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« Mais, disait-il, la chasse n’est pas ouverte. Gambadez donc, mes amis, sautez et volez en paix ! Nous vous dirons deux mots au retour ! »

À neuf heures et demie du matin, la route, qui portait directement dans le sud-ouest, se trouva tout à coup barrée par un cours d’eau inconnu, large de trente à quarante pieds, et dont le courant vif, provoqué par la pente de son lit et brisé par des roches nombreuses, se précipitait avec de rudes grondements.

Ce creek était profond et clair, mais il eût été absolument innavigable.

« Nous voilà coupés ! s’écria Nab.

– Non, répondit Harbert, ce n’est qu’un ruisseau, et nous saurons bien le passer à la nage.

– À quoi bon, répondit Cyrus Smith. Il est évident que ce creek court à la mer. Restons sur sa rive gauche, suivons sa berge, et je serai bien étonné s’il ne nous mène pas très promptement à la côte. En route !

– Un instant, dit le reporter. Et le nom de ce creek, mes amis ? Ne laissons pas notre géographie incomplète.

– Juste ! dit Pencroff.

– Nomme-le, mon enfant, dit l’ingénieur en s’adressant au jeune garçon.

– Ne vaut-il pas mieux attendre que nous l’ayons reconnu jusqu’à son embouchure ? fit observer Harbert.

– Soit, répondit Cyrus Smith. Suivons-le donc sans nous arrêter.

– Un instant encore ! dit Pencroff.

– Qu’y a-t-il ? demanda le reporter.

– Si la chasse est défendue, la pêche est permise, je suppose, dit le marin.

– Nous n’avons pas de temps à perdre, répondit l’ingénieur.

– Oh ! cinq minutes ! répliqua Pencroff. Je ne vous demande que cinq minutes dans l’intérêt de notre déjeuner ! »

Et Pencroff, se couchant sur la berge, plongea ses bras dans les eaux vives et fit bientôt sauter quelques douzaines de belles écrevisses qui fourmillaient entre les roches.

« Voilà qui sera bon ! s’écria Nab, en venant en aide au marin.

– Quand je vous dis qu’excepté du tabac, il y a de tout dans cette île ! » murmura Pencroff avec un soupir.

Il ne fallut pas cinq minutes pour faire une pêche miraculeuse, car les écrevisses pullulaient dans le creek. De ces crustacés, dont le test présentait une couleur bleu cobalt, et qui portaient un rostre armé d’une petite dent, on remplit un sac, et la route fut reprise. Depuis qu’ils suivaient la berge de ce nouveau cours d’eau, les colons marchaient plus facilement et plus rapidement. D’ailleurs, les rives étaient vierges de toute empreinte humaine. De temps en temps, on relevait quelques traces laissées par des animaux de grande taille, qui venaient habituellement se désaltérer à ce ruisseau, mais rien de plus, et ce n’était pas encore dans cette partie du Far-West que le pécari avait reçu le grain de plomb qui coûtait une mâchelière à Pencroff.

Cependant, en considérant ce rapide courant qui fuyait vers la mer, Cyrus Smith fut amené à supposer que ses compagnons et lui étaient beaucoup plus loin de la côte occidentale qu’ils ne le croyaient. Et, en effet, à cette heure, la marée montait sur le littoral et aurait dû rebrousser le cours du creek, si son embouchure n’eût été qu’à quelques milles seulement.

Or, cet effet ne se produisait pas, et le fil de l’eau suivait la pente naturelle du lit. L’ingénieur dut donc être très étonné, et il consulta fréquemment sa boussole, afin de s’assurer que quelque crochet de la rivière ne le ramenait pas à l’intérieur du Far-West.

Cependant, le creek s’élargissait peu à peu, et ses eaux devenaient moins tumultueuses. Les arbres de sa rive droite étaient aussi pressés que ceux de sa rive gauche, et il était impossible à la vue de s’étendre au delà ; mais ces masses boisées étaient certainement désertes, car Top n’aboyait pas, et l’intelligent animal n’eût pas manqué de signaler la présence de tout étranger dans le voisinage du cours d’eau.

