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Un cri d’épouvante s’échappa de toutes les poitrines. Chacun reflua sur tribord.

Mais, à ce moment, le navire fut entièrement soulagé[48] . On le sentit enlevé, et pendant un temps inappréciable il flotta dans l’air, puis il inclina, retomba sur les glaçons, et, là, fut pris d’un roulis qui fit craquer ses cordages. Que se passait-il donc ?

Soulevé par cette marée montante, repoussé par les blocs qui le prenaient à l’arrière, il franchissait l’infranchissable banquise. Après une minute, qui parut un siècle, de cette étrange navigation, il retomba de l’autre côté de l’obstacle, sur un champ de glace ; il l’enfonça de son poids, et se retrouva dans son élément naturel.

– La banquise est franchie ! s’écria Johnson, qui s’était jeté à l’avant du brick.

– Dieu soit loué ! répondit Hatteras.

En effet, le brick se trouvait au centre d’un bassin de glace ; celle-ci l’entourait de toutes parts, et, bien que la quille plongeât dans l’eau, il ne pouvait bouger ; mais s’il demeurait immobile, le champ marchait pour lui.

– Nous dérivons, capitaine ! cria Johnson

– Laissons faire, répondit Hatteras.

Comment, d’ailleurs, eût-il été possible de s’opposer à cet entraînement ?

Le jour revint, et il fut bien constaté que, sous l’influence d’un courant sous-marin, le banc de glace dérivait vers le nord avec rapidité. Cette masse flottante emportait le Forward, cloué au milieu de l’ice-field, dont on ne voyait pas la limite ; dans la prévision d’une catastrophe, dans le cas où le brick serait jeté sur une côte ou écrasé par la pression des glaces, Hatteras fit monter sur le pont une grande quantité de provisions, les effets de campement, les vêtements et les couvertures de l’équipage ; à l’exemple de ce que fit le capitaine MacClure dans une circonstance semblable, il fit entourer le bâtiment d’une ceinture de hamacs gonflés d’air de manière à le prémunir contre les grosses avaries ; bientôt la glace, s’accumulant sous l’influence d’une température de sept degrés (-14° centigrades) ; le navire fut entouré d’une muraille de laquelle sa mâture sortait seule.

Pendant sept jours, il navigua de cette façon ; la pointe Albert, qui forme l’extrémité ouest du Nouveau-Cornouailles, fut entrevue, le 10 septembre, et disparut bientôt ; on remarqua que le champ de glace inclina dans l’est à partir de ce moment. Où allait-il de la sorte ? où s’arrêterait-on ? Qui pouvait le prévoir ?

L’équipage attendait et se croisait les bras. Enfin, le 15 septembre, vers les trois heures du soir, l’ice-field, précipité sans doute sur un autre champ, s’arrêta brusquement ; le navire ressentit une secousse violente, Hatteras, qui avait fait son point pendant cette journée, consulta sa carte ; il se trouvait dans le nord, sans aucune terre en vue, par 95°35’ de longitude et 78°15’ de latitude, au centre de cette région, de cette mer inconnue, où les géographes ont placé le pôle du froid !

Chapitre 24 PRÉPARATIFS D’HIVERNAGE

L’hémisphère austral est plus froid à parité de latitude que l’hémisphère boréal ; mais la température du Nouveau Continent est encore de quinze degrés au-dessous de celle des autres parties du monde ; et, en Amérique, ces contrées, connues sous le nom de pôle du froid, sont les plus redoutables.

La température moyenne pour toute l’année n’est que de deux degrés au-dessous de zéro (-19° centigrades). Les savants ont expliqué cela de la façon suivante, et le docteur Clawbonny partageait leur opinion à cet égard.

Suivant eux, les vents qui règnent avec la force la plus constante dans les régions septentrionales de l’Amérique sont les vents de sud-ouest ; ils viennent de l’océan Pacifique avec une température égale et supportable ; mais pour arriver aux mers arctiques, ils sont forcés de traverser l’immense territoire américain, couvert de neiges ; ils se refroidissent à son contact et couvrent alors les régions hyperboréennes de leur glaciale âpreté.

Hatteras se trouvait au pôle du froid, au-delà des contrées entrevues par ses devanciers ; il s’attendait donc à un hiver terrible, sur un navire perdu au milieu des glaces, avec un équipage à demi révolté. Il résolut de combattre ces dangers divers avec son énergie habituelle. Il regarda sa situation en face, et ne baissa pas les yeux.

