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L’ingénieur, suivi de Plover et de Waren, descendit à son poste. Hatteras revint sur la dunette.

– Ce Pen est un misérable, lui dit le docteur.

– Jamais homme n’a été plus près de la mort, répondit simplement le capitaine.

Bientôt la vapeur eut acquis une pression suffisante : les ancres du Forward furent levées ; celui-ci, coupant vers l’est, mit le cap sur la pointe Becher, et trancha de son étrave les jeunes glaces déjà formées.

On rencontre entre l’île Baring et la pointe Becher un assez grand nombre d’îles, échouées pour ainsi dire au milieu des ice-fields ; les streams se pressaient en grand nombre dans les petits détroits dont cette partie de la mer est sillonnée ; ils tendaient à s’agglomérer sous l’influence d’une température relativement basse ; des hummocks se formaient çà et là, et l’on sentait que ces glaçons déjà plus compactes, plus denses, plus serrés, feraient bientôt, avec l’aide des premières gelées, une masse impénétrable.

Le Forward chenalait donc, non sans une extrême difficulté, au milieu des tourbillons de neige. Cependant, avec la mobilité qui caractérise l’atmosphère de ces régions, le soleil reparaissait de temps à autre ; la température remontait de quelques degrés ; les obstacles se fondaient comme par enchantement, et une belle nappe d’eau, charmante à contempler, s’étendait là où naguère les glaçons hérissaient toutes les passes. L’horizon revêtait de magnifiques teintes orangées sur lesquelles l’œil se reposait complaisamment de l’éternelle blancheur des neiges.

Le jeudi, 26 juillet, le Forward rasa l’île Dundas, et mit ensuite le cap plus au nord ; mais alors il se trouva face à face avec une banquise, haute de huit à neuf pieds et formée de petits ice-bergs arrachés à la côte ; il fut obligé d’en prolonger longtemps la courbure dans l’ouest. Le craquement ininterrompu des glaces, se joignant aux gémissements du navire, formait un bruit triste qui tenait du soupir et de la plainte. Enfin le brick trouva une passe et s’y avança péniblement ; souvent, un glaçon énorme paralysait sa course pendant de longues heures ; le brouillard gênait la vue du pilote ; tant que l’on voit à un mille en avant, on peut parer facilement les obstacles ; mais au milieu de ces tourbillons embrumés, la vue s’arrêtait souvent à moins d’une encablure. La houle très forte fatiguait.

Parfois, les nuages lisses et polis prenaient un aspect particulier, comme s’ils eussent réfléchi les bancs de glace ; il y eut des jours où les rayons jaunâtres du soleil ne parvinrent pas à franchir la brume tenace.

Les oiseaux étaient encore fort nombreux, et leurs cris assourdissants ; des phoques, paresseusement couchés sur les glaçons en dérive, levaient leur tête peu effrayée et agitaient leurs longs cous au passage du navire ; celui-ci, en rasant leur demeure flottante, y laissa plus d’une fois des feuilles de son doublage roulées par le frottement.

Enfin, après six jours de cette lente navigation, le 1er août, la pointe Becher fut relevée dans le nord ; Hatteras passa ces dernières heures dans les barres de perroquet ; la mer libre entrevue par Stewart, le 30 mai 1851, vers 76°20’ de latitude, ne pouvait être éloignée, et cependant, si loin qu’Hatteras promenât ses regards, il n’aperçut aucun indice d’un bassin polaire dégagé de glaces. Il redescendit sans mot dire.

– Est-ce que vous croyez à cette mer libre ? demanda Shandon au lieutenant.

– Je commence à en douter, répondit James Wall.

– N’avais-je donc pas raison de traiter cette prétendue découverte de chimère et d’hypothèse ? Et l’on n’a pas voulu me croire, et vous même, Wall, vous avez pris parti contre moi !

– On vous croira désormais, Shandon.

– Oui, répondit ce dernier, quand il sera trop tard.

Et il rentra dans sa cabine, où il se tenait presque toujours renfermé depuis sa discussion avec le capitaine.

Le vent retomba dans le sud vers le soir. Hatteras fit alors établir sa voilure et éteindre ses feux ; pendant plusieurs jours, les plus pénibles manœuvres furent reprises par l’équipage ; à chaque instant, il fallait ou lofer ou laisser arriver, ou masquer brusquement les voiles pour enrayer la marche du brick ; les bras des vergues déjà roidis par le froid couraient mal dans les poulies engorgées, et ajoutaient encore à la fatigue ; il fallut plus d’une semaine pour atteindre la pointe Barrow. Le Forward n’avait pas gagné trente milles en dix jours.

