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– À savoir, reprit Plover ; Richard Shandon est un homme dur et entêté quelquefois ; il faudrait le tâter adroitement.

– Quand je pense, reprit Bolton avec un soupir de convoitise, que dans un mois nous pouvons être de retour à Liverpool ! Nous aurons rapidement franchi la ligne des glaces dans le sud ! la passe du détroit de Davis sera ouverte au commencement de juin, et nous n’aurons plus qu’à nous laisser dériver dans l’Atlantique.

– Sans compter, répondit le prudent Clifton, qu’en ramenant le commandant avec nous, en agissant sous sa responsabilité, nos parts et nos gratifications nous seront acquises ; or, si nous revenions seuls, nous ne serions pas certains de l’affaire.

– Bien raisonné, dit Plover ; ce diable de Clifton s’exprime comme un comptable ! Tâchons de ne rien avoir à débrouiller avec ces messieurs de l’Amirauté, c’est plus sûr, et n’abandonnons personne.

– Mais si les officiers refusent de nous suivre ? reprit Pen, qui voulait pousser ses camarades à bout.

On fut assez embarrassé pour répondre à une question posée aussi directement.

– Nous verrons cela, quand le moment en sera venu, répliqua Bolton ; il nous suffira d’ailleurs de gagner Richard Shandon à notre cause, et j’imagine que cela ne sera pas difficile.

– Il y a pourtant quelqu’un que je laisserai ici, fit Pen avec d’énormes jurons, quand il devrait me manger un bras !

– Ah ! ce chien, dit Plover.

– Oui, ce chien ! et je lui ferai son affaire avant peu !

– D’autant mieux, répliqua Clifton, revenant à sa thèse favorite, que ce chien-là est la cause de tous nos malheurs.

– C’est lui qui nous a jeté un sort, dit Plover.

– C’est lui qui nous a entraînés dans la banquise, répondit Gripper.

– C’est lui qui a ramassé sur notre route, réplique Walsten, plus de glaces qu’on n’en vit jamais à pareille époque !

– Il m’a donné ces maux d’yeux, dit Brunton.

– Il a supprimé le gin et le brandy, répliqua Pen.

– Il est cause de tout ! s’écria l’assemblée en se montant l’imagination.

– Sans compter, répliqua Clifton, qu’il est le capitaine.

– Eh bien, capitaine de malheur, s’écria Pen, dont la fureur sans raison s’accroissait avec ses propres paroles, tu as voulu venir ici, et tu y resteras !

– Mais comment le prendre ? fit Plover.

– Eh ! l’occasion est bonne, répondit Clifton ; le commandant n’est pas à bord ; le lieutenant dort dans sa cabine ; le brouillard est assez épais pour que Johnson ne puisse nous apercevoir…

– Mais le chien ? s’écria Pen.

– Captain dort en ce moment près de la soute au charbon, répondit Clifton, et si quelqu’un veut…

– Je m’en charge, répondit Pen avec fureur.

– Prends garde, Pen ; il a des dents à briser une barre de fer !

– -S’il bouge, je l’éventre, répliqua Pen, en prenant son couteau d’une main.

Et il s’élança dans l’entre-pont, suivi de Waren, qui voulut l’aider dans son entreprise.

Bientôt ils revinrent tous les deux, portant l’animal dans leurs bras, le museau et les pattes fortement attachés ; ils l’avaient surpris pendant son sommeil, et le malheureux chien ne pouvait parvenir à leur échapper.

– Hurrah pour Pen ! s’écria Plover.

– Et maintenant, qu’en vas-tu faire ? demanda Clifton.

– Le noyer, et s’il en revient jamais… répliqua Pen avec un affreux sourire de satisfaction.

Il y avait à deux cents pas du navire un trou de phoques, sorte de crevasse circulaire faite avec les dents de cet amphibie, et toujours creusée de l’intérieur à l’extérieur ; c’est par là que le phoque vient respirer à la surface de la glace ; mais il doit prendre soin d’empêcher celle-ci de se refermer à l’orifice, car la disposition de sa mâchoire ne lui permet pas de refaire ce trou de l’extérieur à l’intérieur, et au moment du danger, il ne pourrait échapper à ses ennemis.

Pen et Waren se dirigèrent vers cette crevasse, et là, malgré ses efforts énergiques, le chien fut impitoyablement précipité dans la mer ; un énorme glaçon repoussé ensuite sur cette ouverture ferma toute issue à l’animal, ainsi muré dans sa prison liquide.