Il commença par prendre, avec l’aide et l’expérience de Johnson, toutes les mesures nécessaires à son hivernage. D’après son calcul, le Forward avait été entraîné à deux cent cinquante milles de la dernière terre connue, c’est-à-dire le Nouveau-Cornouailles ; il était étreint dans un champ de glace, comme dans un lit de granit, et nulle puissance humaine ne pouvait l’en arracher.

Il n’existait plus une goutte d’eau libre dans ces vastes mers frappées par l’hiver arctique. Les ice-fields se déroulaient à perte de vue, mais sans offrir une surface unie. Loin de là. De nombreux ice-bergs hérissaient la plaine glacée, et le Forward se trouvait abrité par les plus hauts d’entre eux sur trois points du compas ; le vent du sud-est seul soufflait jusqu’à lui. Que l’on suppose des rochers au lieu de glaçons, de la verdure au lieu de neige, et la mer reprenant son état liquide, le brick eût été tranquillement à l’ancre dans une jolie baie et à l’abri des coups de vent les plus redoutables. Mais quelle désolation sous cette latitude ! quelle nature attristante ! quelle lamentable contemplation !

Le navire, quelque immobile qu’il fût, dut être néanmoins assujetti fortement au moyen de ses ancres ; il fallait redouter les débâcles possibles ou les soulèvements sous-marins. Johnson, en apprenant cette situation du Forward au pôle du froid, observa plus sévèrement encore ses mesures d’hivernage.

– Nous en verrons de rudes ! avait-il dit au docteur ; voilà bien la chance du capitaine ! aller se faire pincer au point le plus désagréable du globe ! Bah ! vous verrez que nous nous en tirerons.

Quant au docteur, au fond de sa pensée, il était tout simplement ravi de la situation. Il ne l’eût pas changée pour une autre ! Hiverner au pôle du froid ! quelle bonne fortune !

Les travaux de l’extérieur occupèrent d’abord l’équipage ; les voiles demeurèrent enverguées au lieu d’être serrées à fond de cale, comme le firent les premiers hiverneurs ; elles furent uniquement repliées dans leur étui, et bientôt la glace leur fit une enveloppe imperméable ; on ne dépassa même pas les mâts de perroquet, et le nid de pie resta en place. C’était un observatoire naturel ; les manœuvres courantes furent seules retirées.

Il devint nécessaire de couper le champ autour du navire, qui souffrait de sa pression. Les glaçons, accumulés sur ses flancs, pesaient d’un poids considérable ; il ne reposait pas sur sa ligne de flottaison habituelle. Travail long et pénible. Au bout de quelques jours, la carène fut délivrée de sa prison, et l’on profita de cette circonstance pour l’examiner ; elle n’avait pas souffert, grâce à la solidité de sa construction ; seulement son doublage de cuivre était presque entièrement arraché. Le navire, devenu libre, se releva de près de neuf pouces ; on s’occupa alors de tailler la glace en biseau suivant la forme de la coque ; de cette façon, le champ se rejoignait sous la quille du brick, et s’opposait lui-même à tout mouvement de pression. Le docteur participait à ces travaux ; il maniait adroitement le couteau à neige ; il excitait les matelots par sa bonne humeur. Il instruisait et s’instruisait. Il approuva fort cette disposition de la glace sous le navire.

– Voilà une bonne précaution, dit-il.

– Sans cela, monsieur Clawbonny, répondit Johnson, on n’y résisterait pas. Maintenant, nous pouvons sans crainte élever une muraille de neige jusqu’à la hauteur du plat-bord ; et, si nous voulons, nous lui donnerons dix pieds d’épaisseur, car les matériaux ne manquent pas.

– Excellente idée, reprit le docteur ; la neige est un mauvais conducteur de la chaleur ; elle réfléchit au lieu d’absorber, et la température intérieure ne pourra pas s’échapper au dehors.

– Cela est vrai, répondit Johnson ; nous élevons une fortification contre le froid, mais aussi contre les animaux, s’il leur prend fantaisie de nous rendre visite ; le travail terminé, cela aura bonne tournure, vous verrez ; nous taillerons dans cette masse de neige deux escaliers, donnant accès l’un à l’avant, l’autre à l’arrière du navire ; une fois les marches taillées au couteau, nous répandrons de l’eau dessus ; cette eau se convertira en une glace dure comme du roc, et nous aurons un escalier royal.

– Parfait, répondit le docteur, et, il faut l’avouer, il est heureux que le froid engendre la neige et la glace, c’est-à-dire de quoi se protéger contre lui. Sans cela, on serait fort embarrassé.

