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– Eh bien, nous mettrons le feu à la mine quand cela nous plaira, instantanément et sans danger.

– Hurrah ! s’écria Johnson.

– Hurrah ! répétèrent ses compagnons, sans se soucier d’être ou non entendus de leurs ennemis.

Aussitôt, les fils électriques furent déroulés dans la galerie depuis la maison jusqu’à la chambre de la mine. Une de leurs extrémités demeura enroulée à la pile, et l’autre plongea au centre du tonnelet, les deux bouts restant placés à une petite distance l’un de l’autre.

À neuf heures du matin, tout fut terminé. Il était temps ; les ours se livraient avec furie à leur rage de démolition.

Le docteur jugea le moment arrivé. Johnson fut placé dans le magasin à poudre, et chargé de tirer sur la corde rattachée au poteau. Il prit place à son poste.

– Maintenant, dit le docteur à ses compagnons, préparez vos armes, pour le cas où les assiégeants ne seraient pas tués du premier coup, et rangez-vous auprès de Johnson : aussitôt après l’explosion, faites irruption au-dehors.

– Convenu, répondit l’Américain.

– Et maintenant, nous avons fait tout ce que des hommes peuvent faire ! nous nous sommes aidés ! que le Ciel nous aide !

Hatteras, Altamont et Bell se rendirent à la poudrière. Le docteur resta seul près de la pile.

Bientôt, il entendit la voix éloignée de Johnson qui criait :

– Attention !

– Tout va bien, répondit-il.

Johnson tira vigoureusement la corde ; elle vint à lui, entraînant le pieu ; puis, il se précipita à la meurtrière et regarda.

La surface du talus s’était affaissée. Le corps du renard apparaissait au-dessus des débris de glace. Les ours, surpris d’abord, ne tardèrent pas à se précipiter en groupe serré sur cette proie nouvelle.

– Feu ! cria Johnson.

Le docteur établit aussitôt le courant électrique entre ses fils ; une explosion formidable eut lieu ; la maison oscilla comme dans un tremblement de terre ; les murs se fendirent. Hatteras, Altamont et Bell se précipitèrent hors du magasin à poudre, prêts à faire feu.

Mais leurs armes furent inutiles ; quatre ours sur cinq, englobés dans l’explosion, retombèrent çà et là en morceaux, méconnaissables, mutilés, carbonisés, tandis que le dernier, à demi rôti, s’enfuyait à toutes jambes.

– Hurrah ! hurrah ! hurrah ! s’écrièrent les compagnons de Clawbonny, pendant que celui-ci se précipitait en souriant dans leurs bras.

Chapitre 14 LE PRINTEMPS POLAIRE

Les prisonniers étaient délivrés ; leur joie se manifesta par de chaudes démonstrations et de vifs remerciements au docteur. Le vieux Johnson regretta bien un peu les peaux d’ours, brûlées et hors de service ; mais ce regret n’influa pas sensiblement sur sa belle humeur.

La journée se passa à restaurer la maison de neige, qui s’était fort ressentie de l’explosion. On la débarrassa des blocs entassés par les animaux, et ses murailles furent rejointoyées. Le travail se fit rapidement, à la voix du maître d’équipage, dont les bonnes chansons faisaient plaisir à entendre.

Le lendemain, la température s’améliora singulièrement, et, par une brusque saute de vent, le thermomètre remonta à quinze degrés au-dessus de zéro (-9° centigrades). Une différence si considérable fut vivement ressentie par les hommes et les choses. La brise du sud ramenait avec elle les premiers indices du printemps polaire.

Cette chaleur relative persista pendant plusieurs jours ; le thermomètre, à l’abri du vent, marqua même trente et un degrés au-dessus de zéro (-1° centigrades), des symptômes de dégel vinrent à se manifester.

La glace commençait à se crevasser ; quelques jaillissements d’eau salée se produisaient çà et là, comme les jets liquides d’un parc anglais ; quelques jours plus tard, la pluie tombait en grande abondance.

Une vapeur intense s’élevait des neiges ; c’était de bon augure, et la fonte de ces masses immenses paraissait prochaine. Le disque pâle du soleil tendait à se colorer davantage et traçait des spirales plus allongées au-dessus de l’horizon ; la nuit durait trois heures à peine.

