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John Hatteras portait haut la fierté anglaise, et ce fut lui qui fit un jour à un Français cette orgueilleuse réponse :

Le Français disait devant lui, avec ce qu’il supposait être de la politesse, et même de l’amabilité :

– Si je n’étais Français, je voudrais être Anglais.

– Si je n’étais Anglais, moi, répondit Hatteras, je voudrais être Anglais !

On peut juger l’homme par la réponse.

Il eût voulu par-dessus tout réserver à ses compatriotes le monopole des découvertes géographiques ; mais, à son grand désespoir, ceux-ci avaient peu fait, pendant les siècles précédents, dans la voie des découvertes.

L’Amérique était due au Génois Christophe Colomb, les Indes au Portugais Vasco de Gama, la Chine au Portugais Fernand d’Andrada, la Terre de feu au Portugais Magellan, le Canada au Français Jacques Cartier, les îles de la Sonde, le Labrador, le Brésil, le cap de Bonne-Espérance, les Açores, Madère, Terre-Neuve, la Guinée, le Congo, le Mexique, le cap Blanc, le Groënland, l’Islande, la mer du Sud, la Californie, le Japon, le Cambodge, le Pérou, le Kamtchatka, les Philippines, le Spitzberg, le cap Horn, le détroit de Behring, la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Hollande, la Louisiane, l’île de Jean-Mayen, à des Islandais, à des Scandinaves, à des Français, à des Russes, à des Portugais, à des Danois, à des Espagnols, à des Génois, à des Hollandais, mais pas un Anglais ne figurait parmi eux, et c’était un désespoir pour Hatteras de voir les siens exclus de cette glorieuse phalange des navigateurs qui firent les grandes découvertes des XVe et XVIe siècles.

Hatteras se consolait un peu en se reportant aux temps modernes ; les Anglais prenaient leur revanche avec Sturt, Donall Stuart, Burcke, Wills, King, Gray, en Australie, avec Palliser en Amérique, avec Haouran en Syrie, avec Cyril Graham, Wadington, Cummingham dans l’Inde, avec Barth, Burton, Speke, Grant, Livingston en Afrique.

Mais cela ne suffisait pas ; pour Hatteras, ces hardis voyageurs étaient plutôt des perfectionneurs que des inventeurs ; il fallait donc trouver mieux, et John eût inventé un pays pour avoir l’honneur de le découvrir.

Or, il avait remarqué que si les Anglais ne formaient pas majorité parmi les découvreurs anciens, que s’il fallait remonter à Cook pour obtenir la Nouvelle-Calédonie en 1774, et les îles Sandwich où il périt en 1778, il existait néanmoins un coin du globe sur lequel ils semblaient avoir réuni tous leurs efforts.

C’étaient précisément les terres et les mers boréales du nord de l’Amérique. En effet, le tableau des découvertes polaires se présente ainsi :

La Nouvelle-Zemble, découverte par Willoughby en 1553. L’île de Weigatz – Barrough – 1556. La côte ouest du Groënland – Davis – 1585. Le détroit de Davis – Davis – 1587. Le Spitzberg – Willoughby – 1596. La baie d’Hudson – Hudson – 1610. La baie de Baffin – Baffin – 1616.

Pendant ces dernières années, Hearne, Mackensie, John Ross, Parry, Franklin, Richardson, Beechey, James Ross, Back, Dease, Sompson, Rae, Inglefield, Belcher, Austin, Kellet, Moore, Mac Clure, Kennedy, MacClintock, fouillèrent sans interruption ces terres inconnues.

On avait bien délimité les côtes septentrionales de l’Amérique, à peu près découvert le passage du nord-ouest, mais ce n’était pas assez ; il y avait mieux à faire, et ce mieux, John Hatteras l’avait deux fois tenté en armant deux navires à ses frais ; il voulait arriver au pôle même, et couronner ainsi la série des découvertes anglaises par une tentative du plus grand éclat.

Parvenir au pôle, c’était le but de sa vie.