En effet, le navire était destiné à disparaître sous une couche épaisse de glace, à laquelle il demandait la conservation de sa température intérieure ; un toit fait d’épaisses toiles goudronnées et recouvertes de neige fut construit au dessus du pont sur toute sa longueur ; la toile descendait assez bas pour recouvrir les flancs du navire. Le pont, se trouvant à l’abri de toute impression du dehors, devint un véritable promenoir ; il fut recouvert de deux pieds et demi de neige ; cette neige fut foulée et battue de manière à devenir très dure ; là elle faisait encore obstacle au rayonnement de la chaleur interne ; on étendit au-dessus d’elle une couche de sable, qui devint, s’incrustant, un macadamisage de la plus grande dureté.

– Un peu plus, disait le docteur, et avec quelques arbres, je me croirais à Hyde-Park, et même dans les jardins suspendus de Babylone.

On fit un trou à feu à une distance assez rapprochée du brick ; c’était un espace circulaire creusé dans le champ, un véritable puits, qui devait être maintenu toujours praticable ; chaque matin, on brisait la glace formée à l’orifice ; il devait servir à se procurer de l’eau en cas d’incendie, ou pour les bains fréquents ordonnés aux hommes de l’équipage par mesure d’hygiène ; on avait même soin, afin d’épargner le combustible, de puiser l’eau dans des couches profondes, où elle est moins froide ; on parvenait à ce résultat au moyen d’un appareil indiqué par un savant français[49] ; cet appareil, descendu à une certaine profondeur, donnait accès à l’eau environnante au moyen d’un double fond mobile dans un cylindre.

Habituellement, on enlève, pendant les mois d’hiver, tous les objets qui encombrent le navire, afin de se réserver de plus larges espaces ; on dépose ces objets à terre dans des magasins. Mais ce qui peut se pratiquer près d’une côte est impossible à un navire mouillé sur un champ de glace.

Tout fut disposé à l’intérieur pour combattre les deux grands ennemis de ces latitudes, le froid et l’humidité ; le premier amenait le second, plus redoutable encore ; on résiste au froid, on succombe à l’humidité ; il s’agissait donc de la prévenir.

Le Forward, destiné à une navigation dans les mers arctiques, offrait l’aménagement le meilleur pour un hivernage : la grande chambre de l’équipage était sagement disposée ; on y avait fait la guerre aux coins où l’humidité se réfugie d’abord ; en effet, par certains abaissements de température, une couche de glace se forme sur les cloisons, dans les coins particulièrement, et, quand elle vient à se fondre, elle entretient une humidité constante. Circulaire, la salle de l’équipage eût encore mieux convenu ; mais enfin, chauffée par un vaste poêle, et convenablement ventilée, elle devait être très habitable ; les murs étaient tapissés de peaux de daims, et non d’étoffes de laine, car la laine arrête les vapeurs qui s’y condensent, et imprègnent l’atmosphère d’un principe humide.

Les cloisons furent abattues dans la dunette, et les officiers eurent une salle commune plus grande, plus aérée, et chauffée par un poêle. Cette salle, ainsi que celle de l’équipage, était précédée d’une sorte d’antichambre, qui lui enlevait toute communication directe avec l’extérieur. De cette façon, la chaleur ne pouvait se perdre, et l’on passait graduellement d’une température à l’autre. On laissait dans les antichambres les vêtements chargés de neige ; on se frottait les pieds à des scrapers[50] installés au dehors, de manière à n’introduire avec soi aucun élément malsain.

Des manches en toile servaient à l’introduction de l’air destiné au tirage des poêles ; d’autres manches permettaient à la vapeur d’eau de s’échapper. Au surplus, des condensateurs étaient établis dans les deux salles, et recueillaient cette vapeur au lieu de la laisser se résoudre en eau ; on les vidait deux fois par semaine, et ils renfermaient quelquefois plusieurs boisseaux de glace. C’était autant de pris sur l’ennemi.

Le feu se réglait parfaitement et facilement, au moyen des manches à air ; on reconnut qu’une petite quantité de charbon suffisait à maintenir dans les salles une température de cinquante degrés (+10° centigrades). Cependant Hatteras, après avoir fait jauger ses soutes, vit bien que même avec la plus grande parcimonie il n’avait pas pour deux mois de combustible.

Un séchoir fut installé pour les vêtements qui devaient être souvent lavés ; on ne pouvait les faire sécher à l’air, car ils devenaient durs et cassants.

Les parties délicates de la machine furent aussi démontées avec soin ; la chambre qui la renfermait fut hermétiquement close.

