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Il existait donc à peu de distance une terre nouvelle, et le docteur brûlait du désir d’en enrichir les cartes de l’hémisphère boréal. On ne peut se figurer ce plaisir de relever des côtes inconnues et d’en former le tracé de la pointe du crayon ; c’était le but du docteur, si celui d’Hatteras était de fouler de son pied le pôle même, et il se réjouissait d’avance en songeant aux noms dont il baptiserait les mers, les détroits, les baies, les moindres sinuosités de ces nouveaux continents. Certes, dans cette glorieuse nomenclature, il n’omettait ni ses compagnons, ni ses amis, ni « Sa Gracieuse Majesté », ni la famille royale ; mais il ne s’oubliait pas lui-même, et il entrevoyait un certain « cap Clawbonny » avec une légitime satisfaction.

Ces pensées l’occupèrent toute la journée. On disposa le campement du soir, suivant l’habitude, et chacun veilla à tour de rôle pendant cette nuit passée près de terres inconnues.

Le lendemain, le dimanche, après un fort déjeuner fourni par les pattes de l’ours, et qui fut excellent, les voyageurs se dirigèrent au nord, en inclinant un peu vers l’ouest ; le chemin devenait plus difficile ; on marchait vite cependant.

Altamont, du haut du traîneau, observait l’horizon avec une attention fébrile ; ses compagnons étaient en proie à une inquiétude involontaire. Les dernières observations solaires avaient donné pour latitude exacte 83° 35’ et pour longitude 120° 15’ ; c’était la situation assignée au navire américain ; la question de vie ou de mort allait donc recevoir sa solution pendant cette journée.

Enfin, vers les deux heures de l’après-midi, Altamont, se dressant tout debout, arrêta la petite troupe par un cri retentissant, et, montrant du doigt une masse blanche que tout autre regard eût confondue avec les ice-bergs environnants, il s’écria d’une voix forte :

Le Porpoise !

Chapitre 6 LE « PORPOISE »

Le 24 mars était ce jour de grande fête, ce dimanche des Rameaux, pendant lequel les rues des villages et des villes de l’Europe sont jonchées de fleurs et de feuillage ; alors les cloches retentissent dans les airs et l’atmosphère se remplit de parfums pénétrants.

Mais ici, dans ce pays désolé, quelle tristesse ! quel silence ! Un vent âpre et cuisant, pas une feuille desséchée, pas un brin d’herbe !

Et cependant, ce dimanche était aussi un jour de réjouissance pour les voyageurs, car ils allaient trouver enfin ces ressources dont la privation les eût condamnés à une mort prochaine.

Ils pressèrent le pas ; les chiens tirèrent avec plus d’énergie, Duk aboya de satisfaction, et la troupe arriva bientôt au navire américain.

Le Porpoise était entièrement enseveli sous la neige ; il n’avait plus ni mât, ni vergue, ni cordage ; tout son gréement fut brisé à l’époque du naufrage. Le navire se trouvait encastré dans un lit de rochers complètement invisibles alors. Le Porpoise, couché sur le flanc par la violence du choc, sa carène entrouverte, paraissait inhabitable.

C’est ce que le capitaine, le docteur et Johnson reconnurent, après avoir pénétré non sans peine à l’intérieur du navire. Il fallut déblayer plus de quinze pieds de glace pour arriver au grand panneau ; mais, à la joie générale, on vit que les animaux, dont le champ offrait des traces nombreuses, avaient respecté le précieux dépôt de provisions.

– Si nous avons ici, dit Johnson, combustible et nourriture assurés, cette coque ne me paraît pas logeable.

– Eh bien, il faut construire une maison de neige, répondit Hatteras, et nous installer de notre mieux sur le continent.

– Sans doute, reprit le docteur ; mais ne nous pressons pas, et faisons bien les choses. À la rigueur, on peut se caser provisoirement dans le navire ; pendant ce temps, nous bâtirons une solide maison, capable de nous protéger contre le froid et les animaux. Je me charge d’en être l’architecte, et vous me verrez à l’œuvre !

– Je ne doute pas de vos talents, monsieur Clawbonny, répondit Johnson ; installons-nous ici de notre mieux, et nous ferons l’inventaire de ce que renferme ce navire ; malheureusement, je ne vois ni chaloupe, ni canot, et ces débris sont en trop mauvais état pour nous permettre de construire une embarcation.