Là, le vent sauta de nouveau dans le nord, et l’hélice fut remise en mouvement. Hatteras espérait encore trouver une mer affranchie d’obstacles, au-delà du soixante-dix-septième parallèle, telle que la vit Edward Belcher.

Et cependant, s’il s’en rapportait aux récits de Penny, cette partie de mer qu’il traversait en ce moment aurait dû être libre, car, Penny, arrivé à la limite des glaces, reconnut en canot les bords du canal de la Reine jusqu’au soixante-dix-septième degré.

Devait-il donc regarder ces relations comme apocryphes ? ou bien un hiver précoce venait-il s’abattre sur ces régions boréales ?

Le 15 août, le mont Percy dressa dans la brume ses pics couverts de neiges éternelles ; le vent très violent brassait devant lui une mitraille de grésil qui crépitait avec bruit. Le lendemain, le soleil se coucha pour la première fois, terminant enfin la longue série des jours de vingt-quatre heures. Les hommes avaient fini par s’habituer à cette clarté incessante ; mais les animaux en ressentaient peu l’influence ; les chiens groënlandais se couchaient à l’heure habituelle, et Duk, lui-même, s’endormait régulièrement chaque soir, comme si les ténèbres eussent envahi l’horizon.

Cependant, pendant les nuits qui suivirent le 16 août, l’obscurité ne fut jamais profonde ; le soleil, quoique couché, donnait encore une lumière suffisante par réfraction.

Le 19 août, après une assez bonne observation, on releva le cap Franklin sur la côte orientale, et sur la côte occidentale, le cap lady Franklin ; ainsi, au point extrême atteint sans doute par ce hardi navigateur, la reconnaissance de ses compatriotes voulut que le nom de sa femme si dévouée fît face à son propre nom, emblème touchant de l’étroite sympathie qui les unit toujours !

Le docteur fut ému de ce rapprochement, de cette union morale entre deux pointes de terre au sein de ces contrées lointaines.

Le docteur, suivant les conseil de Johnson, s’accoutumait déjà à supporter les basses températures ; il demeurait presque sans cesse sur le pont, bravant le froid, le vent et la neige. Sa constitution, bien qu’il eût un peu maigri, ne souffrait pas des atteintes de ce rude climat. D’ailleurs, il s’attendait à d’autres périls, et constatait avec gaieté même les symptômes précurseurs de l’hiver.

– Voyez, dit-il un jour à Johnson, voyez ces bandes d’oiseaux qui émigrent vers le sud ! Comme ils s’enfuient à tire-d’aile en poussant leurs cris d’adieu !

– Oui, monsieur Clawbonny, répondit Johnson ; quelque chose leur a dit qu’il fallait partir, et ils se sont mis en route.

– Plus d’un des nôtres, Johnson, serait, je crois, tenté de les imiter !

– Ce sont des cœurs faibles, monsieur Clawbonny ; que diable ! ce qu’un oiseau ne peut faire, un homme doit le tenter ! ces animaux-là n’ont pas un approvisionnement de nourriture comme nous, et il faut bien qu’ils aillent chercher leur existence ailleurs ! Mais des marins, avec un bon navire sous les pieds, doivent aller au bout du monde.

– Vous espérez donc qu’Hatteras réussira dans ses projets ?

– Il réussira, monsieur Clawbonny.

– Je le pense comme vous, Johnson, et dût-il, pour le suivre, ne conserver qu’un seul compagnon fidèle…

– Nous serions deux !

– Oui, Johnson, répondit ce dernier en serrant la main du brave matelot.

La terre du Prince-Albert, que le Forward prolongeait en ce moment, porte aussi le nom de terre Grinnel, et bien qu’Hatteras, en haine des Yankees, n’eût jamais consenti à lui donner ce nom, c’est cependant celui sous lequel elle est le plus généralement désignée. Voici d’où vient cette double appellation : en même temps que l’Anglais Penny lui donnait le nom de Prince-Albert, le commandant de la Rescue, le lieutenant de Haven, la nommait terre Grinnel en l’honneur du négociant américain qui avait fait à New-York les frais de son expédition.

Le brick, en suivant ses contours, éprouva une série de difficultés inouïes, naviguant tantôt à la voile et tantôt à la vapeur. Le 18 août, on releva le mont Britannia à peine visible dans la brume, et le Forward jeta l’ancre le lendemain dans la baie de Northumberland. Il se trouvait cerné de toutes parts.