Après d’assez beaux voyages dans les mers du sud, Hatteras essaya pour la première fois en 1846 de s’élever au nord par la mer de Baffin ; mais il ne put dépasser le soixante-quatorzième degré de latitude ; il montait le sloop l’Halifax ; son équipage eut à souffrir des tourments atroces, et John Hatteras poussa si loin son aventureuse audace, que désormais les marins furent peu tentés de recommencer de semblables expéditions sous un pareil chef.

Cependant, en 1850, Hatteras parvint à enrôler sur la goélette le Farewel une vingtaine d’hommes déterminés, mais déterminés surtout par le haut prix offert à leur audace. Ce fut dans cette occasion que le docteur Clawbonny entra en correspondance avec John Hatteras, qu’il ne connaissait pas, et demanda à faire partie de l’expédition ; mais la place de médecin était prise, et ce fut heureux pour le docteur.

Le Farewel, en suivant la route prise par le Neptune, d’Aberdeen, en 1817, s’éleva au nord du Spitzberg jusqu’au soixante-seizième degré de latitude. Là, il fallut hiverner ; mais les souffrances furent telles et le froid si intense, que pas un homme de l’équipage ne revit l’Angleterre, à l’exception du seul Hatteras, rapatrié par un baleinier danois, après une marche de plus de deux cents milles à travers les glaces.

La sensation produite par ce retour d’un seul homme fut immense ; qui oserait désormais suivre Hatteras dans ses audacieuses tentatives ? Cependant il ne désespéra pas de recommencer. Son père, le brasseur, mourut, et il devint possesseur d’une fortune de nabab.

Sur ces entrefaites, un fait géographique se produisit, qui porta le coup le plus sensible à John Hatteras.

Un brick, l’Advance, monté par dix-sept hommes, armé par le négociant Grinnel, commandé par le docteur Kane, et envoyé à la recherche de sir John Franklin, s’éleva, en 1853, par la mer de Baffin et le détroit de Smith, jusqu’au-delà du 82e degré de latitude boréale, plus près du pôle qu’aucun de ses devanciers.

Or, ce navire était Américain, ce Grinnel était Américain, ce Kane était Américain !

On comprendra facilement que le dédain de l’Anglais pour le Yankee se changea en haine dans le cœur d’Hatteras ; il résolut de dépasser à tout prix son audacieux concurrent, et d’arriver au pôle même.

Depuis deux ans, il vivait incognito à Liverpool. Il passait pour un matelot, il reconnut dans Richard Shandon l’homme dont il avait besoin ; il lui fit ses propositions par lettre anonyme, ainsi qu’au docteur Clawbonny. Le Forward fut construit, armé, équipé. Hatteras se garda bien de faire connaître son nom ; il n’eût pas trouvé un seul homme pour l’accompagner. Il résolut de ne prendre le commandement du brick que dans des conjonctures impérieuses, et lorsque son équipage serait engagé assez avant pour ne pas recu-ler ; il avait en réserve, comme on l’a vu, des offres d’argent à faire à ses hommes, telles que pas un ne refuserait de le suivre jusqu’au bout du monde.

Et c’était bien au bout du monde, en effet, qu’il voulait aller.

Or, les circonstances étant devenues critiques, John Hatteras n’hésita plus à se déclarer.

Son chien, son fidèle Duk, le compagnon de ses traversées, fut le premier à le reconnaître, et heureusement pour les braves, malheureusement pour les timides, il fut bien et dûment établi que le capitaine du Forward était John Hatteras.

Chapitre 13 LES PROJETS D’HATTERAS

L’apparition de ce hardi personnage fut diversement appréciée par l’équipage ; les uns se rallièrent complètement à lui, par amour de l’argent ou par audace ; d’autres prirent leur parti de l’aventure, qui se réservèrent le droit de protester plus tard ; d’ailleurs, résister à un pareil homme paraissait difficile actuellement. Chacun revint donc à son poste. Le 20 mai était un dimanche, et fut jour de repos pour l’équipage.

Un conseil d’officiers se tint chez le capitaine ; il se composa d’Hatteras, de Shandon, de Wall, de Johnson et du docteur.

– Messieurs, dit le capitaine de cette voix à la fois douce et impérieuse qui le caractérisait, vous connaissez mon projet d’aller jusqu’au pôle ; je désire connaître votre opinion sur cette entreprise. Qu’en pensez-vous, Shandon ?