– Qui sait ? répondit le docteur ; avec le temps et la réflexion, on fait bien des choses ; maintenant, il n’est pas question de naviguer, mais de se créer une demeure sédentaire : je propose donc de ne pas former d’autres projets et de faire chaque chose à son heure.

– Cela est sage, répondit Hatteras ; commençons par le plus pressé.

Les trois compagnons quittèrent le navire, revinrent au traîneau et firent part de leurs idées à Bell et à l’Américain. Bell se déclara prêt à travailler ; l’Américain secoua la tête en apprenant qu’il n’y avait rien à faire de son navire ; mais, comme cette discussion eût été oiseuse en ce moment, on s’en tint au projet de se réfugier d’abord dans le Porpoise et de construire une vaste habitation sur la côte.

À quatre heures du soir, les cinq voyageurs étaient installés tant bien que mal dans le faux pont ; au moyen d’espars et de débris de mâts, Bell avait installé un plancher à peu près horizontal ; on y plaça les couchettes durcies par la gelée, que la chaleur d’un poêle ramena bientôt à leur état naturel. Altamont, appuyé sur le docteur, put se rendre sans trop de peine au coin qui lui avait été réservé. En mettant le pied sur son navire, il laissa échapper un soupir de satisfaction qui ne parut pas de trop bon augure au maître d’équipage.

– Il se sent chez lui, pensa le vieux marin, et on dirait qu’il nous invite !

Le reste de la journée fut consacré au repos. Le temps menaçait de changer, sous l’influence des coups de vent de l’ouest ; le thermomètre placé à l’extérieur marqua vingt-six degrés (-32° centigrades).

En somme, le Porpoise se trouvait placé au-delà du pôle du froid et sous une latitude relativement moins glaciale, quoique plus rapprochée du nord.

On acheva, ce jour-là, de manger les restes de l’ours, avec des biscuits trouvés dans la soute du navire et quelques tasses de thé ; puis la fatigue l’emporta, et chacun s’endormit d’un profond sommeil.

Le matin, Hatteras et ses compagnons se réveillèrent un peu tard. Leurs esprits suivaient la pente d’idées nouvelles ; l’incertitude du lendemain ne les préoccupait plus ; ils ne songeaient qu’à s’installer d’une confortable façon. Ces naufragés se considéraient comme des colons arrivés à leur destination, et, oubliant les souffrances du voyage, ils ne pensaient plus qu’à se créer un avenir supportable.

– Ouf ! s’écria le docteur en se détirant les bras, c’est quelque chose de n’avoir point à se demander où l’on couchera le soir et ce que l’on mangera le lendemain.

– Commençons par faire l’inventaire du navire, répondit Johnson.

Le Porpoise avait été parfaitement équipé et approvisionné pour une campagne lointaine.

L’inventaire donna les quantités de provisions suivantes : six mille cent cinquante livres de farine, de graisse, de raisins secs pour les puddings ; deux mille livres de bœuf et de cochon salé ; quinze cents livres de pemmican ; sept cents livres de sucre, autant de chocolat ; une caisse et demie de thé, pesant quatre-vingt seize livres : cinq cents livres de riz ; plusieurs barils de fruits et de légumes conservés ; du lime-juice en abondance, des graines de cochléaria, d’oseille, de cresson ; trois cents gallons de rhum et d’eau-de-vie. La soute offrait une grande quantité de poudre, de balles et de plomb ; le charbon et le bois se trouvaient en abondance. Le docteur recueillit avec soin les instruments de physique et de navigation, et même une forte pile de Bunsen, qui avait été emportée dans le but de faire des expériences d’électricité.

En somme, les approvisionnements de toutes sortes pouvaient suffire à cinq hommes pendant plus de deux ans, à ration entière. Toute crainte de mourir de faim ou de froid s’évanouissait.

– Voilà notre existence assurée, dit le docteur au capitaine, et rien ne nous empêchera de remonter jusqu’au pôle.

– Jusqu’au pôle ! répondit Hatteras en tressaillant.

– Sans doute, reprit le docteur ; pendant les mois d’été, qui nous empêchera de pousser une reconnaissance à travers les terres ?

– À travers les terres, oui ! mais à travers les mers ?

– Ne peut-on construire une chaloupe avec les planches du Porpoise ?