Chapitre 23 L’ASSAUT DES GLAÇONS

Hatteras, après avoir présidé au mouillage du navire, rentra dans sa cabine, prit sa carte et la pointa avec soin ; il se trouvait par 76°57’ de latitude et 99°20’ de longitude, c’est-à-dire à trois minutes seulement du soixante-dix-septième parallèle. Ce fut à cet endroit même que sir Edward Belcher passa son premier hivernage sur le Pionnier et l’Assistance. C’est de ce point qu’il organisa ses excursions en traîneau et en bateau ; il découvrit l’île de la Table, les Cornouailles septentrionales, l’archipel Victoria et le canal Belcher. Parvenu au-delà du soixante-dix-huitième degré, il vit la côte s’incliner vers le sud-est. Elle semblait devoir se relier au détroit de Jones, dont l’entrée donne sur la baie de Baffin. Mais dans le nord-ouest, au contraire, une mer libre, dit son rapport, « s’étendait à perte de vue ».

Hatteras considérait avec émotion cette partie des cartes marines où un large espace blanc figurait ces régions inconnues, et ses yeux revenaient toujours à ce bassin polaire dégagé de glaces.

« Après tant de témoignages, se dit-il, après les relations de Stewart, de Penny, de Belcher, il n’est pas permis de douter ! il faut que cela soit ! Ces hardis marins ont vu, vu de leurs propres yeux ! peut-on révoquer leur assertion en doute ? Non ! – Mais si, cependant, cette mer, libre alors, par suite d’un hiver précoce fut… Mais non, c’est à plusieurs années d’intervalle que ces découvertes ont été faites ; ce bassin existe, je le trouverai ! je le verrai ! »

Hatteras remonta sur la dunette. Une brume intense enveloppait le Forward ; du pont on apercevait à peine le haut de sa mâture. Cependant Hatteras fit descendre l’ice-master de son nid de pie, et prit sa place ; il voulait profiter de la moindre éclaircie du ciel pour examiner l’horizon du nord-ouest.

Shandon n’avait pas manqué cette occasion de dire au lieutenant :

– Eh bien, Wall ! et cette mer libre ?

– Vous aviez raison, Shandon, répondit Wall, et nous n’avons plus que pour six semaines de charbon dans nos soutes.

– Le docteur trouvera quelque procédé scientifique répondit Shandon, pour nous chauffer sans combustible. J’ai entendu dire que l’on faisait de la glace avec du feu ; peut-être nous fera-t-il du feu avec de la glace.

Shandon rentra dans sa cabine en haussant les épaules.

Le lendemain, 20 août, le brouillard se fendit pendant quelques instants. On vit Hatteras, de son poste élevé, promener vivement ses regards vers l’horizon ; puis il redescendit, sans rien dire, et donna l’ordre de se porter en avant ; mais il était facile de voir que son espoir avait été déçu une dernière fois.

Le Forward leva l’ancre et reprit sa marche incertaine vers le nord. Comme il fatiguait beaucoup, les vergues des huniers et de perroquet furent envoyées en bas avec tout leur gréement ; les mâts furent dépassés ; on ne pouvait plus compter sur le vent variable, que la sinuosité des passes rendait d’ailleurs à peu près inutile ; de larges taches blanchâtres se formaient çà et là sur la mer, semblables à des taches d’huile ; elles faisaient présager une gelée générale très prochaine ; dès que la brise venait à tomber, la mer se prenait presque instantanément, mais au retour du vent cette jeune glace se brisait et se dissipait. Vers le soir, le thermomètre descendit à dix-sept degrés (-7° centigrades).

Lorsque le brick arrivait au fond d’une passe fermée, il faisait alors l’office de bélier, et se précipitait à toute vapeur sur l’obstacle qu’il enfonçait. Quelquefois on le croyait définitivement arrêté ; mais un mouvement inattendu des streams lui ouvrait un nouveau passage, et il s’élançait hardiment ; pendant ces temps d’arrêt, la vapeur, s’échappant par les soupapes, se condensait dans l’air froid et retombait en neige sur le pont. Une autre cause venait aussi suspendre la marche du brick ; les glaçons s’engageaient parfois dans les branches de l’hélice, et ils avaient une dureté telle que tout l’effort de la machine ne parvenait pas à les briser ; il fallait alors renverser la vapeur, revenir en arrière, et envoyer des hommes débarrasser l’hélice à l’aide de leviers et d’anspects ; de là, des difficultés, des fatigues et des retards.

Pendant treize jours il en fut ainsi ; le Forward se traîna péniblement le long du détroit de Penny. L’équipage murmurait, mais il obéissait ; il comprenait que revenir en arrière était maintenant impossible. La marche au nord offrait moins de périls que la retraite au sud ; il fallait songer à l’hivernage.

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