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Le lendemain, le capitaine fit mettre de grand matin la pirogue à la mer ; il alla reconnaître les ice-bergs du bassin, dont la largeur n’excédait pas deux cents yards[38] . Il remarqua même que par suite d’une lente pression des glaces, ce bassin menaçait de se rétrécir ; il devenait donc urgent d’y pratiquer une brèche, afin que le navire ne fût pas écrasé dans cet étau de montagnes ; aux moyens employés par John Hatteras, on vit bien que c’était un homme énergique.

II fit d’abord tailler des degrés dans la muraille glacée, et il parvint au sommet d’un ice-berg ; il reconnut de là qu’il lui serait facile de se frayer un chemin vers le sud-ouest ; d’après ses ordres, on creusa un fourneau de mine presque au centre de la montagne ; ce travail, rapidement mené, fut terminé dans la journée du lundi.

Hatteras ne pouvait compter sur ses blasling-cylinders de huit à dix livres de poudre, dont l’action eût été nulle sur des masses pareilles ; ils n’étaient bons qu’à briser les champs de glace ; il fit donc déposer dans le fourneau mille livres de poudre, dont la direction expansive fut soigneusement calculée. Cette mine, munie d’une longue mèche entourée de gutta-percha, vint aboutir au dehors. La galerie, conduisant au fourneau, fut remplie avec de la neige et des quartiers de glaçons, auxquels le froid de la nuit suivante devait donner la dureté du granit. En effet, la température, sous l’influence du vent d’est, descendit à douze degrés (-11° centigrades).

Le lendemain, à sept heures, le Forward se tenait sous vapeur, prêt à profiter de la moindre issue. Johnson fut chargé d’aller mettre le feu à la mine ; la mèche avait été calculée de manière à brûler une demi-heure avant de communiquer le feu aux poudres. Johnson eut donc le temps suffisant de regagner le bord ; en effet, dix minutes après avoir exécuté les ordres d’Hatteras, il revenait à son poste.

L’équipage se tenait sur le pont, par un temps sec et assez clair ; la neige avait cessé de tomber ; Hatteras, debout sur la dunette avec Shandon et le docteur, comptait les minutes sur son chronomètre.

À huit heures trente-cinq minutes, une explosion sourde se fit entendre, et beaucoup moins éclatante qu’on ne l’eût supposée. Le profil des montagnes fut brusquement modifié, comme dans un tremblement de terre ; une fumée épaisse et blanche fusa vers le ciel à une hauteur considérable, et de longues crevasses zébrèrent les flancs de l’ice-berg, dont la partie supérieure, projetée au loin, retombait en débris autour du Forward.

Mais la passe n’était pas encore libre ; d’énormes quartiers de glace, arc-boutés sur les montagnes adjacentes, demeuraient suspendus en l’air, et l’on pouvait craindre que l’enceinte ne se refermât par leur chute.

Hatteras jugea la situation d’un coup d’œil.

– Wolsten ! s’écria-t-il.

L’armurier accourut.

– Capitaine ! fit-il.

– Chargez la pièce de l’avant à triple charge, dit. Hatteras, et bourrez aussi fortement que possible.

– Nous allons donc attaquer cette montagne à boulets de canon ? dit le docteur.

– Non, répondit Hatteras. C’est inutile. Pas de boulet, Wolsten, mais une triple charge de poudre. Faites vite.

Quelques instants après, la pièce était chargée.

– Que veut-il faire sans boulet ? dit Shandon entre ses dents.

– On le verra bien, répondit le docteur.

– Nous sommes parés, capitaine, s’écria Wolsten.

– Bien, répondit Hatteras. Brunton ! cria-t-il à l’ingénieur, attention ! Quelques tours en avant.

Brunton ouvrit les tiroirs, et l’hélice se mit en mouvement ; le Forward s’approcha de la montagne minée.

– Visez bien à la passe, cria le capitaine à l’armurier.

Celui-ci obéit ; lorsque le brick ne fut plus qu’à une demi-encablure, Hatteras cria :

– Feu !