– Bon voyage, capitaine ! s’écria le brutal matelot.

Peu d’instants après, Pen et Waren rentraient à bord. Johnson n’avait rien vu de cette exécution ; le brouillard s’épaississait autour du navire, et la neige commençait à tomber avec violence.

Une heure après, Richard Shandon, le docteur et Garry regagnaient le Forward.

Shandon avait remarqué dans la direction du nord-est une passe dont il résolut de profiter. Il donna ses ordres en conséquence ; l’équipage obéit avec une certaine activité ; il voulait faire comprendre à Shandon l’impossibilité d’aller plus avant, et d’ailleurs il lui restait encore trois jours d’obéissance.

Pendant une partie de la nuit et du jour suivant, les manœuvres des scies et de halage furent menées avec ardeur ; le Forward gagna près de deux milles dans le nord. Le 18, il se trouvait en vue de terre, à cinq ou six encablures d’un pic singulier, auquel sa forme étrange a fait donner le nom de Pouce-du-Diable.

À cette même place, le Prince-Albert en 1851, l’Advance avec Kane en 1835, furent obstinément pris par les glaces pendant plusieurs semaines.

La forme bizarre du Pouce-du-Diable, les environs déserts et désolés, de vastes cirques d’ice-bergs dont quelques-uns dépassaient trois cents pieds de hauteur, les craquements des glaçons que l’écho reproduisait d’une façon sinistre, tout rendait effroyablement triste la position du Forward. Shandon comprit qu’il fallait le tirer de là et le conduire plus loin ; vingt-quatre heures après, suivant son estime, il avait pu s’écarter de cette côte funeste de deux milles environ. Mais ce n’était pas assez. Shandon se sentait envahir par la crainte, et la situation fausse où il se trouvait paralysait son énergie ; pour obéir à ses instructions et se porter en avant, il avait jeté son navire dans une situation excessivement périlleuse ; le halage mettait les hommes sur les dents ; il fallait plus de trois heures pour creuser un canal de vingt pieds de long dans une glace qui avait communément de quatre à cinq pieds d’épaisseur ; la santé de l’équipage menaçait déjà de s’altérer. Shandon s’étonnait du silence de ses hommes et de leur dévouement inaccoutumé ; mais il craignait que ce calme ne précédât quelque orage prochain.

On peut donc juger de la pénible surprise, du désappointement, du désespoir même qui s’empara de son esprit, quand il s’aperçut que, par suite d’un mouvement insensible de l’ice-field, le Forward reperdait pendant la nuit du 18 au 19 tout ce qu’il avait gagné au prix de tant de fatigues ; le samedi matin, il se retrouvait en face du Pouce-du-Diable, toujours menaçant, et dans une situation plus critique encore ; les ice-bergs se multipliaient et passaient comme des fantômes dans le brouillard.

Shandon fut complètement démoralisé ; il faut dire que l’effroi passa dans le cœur de cet homme intrépide et dans celui de son équipage. Shandon avait entendu parler de la disparition du chien ; mais il n’osa pas punir les coupables ; il eût craint de provoquer une révolte.

Le temps fut horrible pendant cette journée ; la neige, soulevée en épais tourbillons, enveloppait le brick d’un voile impénétrable ; parfois, sous l’action de l’ouragan, le brouillard se déchirait, et l’œil effrayé apercevait du côté de la terre ce Pouce-du-Diable dressé comme un spectre.

Le Forward ancré sur un immense glaçon, il n’y avait plus rien à faire, rien à tenter ; l’obscurité s’accroissait, et l’homme de la barre n’eût pas aperçu James Wall qui faisait son quart à l’avant.

Shandon se retira dans sa cabine en proie à d’incessantes inquiétudes ; le docteur mettait en ordre ses notes de voyage ; des hommes de l’équipage, moitié restait sur le pont, et moitié dans la salle commune.

À un moment où l’ouragan redoubla de violence, le Pouce-du-Diable sembla se dresser démesurément au milieu du brouillard déchiré.

– Grand Dieu ! s’écria Simpson en reculant avec effroi.

– Qu’est-ce donc ? dit Foker.

Aussitôt les exclamations s’élevèrent de toutes parts.

– Il va nous écraser !

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