui serait le plus désagréable à faire en ce moment. Il se répondit que monter sur le pont par cette température, et aider les hommes dans la manœuvre, n’avait rien de très réjouissant. Donc, fidèle à sa règle de conduite, il quitta sa cabine si bien chauffée et vint contribuer au halage du navire. Il avait bonne figure avec les lunettes vertes au moyen desquelles il préservait ses yeux contre la morsure des rayons réfléchis, et dans ses observations futures il eut toujours soin de se servir de snow-spectacles[28] pour éviter les ophtalmies très fréquentes sous cette latitude élevée.

Vers le soir, le Forward avait gagné plusieurs milles dans le nord, grâce à l’activité des hommes et à l’habileté de Shandon, adroit à profiter de toutes les circonstances favorables ; à minuit, il dépassait le soixante-sixième parallèle, et la sonde ayant rapporté vingt-trois brasses de profondeur, Shandon reconnut qu’il se trouvait sur le bas-fond où toucha le Victory, vaisseau de Sa Majesté. La terre s’approchait à trente milles dans l’est.

Mais alors la masse des glaces, immobile jusqu’alors, se divisa et se mit en mouvement ; les ice-bergs semblaient surgir de tous les points de l’horizon ; le brick se trouvait engagé dans une série d’écueils mouvants dont la force d’écrasement est irrésistible ; la manœuvre devint assez difficile pour que Garry, le meilleur timonier, prît la barre ; les montagnes tendaient à se refermer derrière le brick ; il fut donc nécessaire de traverser cette flotte de glaces, et la prudence autant que le devoir commandait de se porter en avant. Les difficultés s’accroissaient de l’impossibilité où se trouvait Shandon de constater la direction du navire au milieu de ces points changeants, qui se déplaçaient et n’offraient aucune perspective stable.

Les hommes de l’équipage furent divisés en deux bordées de tribord et de bâbord ; chacun d’eux, armé d’une longue perche garnie d’une pointe de fer, repoussait les glaçons trop menaçants. Bientôt le Forward entra dans une passe si étroite, entre deux blocs élevés, que l’extrémité de ses vergues froissa ces murailles aussi dures que le roc ; peu à peu il s’engagea dans une vallée sinueuse remplie du tourbillon des neiges, tandis que les glaces flottantes se heurtaient et se brisaient avec de sinistres craquements.

Mais il fut bientôt constant que cette gorge était sans issue ; un énorme bloc, engagé dans ce chenal, dérivait rapidement sur le Forward ; il parut impossible de l’éviter, impossible également de revenir en arrière sur un chemin déjà obstrué.

Shandon, Johnson, debout à l’avant du brick, considéraient leur position. Shandon, de la main droite, indiquait au timonier la direction à suivre, et de la main gauche il transmettait à James Wall, posté près de l’ingénieur, ses ordres pour manœuvrer la machine.

– Comment cela va-t-il finir ? demanda le docteur à Johnson.

– Comme il plaira à Dieu, répondit le maître d’équipage.

Le bloc de glace, haut de cent pieds, ne se trouvait plus qu’à une encablure du Forward, et menaçait de le broyer sous lui.

– Malheur et malédiction ! s’écria Pen avec un effroyable juron.

– Silence ! s’écria une voix qu’il fut impossible de distinguer au milieu de l’ouragan.

Le bloc parut se précipiter sur le brick, et il y eut un indéfinissable moment d’angoisses ; les hommes, abandonnant leurs perches, refluèrent sur l’arrière en dépit des ordres de Shandon.

Soudain un bruit effroyable se fit entendre ; une véritable trombe d’eau tomba sur le pont du navire, que soulevait une vague énorme. L’équipage jeta un cri de terreur, tandis que Garry, ferme à sa barre, maintint le Forward en bonne voie, malgré son effrayante embardée.

Et lorsque les regards épouvantés se portèrent vers la montagne de glace, celle-ci avait disparu ; la passe était libre, et au delà, un long canal, éclairé par les rayons obliques du soleil, permettait au brick de poursuivre sa route.

– Eh bien, monsieur Clawbonny, dit Johnson, m’expliquerez-vous ce phénomène ?

– Il est bien simple, mon ami, répondit le docteur, et il se reproduit souvent ; lorsque ces masses flottantes se détachent les unes des autres à l’époque du dégel, elles voguent isolées et dans un équilibre parfait ; mais peu à peu, elles arrivent vers le sud, où l’eau est relativement plus chaude ; leur base, ébranlée par le choc des autres glaçons, commence à fondre, à se miner ; il vient donc un moment où le centre de gravité de ces masses se trouve déplacé, et alors elles se culbutent. Seulement, si cet ice-berg se fût retourné deux minutes plus tard, il se précipitait sur le brick et l’écrasait dans sa chute.

Chapitre 9 UNE NOUVELLE LETTRE

Le cercle polaire était enfin franchi ; le Forward passait le 30 avril, à midi, par le travers d’Holsteinborg ; des montagnes pittoresques s’élevèrent dans l’horizon de l’est. La mer paraissait pour ainsi dire libre de glaces, ou plutôt ces glaces pouvaient être facilement évitées. Le vent sauta dans le sud-est, et le brick, sous sa misaine, sa brigantine, ses huniers et ses perroquets, remonta la mer de Baffin.

Cette journée fut particulièrement calme, et l’équipage put prendre un peu de repos ; de nombreux oiseaux nageaient et voltigeaient autour du navire ; le docteur remarqua, entre autres, des Alca torda, presque semblables à la sarcelle, avec le cou, les ailes et le dos noirs et la poitrine blanche ; ils plongeaient avec vivacité, et leur immersion se prolongeait souvent au-delà de quarante secondes.

Cette journée n’eût été marquée par aucun incident nouveau, si le fait suivant, quelque extraordinaire qu’il paraisse, ne se fût pas produit à bord.

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