Une détonation formidable suivit son commandement, et les blocs ébranlés par la commotion atmosphérique furent précipités soudain dans la mer. Cette agitation des couches d’air avait suffi.

– À toute vapeur ! Brunton, s’écria Hatteras. Droit dans la passe, Johnson.

Johnson tenait la barre ; le brick, poussé par son hélice, qui se vissait dans les flots écumants, s’élança au milieu du passage libre alors. Il était temps. Le Forward franchissait à peine cette ouverture, que sa prison se refermait derrière lui.

Le moment fut palpitant, et il n’y avait à bord qu’un cœur ferme et tranquille : celui du capitaine. Aussi l’équipage, émerveillé de la manœuvre, ne put retenir le cri de :

– Hourrah pour John Hatteras !

Chapitre 14 EXPÉDITIONS À LA RECHERCHE DE FRANKLIN

Le mercredi 23 mai, le Forward avait repris son aventureuse navigation, louvoyant adroitement au milieu des packs et des ice-bergs, grâce à sa vapeur, cette force obéissante qui manqua à tant de navigateurs des mers polaires ; il semblait se jouer au milieu de ces écueils mouvants ; on eût dit qu’il reconnaissait la main d’un maître expérimenté, et, comme un cheval sous un écuyer habile, il obéissait à la pensée de son capitaine.

La température remontait. Le thermomètre marqua à six heures du matin vingt-six degrés (-3° centigrades), à six heures du soir vingt-neuf degrés (-2° centigrades), et à minuit vingt-cinq degrés (-4° centigrades) ; le vent soufflait légèrement du sud-est.

Le jeudi, vers les trois heures du matin, le Forward arriva en vue de la baie Possession, sur la côte d’Amérique, à l’entrée du détroit de Lancastre ; bientôt le cap Burney fut entrevu. Quelques Esquimaux se dirigèrent vers le navire ; mais Hatteras ne prit pas le loisir de les attendre.

Les pics de Byam-Martin qui dominent le cap Liverpool, laissés sur la gauche, se perdirent dans la brume du soir ; celle-ci empêcha de relever le cap Hay, dont la pointe, très basse d’ailleurs, se confond avec les glaces de la côte, circonstance qui rend souvent fort difficile la détermination hydrographique des mers polaires.

Les puffins, les canards, les mouettes blanches se montraient en très grand nombre. La latitude par observation donna 74°01’, et la longitude, d’après le chronomètre, 77°15’.

Les deux montagnes de Catherine et d’Elisabeth élevaient au-dessus des nuages leur chaperon de neige.

Le vendredi, à dix heures, le cap Warender fut dépassé sur la côte droite du détroit, et sur la gauche, l’Admiralty-Inlet, baie encore peu explorée par des navigateurs qui avaient hâte de se porter dans l’ouest. La mer devint assez forte, et souvent les lames balayèrent le pont du brick en y projetant des morceaux de glace. Les terres de la côte nord offraient aux regards de curieuses apparences avec leurs hautes tables presque nivelées, qui répercutaient les rayons du soleil.

Hatteras eût voulu prolonger les terres septentrionales, afin de gagner au plus tôt l’île Beechey et l’entrée du canal Wellington ; mais une banquise continue l’obligeait, à son grand déplaisir, de suivre les passes du sud.

Ce fut pour cette raison que, le 26 mai, au milieu d’un brouillard sillonné de neige, le Forward se trouva par le travers du cap York ; une montagne d’une grande hauteur et presque à pic le fit reconnaître ; le temps s’étant un peu levé, le soleil parut un instant vers midi, et permit de faire une assez bonne observation : 74°4’ de latitude, et 84°23’ de longitude. Le Forward se trouvait donc à l’extrémité du détroit de Lancastre.

Hatteras montrait sur ses cartes, au docteur, la route suivie et à suivre. Or, la position du brick était intéressante en ce moment.

– J’aurais voulu, dit-il, me trouver plus au nord, mais à l’impossible nul n’est tenu ; voyez, voici notre situation exacte.

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