– Je n’ai pas à penser, capitaine, répondit froidement Shandon, mais à obéir.

Hatteras ne s’étonna pas de la réponse.

– Richard Shandon, reprit-il non moins froidement, je vous prie de vous expliquer sur nos chances de succès.

– Eh bien, capitaine, répondit Shandon, les faits répondent pour moi ; les tentatives de ce genre, ont échoué jusqu’ici ; je souhaite que nous soyons plus heureux.

– Nous le serons. Et vous, messieurs, qu’en pensez-vous ?

– Pour mon compte, répliqua le docteur, je crois votre dessein praticable, capitaine ; et comme il est évident que des navigateurs arriveront un jour ou l’autre à ce pôle boréal, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas nous.

– Et il y a des raisons pour que ce soit nous, répondit Hatteras, car nos mesures sont prises en conséquence, et nous profiterons de l’expérience de nos devanciers. Et à ce propos, Shandon, recevez mes remerciments pour les soins que vous avez apportés à l’équipement du navire ; il y a bien quelques mauvaises têtes dans l’équipage, que je saurai mettre à la raison ; mais, en somme, je n’ai que des éloges à vous donner.

Shandon s’inclina froidement. Sa position à bord du Forward, qu’il croyait commander, était fausse. Hatteras le comprit, et n’insista pas davantage.

– Quant à vous, messieurs, reprit-il en s’adressant à Wall et à Johnson, je ne pouvais m’assurer le concours d’officiers plus distingués par leur courage et leur expérience.

– Ma foi, capitaine, je suis votre homme, répondit Johnson, et bien que votre entreprise me semble un peu hardie, vous pouvez compter sur moi jusqu’au bout.

– Et sur moi de même, dit James Wall.

– Quant à vous, docteur, je sais ce que vous valez…

– Eh bien, vous en savez plus que moi, répondit vivement le docteur.

– Maintenant, messieurs, reprit Hatteras, il est bon que vous appreniez sur quels faits incontestables s’appuie ma prétention d’arriver au pôle. En 1817, le Neptune, d’Aberdeen, s’éleva au nord du Spitzberg jusqu’au quatre-vingt-deuxième degré. En 1826, le célèbre Parry, après son troisième voyage dans les mers polaires, partit également de la pointe du Spitzberg, et avec des traîneaux-barques monta à cent cinquante milles vers le nord. En 1852, le capitaine Inglefield pénétra, dans l’entrée de Smith, jusque par soixante-dix-huit degrés trente-cinq minutes de latitude. Tous ces navires étaient anglais, et commandés par des Anglais, nos compatriotes.

Ici Hatteras fit une pause.

– Je dois ajouter, reprit-il d’un air contraint, et comme si les paroles ne pouvaient quitter ses lèvres, je dois ajouter qu’en 1854 l’Américain Kane, commandant le brick l’Advance, s’éleva plus haut encore, et que son lieutenant Morton, s’étant avancé à travers les champs de glace, fit flotter le pavillon des États-Unis au-delà du quatre-vingt-deuxième degré. Ceci dit, je n’y reviendrai plus. Or, ce qu’il faut savoir, c’est que les capitaines du Neptune, de l’Entreprise, de l’Isabelle, de l’Advance constatèrent qu’à partir de ces hautes latitudes il existait un bassin polaire entièrement libre de glaces.

– Libre de glaces ! s’écria Shandon, en interrompant le capitaine ; c’est impossible !

– Vous remarquerez, Shandon, reprit tranquillement Hatteras, dont l’œil brilla un instant, que je vous cite des faits et des noms à l’appui. J’ajouterai que pendant la station du commandant Penny, en 1851, au bord du canal de Wellington, son lieutenant Stewart se trouva également en présence d’une mer libre, et que cette particularité fut confirmée pendant l’hivernage de sir Edward Belcher, en 1853, à la baie de Northumberland par soixante-seize degrés et cinquante-deux minutes de latitude, et quatre-vingt-dix-neuf degrés et vingt minutes de longitude ; les rapports sont indiscutables, et il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas les admettre.

– Cependant, capitaine, reprit Shandon, ces faits sont si contradictoires…

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