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– Ça ne se fume pas, mon pauvre Pencroff ! »

Harbert et le marin n’eurent pas à chercher longtemps un emplacement favorable pour passer la nuit. Les rochers du rivage – très divisés, car ils devaient être violemment battus par la mer sous l’influence des vents du sud-ouest – présentaient des cavités qui devaient leur permettre de dormir à l’abri des intempéries de l’air. Mais, au moment où ils se disposaient à pénétrer dans une de ces excavations, de formidables rugissements les arrêtèrent.

« En arrière ! s’écria Pencroff. Nous n’avons que du petit plomb dans nos fusils, et des bêtes qui rugissent si bien s’en soucieraient comme d’un grain de sel ! »

Et le marin, saisissant Harbert par le bras, l’entraîna à l’abri des roches, au moment où un magnifique animal se montrait à l’entrée de la caverne.

C’était un jaguar, d’une taille au moins égale à celle de ses congénères d’Asie, c’est-à-dire qu’il mesurait plus de cinq pieds de l’extrémité de la tête à la naissance de la queue. Son pelage fauve était relevé par plusieurs rangées de taches noires régulièrement ocellées et tranchait avec le poil blanc de son ventre. Harbert reconnut là ce féroce rival du tigre, bien autrement redoutable que le couguar, qui n’est que le rival du loup !

Le jaguar s’avança et regarda autour de lui, le poil hérissé, l’œil en feu, comme s’il n’eût pas senti l’homme pour la première fois. En ce moment, le reporter tournait les hautes roches, et Harbert, s’imaginant qu’il n’avait pas aperçu le jaguar, allait s’élancer vers lui ; mais Gédéon Spilett lui fit un signe de la main et continua de marcher. Il n’en était pas à son premier tigre, et, s’avançant jusqu’à dix pas de l’animal, il demeura immobile, la carabine à l’épaule, sans qu’un de ses muscles tressaillît.

Le jaguar, ramassé sur lui-même, fondit sur le chasseur, mais, au moment où il bondissait, une balle le frappait entre les deux yeux, et il tombait mort.

Harbert et Pencroff se précipitèrent vers le jaguar. Nab et Cyrus Smith accoururent de leur côté, et ils restèrent quelques instants à contempler l’animal, étendu sur le sol, dont la magnifique dépouille ferait l’ornement de la grande salle de Granite-House.

« Ah ! Monsieur Spilett ! Que je vous admire et que je vous envie ! s’écria Harbert dans un accès d’enthousiasme bien naturel.

– Bon ! mon garçon, répondit le reporter, tu en aurais fait autant.

– Moi ! un pareil sang-froid ! …

– Figure-toi, Harbert, qu’un jaguar est un lièvre, et tu le tireras le plus tranquillement du monde.

– Voilà ! répondit Pencroff. Ce n’est pas plus malin que cela !

– Et maintenant, dit Gédéon Spilett, puisque ce jaguar a quitté son repaire, je ne vois pas, mes amis, pourquoi nous ne l’occuperions pas pendant la nuit ?

– Mais d’autres peuvent revenir ! dit Pencroff.

– Il suffira d’allumer un feu à l’entrée de la caverne, dit le reporter, et ils ne se hasarderont pas à en franchir le seuil.

– À la maison des jaguars, alors ! » répondit le marin en tirant après lui le cadavre de l’animal.

Les colons se dirigèrent vers le repaire abandonné, et là, tandis que Nab dépouillait le jaguar, ses compagnons entassèrent sur le seuil une grande quantité de bois sec, que la forêt fournissait abondamment.

Mais Cyrus Smith, ayant aperçu le bouquet de bambous, alla en couper une certaine quantité, qu’il mêla au combustible du foyer.

Cela fait, on s’installa dans la grotte, dont le sable était jonché d’ossements ; les armes furent chargées à tout hasard, pour le cas d’une agression subite ; on soupa, et puis, le moment de prendre du repos étant venu, le feu fut mis au tas de bois empilé À l’entrée de la caverne. Aussitôt, une véritable pétarade d’éclater dans l’air ! C’étaient les bambous, atteints par la flamme, qui détonaient comme des pièces d’artifice !

Rien que ce fracas eût suffi à épouvanter les fauves les plus audacieux !

Et ce moyen de provoquer de vives détonations, ce n’était pas l’ingénieur qui l’avait inventé, car, suivant Marco Polo, les tartares, depuis bien des siècles, l’emploient avec succès pour éloigner de leurs campements les fauves redoutables de l’Asie centrale.


CHAPITRE V

Cyrus Smith et ses compagnons dormirent comme d’innocentes marmottes dans la caverne que le jaguar avait si poliment laissée à leur disposition. Au soleil levant, tous étaient sur le rivage, à l’extrémité même du promontoire, et leurs regards se portaient encore vers cet horizon, qui était visible sur les deux tiers de sa circonférence. Une dernière fois, l’ingénieur put constater qu’aucune voile, aucune carcasse de navire n’apparaissaient sur la mer, et la longue-vue n’y put découvrir aucun point suspect.

Rien, non plus, sur le littoral, du moins dans la partie rectiligne qui formait la côte sud du promontoire sur une longueur de trois milles, car, au delà, une échancrure des terres dissimulait le reste de la côte, et même, de l’extrémité de la presqu’île Serpentine, on ne pouvait apercevoir le cap Griffe, caché par de hautes roches.