À dix heures et demie, à la grande surprise de Cyrus Smith, Harbert, qui s’était porté un peu en avant, s’arrêtait soudain et s’écriait : « La mer ! »

Et quelques instants après, les colons, arrêtés sur la lisière de la forêt, voyaient le rivage occidental de l’île se développer sous leurs yeux.

Mais quel contraste entre cette côte et la côte est, sur laquelle le hasard les avait d’abord jetés ! Plus de muraille de granit, aucun écueil au large, pas même une grève de sable. La forêt formait le littoral, et ses derniers arbres, battus par les lames, se penchaient sur les eaux. Ce n’était point un littoral, tel que le fait habituellement la nature, soit en étendant de vastes tapis de sable, soit en groupant des roches, mais une admirable lisière faite des plus beaux arbres du monde. La berge était surélevée de manière à dominer le niveau des plus grandes mers, et sur tout ce sol luxuriant, supporté par une base de granit, les splendides essences forestières semblaient être aussi solidement implantées que celles qui se massaient à l’intérieur de l’île.

Les colons se trouvaient alors à l’échancrure d’une petite crique sans importance, qui n’eût même pas pu contenir deux ou trois barques de pêche, et qui servait de goulot au nouveau creek ; mais, disposition curieuse, ses eaux, au lieu de se jeter à la mer par une embouchure à pente douce, tombaient d’une hauteur de plus de quarante pieds, – ce qui expliquait pourquoi, à l’heure où le flot montait, il ne s’était point fait sentir en amont du creek. En effet, les marées du Pacifique, même à leur maximum d’élévation, ne devaient jamais atteindre le niveau de la rivière, dont le lit formait un bief supérieur, et des millions d’années, sans doute, s’écouleraient encore avant que les eaux eussent rongé ce radier de granit et creusé une embouchure praticable. Aussi, d’un commun accord, donna-t-on à ce cours d’eau le nom de « rivière de la chute » (falls-river). Au delà, vers le nord, la lisière, formée par la forêt, se prolongeait sur un espace de deux milles environ ; puis les arbres se raréfiaient, et, au delà, des hauteurs très pittoresques se dessinaient suivant une ligne presque droite, qui courait nord et sud. Au contraire, dans toute la portion du littoral comprise entre la rivière de la chute et le promontoire du Reptile, ce n’était que masses boisées, arbres magnifiques, les uns droits, les autres penchés, dont la longue ondulation de la mer venait baigner les racines. Or, c’était vers ce côté, c’est-à-dire sur toute la presqu’île Serpentine, que l’exploration devait être continuée, car cette partie du littoral offrait des refuges que l’autre, aride et sauvage, eût évidemment refusés à des naufragés, quels qu’ils fussent.

Le temps était beau et clair, et du haut d’une falaise, sur laquelle Nab et Pencroff disposèrent le déjeuner, le regard pouvait s’étendre au loin.

L’horizon était parfaitement net, et il n’y avait pas une voile au large. Sur tout le littoral, aussi loin que la vue pouvait atteindre, pas un bâtiment, pas même une épave. Mais l’ingénieur ne se croirait bien fixé à cet égard que lorsqu’il aurait exploré la côte jusqu’à l’extrémité même de la presqu’île Serpentine.

Le déjeuner fut expédié rapidement, et, à onze heures et demie, Cyrus Smith donna le signal du départ. Au lieu de parcourir, soit l’arête d’une falaise, soit une grève de sable, les colons durent suivre le couvert des arbres, de manière à longer le littoral.

La distance qui séparait l’embouchure de la rivière de la chute du promontoire du Reptile était de douze milles environ. En quatre heures, sur une grève praticable, et sans se presser, les colons auraient pu franchir cette distance ; mais il leur fallut le double de ce temps pour atteindre leur but, car les arbres à tourner, les broussailles à couper, les lianes à rompre, les arrêtaient sans cesse, et des détours si multipliés allongeaient singulièrement leur route.