– Une chaloupe américaine, n’est-ce pas ? répondit dédaigneusement Hatteras, et commandée par cet Américain !

Le docteur comprit la répugnance du capitaine et ne jugea pas nécessaire de pousser plus avant cette question. Il changea donc le sujet de la conversation.

– Maintenant que nous savons à quoi nous en tenir sur nos approvisionnements, reprit-il, il faut construire des magasins pour eux et une maison pour nous. Les matériaux ne manquent pas, et nous pouvons nous installer très commodément. J’espère, Bell, ajouta le docteur en s’adressant au charpentier, que vous allez vous distinguer, mon ami ; d’ailleurs, je pourrai vous donner quelques bons conseils.

– Je suis prêt, monsieur Clawbonny, répondit Bell ; au besoin, je ne serais pas embarrassé de construire, au moyen de ces blocs de glace, une ville tout entière avec ses maisons et ses rues…

– Eh ! il ne nous en faut pas tant ; prenons exemple sur les agents de la Compagnie de la baie d’Hudson : ils construisent des forts qui les mettent à l’abri des animaux et des Indiens ; c’est tout ce qu’il nous faut ; retranchons-nous de notre mieux ; d’un côté l’habitation, de l’autre les magasins, avec une espèce de courtine et deux bastions pour nous couvrir. Je tâcherai de me rappeler pour cette circonstance mes connaissances en castramétation.

– Ma foi ! monsieur Clawbonny, dit Johnson, je ne doute pas que nous ne fassions quelque chose de beau sous votre direction.

– Eh bien, mes amis, il faut d’abord choisir notre emplacement ; un bon ingénieur doit avant tout reconnaître son terrain. Venez-vous, Hatteras ?

– Je m’en rapporte à vous, docteur, répondit le capitaine. Faites, tandis que je vais remonter la côte.

Altamont, trop faible encore pour prendre part aux travaux, fut laissé à bord de son navire, et les Anglais prirent pied sur le continent.

Le temps était orageux et épais ; le thermomètre à midi marquait onze degrés au-dessous de zéro (-23° centigrades) ; mais, en l’absence du vent, la température restait supportable.

À en juger par la disposition du rivage, une mer considérable, entièrement prise alors, s’étendait à perte de vue vers l’ouest ; elle était bornée à l’est par une côte arrondie, coupée d’estuaires profonds et relevée brusquement à deux cents yards de la plage ; elle formait ainsi une vaste baie hérissée de ces rochers dangereux sur lesquels le Porpoise fit naufrage ; au loin, dans les terres, se dressait une montagne dont le docteur estima l’altitude à cinq cents toises environ. Vers le nord, un promontoire venait mourir à la mer, après avoir couvert une partie de la baie. Une île d’une étendue moyenne, ou mieux un îlot, émergeait du champ de glace à trois milles de la côte, de sorte que, n’eût été la difficulté d’entrer dans cette rade, elle offrait un mouillage sûr et abrité. Il y avait même, dans une échancrure du rivage, un petit havre très accessible aux navires, si toutefois le dégel dégageait jamais cette partie de l’océan Arctique. Cependant, suivant les récits de Belcher et de Penny, toute cette mer devait être libre pendant les mois d’été.

À mi-côte, le docteur remarqua une sorte de plateau circulaire d’un diamètre de deux cents pieds environ ; il dominait la baie sur trois de ses côtés, et le quatrième était fermé par une muraille à pic haute de vingt toises ; on ne pouvait y parvenir qu’au moyen de marches évidées dans la glace. Cet endroit parut propre à asseoir une construction solide, et il pouvait se fortifier aisément ; la nature avait fait les premiers frais ; il suffisait de profiter de la disposition des lieux.

Le docteur, Bell et Johnson atteignirent ce plateau en taillant à la hache les blocs de glace ; il se trouvait parfaitement uni. Le docteur, après avoir reconnu l’excellence de l’emplacement, résolut de le déblayer des dix pieds de neige durcie qui le recouvraient ; il fallait en effet établir l’habitation et les magasins sur une base solide.

Pendant la journée du lundi, du mardi et du mercredi, on travailla sans relâche ; enfin le sol apparut ; il était formé d’un granit très dur à grain serré, dont les arêtes vives avaient l’acuité du verre ; il renfermait en outre des grenats et de grands cristaux de feldspath, que la pioche fit jaillir.

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