Restait donc le rivage méridional de l’île à explorer. Or, tenterait-on d’entreprendre immédiatement cette exploration et lui consacrerait-on cette journée du 2 novembre ?

Ceci ne rentrait pas dans le projet primitif. En effet, lorsque la pirogue fut abandonnée aux sources de la Mercy, il avait été convenu qu’après avoir observé la côte ouest, on reviendrait la reprendre, et que l’on retournerait à Granite-House par la route de la Mercy. Cyrus Smith croyait alors que le rivage occidental pouvait offrir refuge, soit à un bâtiment en détresse, soit à un navire en cours régulier de navigation ; mais, du moment que ce littoral ne présentait aucun atterrage, il fallait chercher sur celui du sud de l’île ce qu’on n’avait pu trouver sur celui de l’ouest.

Ce fut Gédéon Spilett qui proposa de continuer l’exploration, de manière que la question du naufrage présumé fût complètement résolue, et il demanda à quelle distance pouvait se trouver le cap Griffe de l’extrémité de la presqu’île.

« À trente milles environ, répondit l’ingénieur, si nous tenons compte des courbures de la côte.

– Trente milles ! Reprit Gédéon Spilett. Ce sera une forte journée de marche. Néanmoins, je pense que nous devons revenir à Granite-House en suivant le rivage du sud.

– Mais, fit observer Harbert, du cap Griffe à Granite-House, il faudra encore compter dix milles, au moins.

– Mettons quarante milles en tout, répondit le reporter, et n’hésitons pas à les faire. Au moins, nous observerons ce littoral inconnu, et nous n’aurons pas à recommencer cette exploration.

– Très juste, dit alors Pencroff. Mais la pirogue ?

– La pirogue est restée seule pendant un jour aux sources de la Mercy, répondit Gédéon Spilett, elle peut bien y rester deux jours ! Jusqu’à présent, nous ne pouvons guère dire que l’île soit infestée de voleurs !

– Cependant, dit le marin, quand je me rappelle l’histoire de la tortue, je n’ai pas plus de confiance qu’il ne faut.

– La tortue ! La tortue ! répondit le reporter. Ne savez-vous pas que c’est la mer qui l’a retournée ?

– Qui sait ? Murmura l’ingénieur.

– Mais… » dit Nab.

Nab avait quelque chose à dire, cela était évident, car il ouvrait la bouche pour parler et ne parlait pas.

« Que veux-tu dire, Nab ? Lui demanda l’ingénieur.

– Si nous retournons par le rivage jusqu’au cap Griffe, répondit Nab, après avoir doublé ce cap, nous serons barrés…

– Par la Mercy ! En effet, répondit Harbert, et nous n’aurons ni pont, ni bateau pour la traverser !

– Bon, Monsieur Cyrus, répondit Pencroff, avec quelques troncs flottants, nous ne serons pas gênés de passer cette rivière !

– N’importe, dit Gédéon Spilett, il sera utile de construire un pont, si nous voulons avoir un accès facile dans le Far-West !

– Un pont ! s’écria Pencroff ! Eh bien, est-ce que M Smith n’est pas ingénieur de son état ? Mais il nous fera un pont, quand nous voudrons avoir un pont ! Quant à vous transporter ce soir sur l’autre rive de la Mercy, et cela sans mouiller un fil de vos vêtements, je m’en charge. Nous avons encore un jour de vivres, c’est tout ce qu’il nous faut, et, d’ailleurs, le gibier ne fera peut-être pas défaut aujourd’hui comme hier. En route ! »

La proposition du reporter, très vivement soutenue par le marin, obtint l’approbation générale, car chacun tenait à en finir avec ses doutes, et, à revenir par le cap Griffe, l’exploration serait complète. Mais il n’y avait pas une heure à perdre, car une étape de quarante milles était longue, et il ne fallait pas compter atteindre Granite-House avant la nuit.

À six heures du matin, la petite troupe se mit donc en route. En prévision de mauvaises rencontres, animaux à deux ou à quatre pattes, les fusils furent chargés à balle, et Top, qui devait ouvrir la marche, reçut ordre de battre la lisière de la forêt.

À partir de l’extrémité du promontoire qui formait la queue de la presqu’île, la côte s’arrondissait sur une distance de cinq milles, qui fut rapidement franchie, sans que les plus minutieuses investigations eussent relevé la moindre trace d’un débarquement ancien ou récent, ni une épave, ni un reste de campement, ni les cendres d’un feu éteint, ni une empreinte de pas !

Les colons, arrivés à l’angle sur lequel la courbure finissait pour suivre la direction nord-est en formant la baie Washington, purent alors embrasser du regard le littoral sud de l’île dans toute son étendue. À vingt-cinq milles, la côte se terminait par le cap Griffe, qui s’estompait à peine dans la brume du matin, et qu’un phénomène de mirage rehaussait, comme s’il eût été suspendu entre la terre et l’eau. Entre la place occupée par les colons et le fond de l’immense baie, le rivage se composait, d’abord, d’une large grève très unie et très plate, bordée d’une lisière d’arbres en arrière-plan ; puis, ensuite, le littoral, devenu fort irrégulier, projetait des pointes aiguës en mer, et enfin quelques roches noirâtres s’accumulaient dans un pittoresque désordre pour finir au cap Griffe.

Tel était le développement de cette partie de l’île, que les explorateurs voyaient pour la première fois, et qu’ils parcoururent d’un coup d’œil, après s’être arrêtés un instant.

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