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« Veuillez vous diriger droit au nord vers la baie Melville, et de là vous tenterez de pénétrer dans le détroit de Smith.

« Le capitaine du Forward,

« K.-Z.

« Ce lundi, 30 avril, par le travers du cap Walsingham. »

– Et c’est tout ? s’écria le docteur.

– C’est tout, répondit Shandon.

La lettre lui tomba des mains.

– Eh bien, dit Wall, ce capitaine chimérique ne parle même plus de venir à bord ; j’en conclus qu’il n’y viendra jamais.

– Mais cette lettre, fit Johnson, comment est-elle arrivée ? »

Shandon se taisait.

– Monsieur Wall a raison, répondit le docteur, qui, ayant ramassé la lettre, la retournait dans tous les sens ; le capitaine ne viendra pas à bord, par une excellente raison…

– Et laquelle ? demanda vivement Shandon.

– C’est qu’il y est déjà, répondit simplement le docteur.

– Déjà ! s’écria Shandon ; que voulez-vous dire ?

– Comment expliquer sans cela l’arrivée de cette lettre ?

Johnson hochait la tête en signe d’approbation.

– Ce n’est pas possible ! fit Shandon avec énergie, je connais tous les hommes de l’équipage ; il faudrait donc supposer qu’il se trouvât parmi eux depuis le départ du navire ? Ce n’est pas possible, vous dis-je ! Depuis plus de deux ans, il n’en est pas un que je n’aie vu cent fois à Liverpool ; votre supposition, docteur, est inadmissible !

– Alors, qu’admettez-vous, Shandon ?

– Tout, excepté cela. J’admets que ce capitaine, ou un homme à lui, que sais-je ? a pu profiter de l’obscurité, du brouillard, de tout ce que vous voudrez, pour se glisser à bord ; nous ne sommes pas éloignés de la terre ; il y a des kaïaks d’Esquimaux qui passent inaperçus entre les glaçons ; on peut donc être venu jusqu’au navire, avoir remis cette lettre… le brouillard a été assez intense pour favoriser ce plan…

– Et pour empêcher de voir le brick, répondit le docteur ; si nous n’avons pas vu, nous, un intrus se glisser à bord, comment, lui, aurait-il pu découvrir le Forward au milieu du brouillard ?

– C’est évident, fit Johnson.

– J’en reviens donc à mon hypothèse, dit le docteur. Qu’en pensez-vous, Shandon ?

– Tout ce que vous voudrez, répondit Shandon avec feu, excepté la supposition que cet homme soit à mon bord.

– Peut-être, ajouta Wall, se trouve-t-il dans l’équipage un homme à lui, qui a reçu ses instructions.

– Peut-être, fit le docteur.

– Mais qui ? demanda Shandon. Je connais tous mes hommes, vous dis-je, et depuis longtemps.

– En tout cas, reprit Johnson, si ce capitaine se présente, homme ou diable, on le recevra ; mais il y a un autre enseignement, ou plutôt un autre renseignement à tirer de cette lettre.

– Et lequel ? demanda Shandon.

– C’est que nous devons nous diriger non seulement vers la baie Melville, mais encore dans le détroit de Smith.

– Vous avez raison, répondit le docteur.

– Le détroit de Smith, répliqua machinalement Richard Shandon.

– Il est donc évident, reprit Johnson, que la destination du Forward n’est pas de rechercher le passage du nord-ouest, puisque nous laisserons sur notre gauche la seule entrée qui y conduise, c’est-à-dire le détroit de Lancastre. Voilà qui nous présage une navigation difficile dans des mers inconnues.

– Oui, le détroit de Smith, répondit Shandon ; c’est la route que l’Américain Kane a suivie en 1853, et au prix de quels dangers ! Longtemps on l’a cru perdu sous ces latitudes effrayantes ! Enfin, puisqu’il faut y aller, on ira ! mais jusqu’où ? Est-ce au pôle ?

– Et pourquoi pas ? s’écria le docteur.

La supposition de cette tentative insensée fit hausser les épaules au maître d’équipage.

– Enfin, reprit James Wall, pour en revenir au capitaine, s’il existe, je ne vois guère, sur la côte du Groënland, que les établissements de Disko ou d’Uppernawik où il puisse nous attendre ; dans quelques jours, nous saurons donc à quoi nous en tenir.

– Mais, demanda le docteur à Shandon, n’allez-vous pas faire connaître cette lettre à l’équipage ?

– Avec la permission du commandant, répondit Johnson, je n’en ferais rien.

– Et pourquoi cela ? demanda Shandon.

– Parce que tout cet extraordinaire, ce fantastique, est de nature à décourager nos hommes ; ils sont déjà fort inquiets sur le sort d’une expédition qui se présente ainsi. Or, si on les pousse dans le surnaturel, cela peut produire de fâcheux effets, et au moment critique nous ne pourrions plus compter sur eux. Qu’en dites-vous, commandant ?

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