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Toutefois, l’un d’eux n’était pas absolument satisfait.

C’était Pencroff. Il paraît que la caisse ne renfermait pas une chose à laquelle il semblait tenir énormément, et, à mesure que les objets en étaient retirés, ses hurrahs diminuaient d’intensité, et, l’inventaire fini, on l’entendit murmurer ces paroles :

« Tout cela, c’est bel et bon, mais vous verrez qu’il n’y aura rien pour moi dans cette boîte ! »

Ce qui amena Nab à lui dire :

« Ah çà ! Ami Pencroff, qu’attendais-tu donc ?

– Une demi-livre de tabac ! répondit sérieusement Pencroff, et rien n’aurait manqué à mon bonheur ! »

On ne put s’empêcher de rire à l’observation du marin.

Mais il résultait de cette découverte de l’épave que, maintenant et plus que jamais, il était nécessaire de faire une exploration sérieuse de l’île. Il fut donc convenu que le lendemain, dès le point du jour, on se mettrait en route, en remontant la Mercy, de manière à atteindre la côte occidentale.

Si quelques naufragés avaient débarqué sur un point de cette côte, il était à craindre qu’ils fussent sans ressource, et il fallait leur porter secours sans tarder.

Pendant cette journée, les divers objets furent transportés à Granite-House et disposés méthodiquement dans la grande salle.

Ce jour-là – 29 octobre – était précisément un dimanche, et, avant de se coucher, Harbert demanda à l’ingénieur s’il ne voudrait pas leur lire quelque passage de l’évangile.

« Volontiers », répondit Cyrus Smith.

Il prit le livre sacré, et allait l’ouvrir, quand Pencroff, l’arrêtant, lui dit :

« Monsieur Cyrus, je suis superstitieux. Ouvrez au hasard, et lisez-nous le premier verset qui tombera sous vos yeux. Nous verrons s’il s’applique à notre situation. »

Cyrus Smith sourit à la réflexion du marin, et, se rendant à son désir, il ouvrit l’évangile précisément à un endroit où un signet en séparait les pages.

Soudain, ses regards furent arrêtés par une croix rouge, qui, faite au crayon, était placée devant le verset 8 du chapitre VII de l’évangile de saint Mathieu.

Et il lut ce verset, ainsi conçu : Quiconque demande reçoit, et qui cherche trouve.


CHAPITRE III

Le lendemain, – 30 octobre, – tout était prêt pour l’exploration projetée, que les derniers événements rendaient si urgente. En effet, les choses avaient tourné ainsi, que les colons de l’île Lincoln pouvaient s’imaginer n’en être plus à demander des secours, mais bien à pouvoir en porter.

Il fut donc convenu que l’on remonterait la Mercy, aussi loin que le courant de la rivière serait praticable. Une grande partie de la route se ferait ainsi sans fatigues, et les explorateurs pourraient transporter leurs provisions et leurs armes jusqu’à un point avancé dans l’ouest de l’île.

Il avait fallu, en effet, songer non seulement aux objets que l’on emportait, mais aussi à ceux que le hasard permettrait peut-être de ramener à Granite-House. S’il y avait eu un naufrage sur la côte, comme tout le faisait présumer, les épaves ne manqueraient pas et seraient de bonne prise. Dans cette prévision, le chariot eût, sans doute, mieux convenu que la fragile pirogue ; mais ce chariot, lourd et grossier, il fallait le traîner, ce qui en rendait l’emploi moins facile, et ce qui amena Pencroff à exprimer le regret que la caisse n’eût pas contenu, en même temps que « sa demi-livre de tabac », une paire de ces vigoureux chevaux du New-Jersey, qui eussent été fort utiles à la colonie !

Les provisions, déjà embarquées par Nab, se composaient de conserves de viande et de quelques gallons de bière et de liqueur fermentée, c’est-à-dire de quoi se sustenter pendant trois jours, – laps de temps le plus long que Cyrus Smith assignât à l’exploration. D’ailleurs, on comptait, au besoin, se réapprovisionner en route, et Nab n’eut garde d’oublier le petit fourneau portatif. En fait d’outils, les colons prirent les deux haches de bûcheron, qui devaient servir à frayer une route dans l’épaisse forêt, et, en fait d’instruments, la lunette et la boussole de poche.