Autre symptôme non moins significatif, quelques ptarmigans, les oies boréales, les pluviers, les gelinottes, revenaient par bandes ; l’air s’emplissait peu à peu de ces cris assourdissants dont les navigateurs du printemps dernier se souvenaient encore. Des lièvres, que l’on chassa avec succès, firent leur apparition sur les rivages de la baie, ainsi que la souris arctique, dont les petits terriers formaient un système d’alvéoles régulières.

Le docteur fit remarquer à ses compagnons que presque tous ces animaux commençaient à perdre le poil ou la plume blanche de l’hiver pour revêtir leur parure d’été ; ils se « printanisaient » à vue d’œil, tandis que la nature laissait poindre leur nourriture sous forme de mousses, de pavots, de saxifrages et de gazon nain. On sentait toute une nouvelle existence percer sous les neiges décomposées.

Mais avec les animaux inoffensifs revinrent leurs ennemis affamés ; les renards et les loups arrivèrent en quête de leur proie ; des hurlements lugubres retentirent pendant la courte obscurité des nuits.

Le loup de ces contrées est très proche parent du chien ; comme lui, il aboie, et souvent de façon à tromper les oreilles les plus exercées, celles de la race canine, par exemple ; on dit même que ces animaux emploient cette ruse pour attirer les chiens et les dévorer. Ce fait fut observé sur les terres de la baie d’Hudson, et le docteur put le constater à la Nouvelle-Amérique ; Johnson eut soin de ne pas laisser courir ses chiens d’attelage, qui auraient pu se laisser prendre à ce piège.

Quant à Duk, il en avait vu bien d’autres, et il était trop fin pour aller se jeter dans la gueule du loup.

On chassa beaucoup pendant une quinzaine de jours ; les provisions de viandes fraîches furent abondantes ; on tua des perdrix, des ptarmigans et des ortolans de neige, qui offraient une alimentation délicieuse. Les chasseurs ne s’éloignaient pas du Fort-Providence. On peut dire que le menu gibier venait de lui-même au-devant du coup de fusil ; il animait singulièrement par sa présence ces plages silencieuses, et la baie Victoria prenait un aspect inaccoutumé qui réjouissait les yeux.

Les quinze jours qui suivirent la grande affaire des ours furent remplis par ces diverses occupations. Le dégel fit des progrès visibles ; le thermomètre remonta à trente-deux degrés au-dessus de zéro (0° centigrades) ; les torrents commencèrent à mugir dans les ravines, et des milliers de cataractes s’improvisèrent sur le penchant des coteaux.

Le docteur, après avoir déblayé une acre de terrain, y sema des graines de cresson, d’oseille et de cochléaria, dont l’influence antiscorbutique est excellente ; il voyait déjà sortir de terre de petites feuilles verdoyantes, quand tout à coup, et avec une inconcevable rapidité, le froid reparut en maître dans son empire.

En une seule nuit, et par une violente brise du nord, le thermomètre reperdit près de quarante degrés ; il retomba à huit degrés au-dessous de zéro (-22° centigrades). Tout fut gelé : oiseaux, quadrupèdes, amphibies, disparurent par enchantement ; les trous à phoques se refermèrent, les crevasses disparurent, la glace reprit sa dureté de granit, et les cascades, saisies dans leur chute, se figèrent en longs pendicules de cristal.

Ce fut un véritable changement à vue ; il se produisit dans la nuit du 11 au 12 mai. Et quand Bell, le matin, mit le nez au-dehors par cette gelée foudroyante, il faillit l’y laisser.

– Oh ! nature boréale, s’écria le docteur un peu désappointé, voilà bien de tes coups ! Allons ! j’en serai quitte pour recommencer mes semis.

Hatteras prenait la chose moins philosophiquement, tant il avait hâte de reprendre ses recherches. Mais il fallait se résigner.

– En avons-nous pour longtemps de cette température ? demanda Johnson.

– Non, mon ami, non, répondit Clawbonny ; c’est le dernier coup de patte du froid ! vous comprenez bien qu’il est ici chez lui, et on ne peut guère le chasser sans qu’il résiste.

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