Du reste, il n’y avait rien qui témoignât d’un naufrage récent sur ce littoral. Il est vrai, ainsi que le fit observer Gédéon Spilett, que la mer avait pu tout entraîner au large, et qu’il ne fallait pas conclure, de ce qu’on n’en trouvait plus aucune trace, qu’un navire n’eût pas été jeté à la côte sur cette partie de l’île Lincoln.

Le raisonnement du reporter était juste, et, d’ailleurs, l’incident du grain de plomb prouvait d’une façon irrécusable que, depuis trois mois au plus, un coup de fusil avait été tiré dans l’île.

Il était déjà cinq heures, et l’extrémité de la presqu’île Serpentine se trouvait encore à deux milles de l’endroit alors occupé par les colons. Il était évident qu’après avoir atteint le promontoire du Reptile, Cyrus Smith et ses compagnons n’auraient plus le temps de revenir, avant le coucher du soleil, au campement qui avait été établi près des sources de la Mercy. De là, nécessité de passer la nuit au promontoire même. Mais les provisions ne manquaient pas, et ce fut heureux, car le gibier de poil ne se montrait plus sur cette lisière, qui n’était qu’un littoral, après tout. Au contraire, les oiseaux y fourmillaient, jacamars, couroucous, tragopans, tétras, loris, perroquets, kakatoès, faisans, pigeons et cent autres. Pas un arbre qui n’eût un nid, pas un nid qui ne fût rempli de battements d’ailes !

Vers sept heures du soir, les colons, harassés de fatigue, arrivèrent au promontoire du Reptile, sorte de volute étrangement découpée sur la mer. Ici finissait la forêt riveraine de la presqu’île, et le littoral, dans toute la partie sud, reprenait l’aspect accoutumé d’une côte, avec ses rochers, ses récifs et ses grèves. Il était donc possible qu’un navire désemparé se fût mis au plein sur cette portion de l’île, mais la nuit venait, et il fallut remettre l’exploration au lendemain.

Pencroff et Harbert se hâtèrent aussitôt de chercher un endroit propice pour y établir un campement. Les derniers arbres de la forêt du Far-West venaient mourir à cette pointe, et, parmi eux, le jeune garçon reconnut d’épais bouquets de bambous.

« Bon ! dit-il, voilà une précieuse découverte.

– Précieuse ? répondit Pencroff.

– Sans doute, reprit Harbert. Je ne te dirai point, Pencroff, que l’écorce de bambou, découpée en latte flexible, sert à faire des paniers ou des corbeilles ; que cette écorce, réduite en pâte et macérée, sert à la fabrication du papier de Chine ; que les tiges fournissent, suivant leur grosseur, des cannes, des tuyaux de pipe, des conduites pour les eaux ; que les grands bambous forment d’excellents matériaux de construction, légers et solides, et qui ne sont jamais attaqués par les insectes. Je n’ajouterai même pas qu’en sciant les entre-nœuds de bambous et en conservant pour le fond une portion de la cloison transversale qui forme le nœud, on obtient ainsi des vases solides et commodes qui sont fort en usage chez les chinois ! Non ! Cela ne te satisferait point. Mais…

– Mais ?…

– Mais je t’apprendrai, si tu l’ignores, que, dans l’Inde, on mange ces bambous en guise d’asperges.

– Des asperges de trente pieds ! s’écria le marin. Et elles sont bonnes ?

– Excellentes, répondit Harbert. Seulement, ce ne sont point des tiges de trente pieds que l’on mange, mais bien de jeunes pousses de bambous.

– Parfait, mon garçon, parfait ! répondit Pencroff.

– J’ajouterai aussi que la moelle des tiges nouvelles, confite dans du vinaigre, forme un condiment très apprécié.

– De mieux en mieux, Harbert.

– Et enfin que ces bambous exsudent entre leurs nœuds une liqueur sucrée, dont on peut faire une très agréable boisson.

– Est-ce tout ? demanda le marin.

– C’est tout !

– Et ça ne se fume pas, par hasard ?

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