"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » Jules Vernes Voyages Extraordinaires Capitaine Hatteras - MsGBrains.Com

Add to favorite Jules Vernes Voyages Extraordinaires Capitaine Hatteras - MsGBrains.Com

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

– Voilà qui est singulier, dit le maître d’équipage.

– Eh bien ! et ces magasins ? dit vivement Hatteras.

– Je ne sais… je ne vois… balbutia Johnson.

– Vous vous serez trompés de route, dit le docteur.

– Il me semble pourtant, reprit Johnson en réfléchissant, qu’à cet endroit même…

– Enfin, dit impatiemment Hatteras, où devons-nous aller ?

– Descendons, fit le maître d’équipage, car il est possible que je me trompe ! depuis sept ans, je puis avoir perdu la mémoire de ces localités !

– Surtout, répondit le docteur, quand le pays est d’une uniformité si monotone.

– Et cependant… murmura Johnson.

Shandon n’avait pas fait une observation. Au bout de quelques minutes de marche, Johnson s’arrêta.

– Mais non, s’écria-t-il, non, je ne me trompe pas !

– Eh bien ? dit Hatteras en regardant autour de lui.

– Qui vous fait parler ainsi, Johnson ? demanda le docteur.

– Voyez-vous ce renflement du sol ? dit le maître d’équipage en indiquant sous ses pieds une sorte d’extumescence dans laquelle trois saillies se distinguaient parfaitement.

– Qu’en concluez-vous ? demanda le docteur.

– Ce sont-là, répondit Johnson, les trois tombes des marins de Franklin ! J’en suis sûr ! je ne me suis pas trompé, et à cent pas de nous devraient se trouver les habitations, et si elles n’y sont pas… c’est que…

Il n’osa pas achever sa pensée ; Hatteras s’était précipité en avant, et un violent mouvement de désespoir s’empara de lui. Là avaient dû s’élever en effet ces magasins tant désirés, avec ces approvisionnements de toutes sortes sur lesquels il comptait ; mais la ruine, le pillage, le bouleversement, la destruction avaient passé là où des mains civilisées créèrent d’immenses ressources pour les navigateurs épuisés. Qui s’était livré à ces déprédations ? Les animaux de ces contrées, les loups, les renards, les ours ? Non, car ils n’eussent détruit que les vivres, et il ne restait pas un lambeau de tente, pas une pièce de bois, pas un morceau de fer, pas une parcelle d’un métal quelconque, et, circonstance plus terrible pour les gens du Forward, pas un fragment de combustible ! Évidemment les Esquimaux, qui ont été souvent en relation avec les navires européens, ont fini par apprendre la valeur de ces objets dont ils sont complètement dépourvus ; depuis le passage du Fox, ils étaient venus et revenus à ce lieu d’abondance, prenant et pillant sans cesse, avec l’intention bien raisonnée de ne laisser aucune trace de ce qui avait été ; et maintenant, un long rideau de neige à demi fondue recouvrait le sol !

Hatteras était confondu. Le docteur regardait en secouant la tête. Shandon se taisait toujours, et un observateur attentif eût surpris un méchant sourire sur ses lèvres.

En ce moment, les hommes envoyés par le lieutenant Wall arrivèrent. Ils comprirent tout. Shandon s’avança vers le capitaine et lui dit :

« Monsieur Hatteras, il me semble inutile de se désespérer ; nous sommes heureusement à l’entrée du détroit de Barrow, qui nous ramènera à la mer de Baffin !

– Monsieur Shandon, répondit Hatteras, nous sommes heureusement à l’entrée du détroit de Wellington, et il nous conduira au nord !

– Et comment naviguerons-nous, capitaine ?

– À la voile, monsieur ! Nous avons encore pour deux mois de combustible, et c’est plus qu’il ne nous en faut pendant notre prochain hivernage.

– Vous me permettrez de vous dire, reprit Shandon…

– Je vous permettrai de me suivre à mon bord, monsieur, répondit Hatteras.

Et tournant le dos à son second, il revint vers le brick, et s’enferma dans sa cabine.

Pendant deux jours, le vent fut contraire ; le capitaine ne reparut pas sur le pont. Le docteur mit à profit ce séjour forcé en parcourant l’île Beechey, il recueillit les quelques plantes qu’une température relativement élevée laissait croître çà et là sur les rocs dépourvus de neige, quelques bruyères, des lichens peu variés, une espèce de renoncule jaune, une sorte de plante semblable à l’oseille, avec des feuilles larges de quelques lignes au plus, et des saxifrages assez vigoureux.

La faune de cette contrée était supérieure à cette flore si restreinte ; le docteur aperçut de longues troupes d’oies et de grues qui s’enfonçaient dans le nord ; les perdrix, les eider-ducks d’un bleu noir, les chevaliers, sorte d’échassiers de la classe des scolopax, des northern-divers, plongeurs au corps très long, de nombreux ptarmites, espèce de gelinottes fort bonnes à manger, les dovekies avec le corps noir, les ailes, tachetées de blanc, les pattes et le bec rouges comme du corail, les bandes criardes de kitty-wakes, et les gros loons au ventre blanc, représentaient dignement l’ordre des oiseaux. Le docteur fut assez heureux pour tuer quelques lièvres gris qui n’avaient pas encore revêtu leur blanche fourrure d’hiver, et un renard bleu que Duk força avec un remarquable talent. Quelques ours, habitués évidemment à redouter la présence de l’homme, ne se laissèrent pas approcher, et les phoques étaient extrêmement fuyards, par la même raison sans doute que leurs ennemis les ours. La baie regorgeait d’une sorte de buccin fort agréable à déguster. La classe des animaux articulés, ordre des diptères, famille des culicides, division des némocères, fut représentée par un simple moustique, un seul, dont le docteur eut la joie de s’emparer après avoir subi ses morsures. En qualité de conchyliologue, il fut moins favorisé, et il dut se borner à recueillir une sorte de moule et quelques coquilles bivalves.