Pour armes, on choisit les deux fusils à pierre, plus utiles dans cette île que n’eussent été des fusils à système, les premiers n’employant que des silex, faciles à remplacer, et les seconds exigeant des amorces fulminantes, qu’un fréquent usage eût promptement épuisées. Cependant, on prit aussi une des carabines et quelques cartouches. Quant à la poudre, dont les barils renfermaient environ cinquante livres, il fallut bien en emporter une certaine provision, mais l’ingénieur comptait fabriquer une substance explosive qui permettrait de la ménager. Aux armes à feu, on joignit les cinq coutelas bien engaînés de cuir, et, dans ces conditions, les colons pouvaient s’aventurer dans cette vaste forêt avec quelque chance de se tirer d’affaire.

Inutile d’ajouter que Pencroff, Harbert et Nab, ainsi armés, étaient au comble de leurs vœux, bien que Cyrus Smith leur eût fait promettre de ne pas tirer un coup de fusil sans nécessité.

À six heures du matin, la pirogue était poussée à la mer. Tous s’embarquaient, y compris Top, et se dirigeaient vers l’embouchure de la Mercy.

La marée ne montait que depuis une demi-heure. Il y avait donc encore quelques heures de flot dont il convenait de profiter, car, plus tard, le jusant rendrait difficile le remontage de la rivière. Le flux était déjà fort, car la lune devait être pleine trois jours après, et la pirogue, qu’il suffisait de maintenir dans le courant, marcha rapidement entre les deux hautes rives, sans qu’il fût nécessaire d’accroître sa vitesse avec l’aide des avirons. En quelques minutes, les explorateurs étaient arrivés au coude que formait la Mercy, et précisément à l’angle où, sept mois auparavant, Pencroff avait formé son premier train de bois.

Après cet angle assez aigu, la rivière, en s’arrondissant, obliquait vers le sud-ouest, et son cours se développait sous l’ombrage de grands conifères à verdure permanente.

L’aspect des rives de la Mercy était magnifique.

Cyrus Smith et ses compagnons ne pouvaient qu’admirer sans réserve ces beaux effets qu’obtient si facilement la nature avec de l’eau et des arbres.

À mesure qu’ils s’avançaient, les essences forestières se modifiaient. Sur la rive droite de la rivière s’étageaient de magnifiques échantillons des ulmacées, ces précieux francs-ormes, si recherchés des constructeurs, et qui ont la propriété de se conserver longtemps dans l’eau. Puis, c’étaient de nombreux groupes appartenant à la même famille, entre autres des micocouliers, dont l’amande produit une huile fort utile. Plus loin, Harbert remarqua quelques lardizabalées, dont les rameaux flexibles, macérés dans l’eau, fournissent d’excellents cordages, et deux ou trois troncs d’ébénacées, qui présentaient une belle couleur noire coupée de capricieuses veines. De temps en temps, à certains endroits, où l’atterrissage était facile, le canot s’arrêtait.

Alors Gédéon Spilett, Harbert, Pencroff, le fusil à la main et précédés de Top, battaient la rive. Sans compter le gibier, il pouvait se rencontrer quelque utile plante qu’il ne fallait point dédaigner, et le jeune naturaliste fut servi à souhait, car il découvrit une sorte d’épinards sauvages de la famille des chénopodées et de nombreux échantillons de crucifères, appartenant au genre chou, qu’il serait certainement possible de « civiliser » par la transplantation ; c’étaient du cresson, du raifort, des raves et enfin de petites tiges rameuses, légèrement velues, hautes d’un mètre, qui produisaient des graines presque brunes.

« Sais-tu ce que c’est que cette plante-là ? demanda Harbert au marin.

– Du tabac ! s’écria Pencroff, qui, évidemment, n’avait jamais vu sa plante de prédilection que dans le fourneau de sa pipe.

– Non ! Pencroff ! répondit Harbert, ce n’est pas du tabac, c’est de la moutarde.

– Va pour la moutarde ! répondit le marin, mais si, par hasard, un plant de tabac se présentait, mon garçon, veuillez ne point le dédaigner.

– Nous en trouverons un jour ! dit Gédéon Spilett.

– Vrai ! s’écria Pencroff. Eh bien, ce jour-là, je ne sais vraiment plus ce qui manquera à notre île ! »

Ces diverses plantes, qui avaient été déracinées avec soin, furent transportées dans la pirogue, que ne quittait pas Cyrus Smith, toujours absorbé dans ses réflexions.