La vie du bord devint l’objet de sérieuses méditations ; Hatteras la régla avec le plus grand soin, et le règlement fut affiché dans la salle commune. Les hommes se levaient à six heures du matin ; les hamacs étaient exposés à l’air trois fois par semaine ; le plancher des deux chambres fut frotté chaque matin avec du sable chaud ; le thé brûlant figurait à chaque repas, et la nourriture variait autant que possible suivant les jours de la semaine ; elle se composait de pain, de farine, de gras de bœuf et de raisins secs pour les puddings, de sucre, de cacao, de thé, de riz, de jus de citron, de viande conservée, de bœuf et de porc salé, de choux, et de légumes au vinaigre ; la cuisine était située en dehors des salles communes ; on se privait ainsi de sa chaleur ; mais la cuisson des aliments est une source constante d’évaporation et d’humidité.

La santé des hommes dépend beaucoup de leur genre de nourriture ; sous ces latitudes élevées, on doit consommer le plus possible de matières animales. Le docteur avait présidé à la rédaction du programme d’alimentation.

– Il faut prendre exemple sur les Esquimaux, disait-il ; ils ont reçu les leçons de la nature et sont nos maîtres en cela ; si les Arabes, si les Africains peuvent se contenter de quelques dattes et d’une poignée de riz, ici il est important de manger, et beaucoup. Les Esquimaux absorbent jusqu’à dix et quinze livres d’huile par jour. Si ce régime ne vous plaît pas, nous devons recourir aux matières riches en sucre et en graisse. En un mot, il nous faut du carbone, faisons du carbone ! c’est bien de mettre du charbon dans le poêle, mais n’oublions pas d’en bourrer ce précieux poêle que nous portons en nous !

Avec ce régime, une propreté sévère fut imposée à l’équipage ; chacun dut prendre tous les deux jours un bain de cette eau à demi glacée, que procurait le trou à feu, excellent moyen de conserver sa chaleur naturelle. Le docteur donnait l’exemple ; il le fit d’abord comme une chose qui devait lui être fort désagréable ; mais ce prétexte lui échappa bientôt, car il finit par trouver un plaisir véritable à cette immersion très hygiénique.

Lorsque le travail, ou la chasse, ou les reconnaissances entraînaient les gens de l’équipage au dehors par les grands froids, ils devaient prendre garde surtout à ne pas être frost bitten, c’est-à-dire gelés dans une partie quelconque du corps ; si le cas arrivait, on se hâtait, à l’aide de frictions de neige, de rétablir la circulation du sang. D’ailleurs, les hommes, soigneusement vêtus de laine sur tout le corps, portaient des capotes en peau de daim et des pantalons de peaux de phoque qui sont parfaitement imperméables au vent.

Les divers aménagements du navire, l’installation du bord, prirent environ trois semaines, et l’on arriva au 10 octobre sans incident particulier.

Chapitre 25 UN VIEUX RENARD DE JAMES ROSS

Ce jour-là, le thermomètre s’abaissa jusqu’à trois degrés au dessous de zéro (-16° centigrades). Le temps fut assez calme ; le froid se supportait facilement en l’absence de la brise. Hatteras, profitant de la clarté de l’atmosphère, alla reconnaître les plaines environnantes ; il gravit l’un des plus hauts ice-bergs du nord, et n’embrassa dans le champ de sa lunette qu’une suite de montagnes de glaces et d’ice-fields. Pas une terre en vue, mais bien l’image du chaos sous son plus triste aspect. Il revint à bord, essayant de calculer la longueur probable de sa captivité.

Les chasseurs, et parmi eux, le docteur, James Wall, Simpson, Johnson, Bell, ne manquaient pas de pourvoir le navire de viande fraîche. Les oiseaux avaient disparu, cherchant au sud des climats moins rigoureux. Les ptarmigans seuls, perdrix de rocher particulières à cette latitude, ne fuyaient pas devant l’hiver ; on pouvait les tuer facilement, et leur grand nombre promettait une réserve abondante de gibier.

Les lièvres, les renards, les loups, les hermines, les ours ne manquaient pas ; un chasseur français, anglais ou norvégien n’eût pas eu le droit de se plaindre ; mais ces animaux, très farouches, ne se laissaient guère approcher ; on les distinguait difficilement d’ailleurs sur ces plaines blanches dont ils possédaient la blancheur, car, avant les grands froids, ils changent de couleur et revêtent leur fourrure d’hiver. Le docteur constata, contrairement à l’opinion de certains naturalistes, que ce changement ne provenait pas du grand abaissement de la température, car il avait lieu avant le mois d’octobre ; il ne résultait donc pas d’une cause physique, mais bien de la prévoyance providentielle, qui voulait mettre les animaux arctiques en mesure de braver la rigueur d’un hiver boréal.

Are sens