Chapitre 21 LA MORT DE BELLOT

La température, pendant les journées du 3 et du 4 juillet, se maintint à cinquante-sept degrés (+ 14° centigrades) ; ce fut le plus haut point thermométrique observé pendant cette campagne. Mais le jeudi 5, le vent passa dans le sud-est, et fut accompagné de violents tourbillons de neige. Le thermomètre tomba dans la nuit précédente de vingt-trois degrés. Hatteras, sans se préoccuper des mauvaises dispositions de l’équipage, donna l’ordre d’appareiller. Depuis treize jours, c’est-à-dire depuis le cap Dundas, le Forward n’avait pu gagner un nouveau degré dans le nord ; aussi le parti représenté par Clifton n’était pas satisfait ; ses désirs, il est vrai, se trouvèrent d’accord en ce moment avec la résolution du capitaine de s’élever dans le canal Wellington, et il ne fit pas de difficultés pour manœuvrer.

Le brick ne parvint pas sans peine à mettre à la voile ; mais, ayant établi dans la nuit sa misaine, ses huniers et ses perroquets, Hatteras s’avança hardiment au milieu des trains de glace que le courant entraînait vers le sud. L’équipage se fatigua beaucoup dans cette navigation sinueuse, qui l’obligeait souvent à contrebrasser la voilure.

Le canal Wellington n’a pas une très grande largeur ; il est resserré entre la côte du Devon septentrional à l’est, et l’île Cornvallis à l’ouest ; cette île passa longtemps pour une presqu’île. Ce fut sir John Franklin qui la contourna, en 1846, par sa côte occidentale, en revenant de sa pointe au nord du canal.

L’exploration du canal Wellington fut faite, en 1851, par le capitaine Penny, sur les baleiniers Lady Franklin et Sophie ; l’un de ses lieutenants, Stewart, parvenu au cap Beecher, par 76°20’ de latitude, découvrit la mer libre. La mer libre ! Voilà ce qu’espérait Hatteras.

– Ce que Stewart a trouvé, je le trouverai, dit-il au docteur, et alors je pourrai naviguer à la voile vers le pôle.

– Mais, répondit le docteur, ne craignez-vous pas que votre équipage…

– Mon équipage !… dit durement Hatteras.

Puis, à voix basse.

– Pauvres gens ! murmura-t-il au grand étonnement du docteur.

C’était le premier sentiment de cette nature que celui-ci surprenait dans le cœur du capitaine.

– Mais non, reprit ce dernier avec énergie, il faut qu’ils me suivent ! ils me suivront !

Cependant, si le Forward n’avait pas à craindre la collision des ice-streams encore espacés, il gagnait peu dans le nord, car les vents contraires l’obligèrent souvent à s’arrêter. Il dépassa péniblement les caps Spencer et Innis, et, le 10, le mardi, le soixante-quinzième degré de latitude fut enfin franchi, à la grande joie de Clifton.

Le Forward se trouvait à l’endroit même où les vaisseaux américains le Rescue et l’Advance, commandés par le capitaine de Haven, coururent de si terribles dangers. Le docteur Kane faisait partie de cette expédition ; vers la fin de septembre 1850, ces navires, enveloppés par une banquise, furent rejetés avec une puissance irrésistible dans le détroit de Lancastre.

Ce fut Shandon qui raconta cette catastrophe à James Wall devant quelques-uns des hommes du brick.

L’Advance et le Rescue, leur dit-il, furent tellement secoués, enlevés, ballottés par les glaces, qu’on dut renoncer à conserver du feu à bord ; et cependant la température tomba jusqu’à dix-huit degrés au-dessous de zéro ! Pendant l’hiver tout entier, les malheureux équipages furent retenus prisonniers dans la banquise, toujours préparés à l’abandon de leur navire, et pendant trois semaines ils n’ôtèrent même pas leurs habits ! Ce fut dans cette situation épouvantable, qu’après une dérive de mille milles[45] , ils furent drossés jusque dans le milieu de la mer de Baffin !

On peut juger de l’effet produit par ces récits sur le moral d’un équipage déjà mal disposé.

Pendant cette conversation, Johnson s’entretenait avec le docteur d’un événement dont ces parages avaient été le théâtre ; le docteur, suivant sa demande, le prévint du moment précis auquel le brick se trouvait par 75°30’ de latitude.

– C’est là ! c’est bien là ! s’écria Johnson ; voilà cette terre funeste !

Et, en parlant ainsi, les larmes venaient aux yeux du digne maître d’équipage.

– Vous voulez parler de la mort du lieutenant Bellot, lui dit le docteur.

– Oui, monsieur Clawbonny, de ce brave officier de tant de cœur et de tant de courage !

Are sens