Le reporter, Harbert et Pencroff débarquèrent ainsi plusieurs fois, tantôt sur la rive droite de la Mercy, tantôt sur sa rive gauche. Celle-ci était moins abrupte, mais celle-là plus boisée. L’ingénieur put reconnaître, en consultant sa boussole de poche, que la direction de la rivière depuis le premier coude était sensiblement sud-ouest et nord-est, et presque rectiligne sur une longueur de trois milles environ. Mais il était supposable que cette direction se modifiait plus loin et que la Mercy remontait au nord-ouest, vers les contreforts du mont Franklin, qui devaient l’alimenter de leurs eaux.

Pendant une de ces excursions, Gédéon Spilett parvint à s’emparer de deux couples de gallinacés vivants. C’étaient des volatiles à becs longs et grêles, à cous allongés, courts d’ailes et sans apparence de queue. Harbert leur donna, avec raison, le nom de « tinamous », et il fut résolu qu’on en ferait les premiers hôtes de la future basse-cour.

Mais jusqu’alors les fusils n’avaient point parlé, et la première détonation qui retentit dans cette forêt du Far-West fut provoquée par l’apparition d’un bel oiseau qui ressemblait anatomiquement à un martin-pêcheur.

« Je le reconnais ! » s’écria Pencroff, et on peut dire que son coup partit malgré lui.

« Que reconnaissez-vous ? demanda le reporter.

– Le volatile qui nous a échappé à notre première excursion et dont nous avons donné le nom à cette partie de la forêt.

– Un jacamar ! » s’écria Harbert.

C’était un jacamar, en effet, bel oiseau dont le plumage assez rude est revêtu d’un éclat métallique. Quelques grains de plomb l’avaient jeté à terre, et Top le rapporta au canot, en même temps qu’une douzaine de « touracos-loris », sortes de grimpeurs de la grosseur d’un pigeon, tout peinturlurés de vert, avec une partie des ailes de couleur cramoisie et une huppe droite festonnée d’un liseré blanc. Au jeune garçon revint l’honneur de ce beau coup de fusil, et il s’en montra assez fier. Les loris faisaient un gibier meilleur que le jacamar, dont la chair est un peu coriace, mais on eût difficilement persuadé à Pencroff qu’il n’avait point tué le roi des volatiles comestibles.

Il était dix heures du matin, quand la pirogue atteignit un second coude de la Mercy, environ à cinq milles de son embouchure. On fit halte en cet endroit pour déjeuner, et cette halte, à l’abri de grands et beaux arbres, se prolongea pendant une demi-heure.

La rivière mesurait encore soixante à soixante-dix pieds de large, et son lit cinq à six pieds de profondeur. L’ingénieur avait observé que de nombreux affluents en grossissaient le cours, mais ce n’étaient que de simples rios innavigables. Quant à la forêt, aussi bien sous le nom de bois du Jacamar que sous celui de forêts du Far-West, elle s’étendait à perte de vue. Nulle part, ni sous les hautes futaies, ni sous les arbres des berges de la Mercy, ne se décelait la présence de l’homme. Les explorateurs ne purent trouver une trace suspecte, et il était évident que jamais la hache du bûcheron n’avait entaillé ces arbres, que jamais le couteau du pionnier n’avait tranché ces lianes tendues d’un tronc à l’autre, au milieu des broussailles touffues et des longues herbes. Si quelques naufragés avaient atterri sur l’île, ils n’en avaient point encore quitté le littoral, et ce n’était pas sous cet épais couvert qu’il fallait chercher les survivants du naufrage présumé.

L’ingénieur manifestait donc une certaine hâte d’atteindre la côte occidentale de l’île Lincoln, distante, suivant son estime, de cinq milles au moins.

La navigation fut reprise, et bien que, par sa direction actuelle, la Mercy parût courir, non vers le littoral, mais plutôt vers le mont Franklin, il fut décidé que l’on se servirait de la pirogue, tant qu’elle trouverait assez d’eau sous sa quille pour flotter. C’était à la fois bien des fatigues épargnées, c’était aussi du temps gagné, car il aurait fallu se frayer un chemin à la hache à travers les épais fourrés.

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