- Vous ne voulez pas savoir qui a tué Nola ? demandai-je.
Il s’arrêta net.
- Vous le savez ?
- Non. Mais les pistes s’affinent. Le sergent Gahalowood et moi allons voir la sœur de Luther Caleb, demain. À Portland. Et nous avons encore des gens à interroger à Aurora.
Il soupira :
- Aurora… Depuis ma sortie de prison, je n’ai revu personne. L’autre jour, je suis resté un moment devant la maison détruite. Un pompier m’a dit que je pouvais aller à l’intérieur, j’ai récupéré quelques affaires et je suis venu à pied ici. Je n’en ai plus bougé. Roth s’occupe des assurances et de tout ce qu’il faut. Je ne peux plus aller à Aurora. Je ne peux plus regarder ces gens en face et leur dire que j’aimais Nola et que je lui ai écrit un livre. Je ne peux même plus me regarder en face. Roth dit que votre bouquin va s’appeler L’Affaire Harry Quebert.
- C’est vrai. C’est un livre qui raconte que votre livre est un beau livre. J’aime Les Origines du mal ! C’est ce livre qui m’a poussé à devenir écrivain !
- Ne dites pas ça, Marcus !
- C’est la vérité ! C’est probablement le plus beau livre qui m’ait été donné de lire.
Vous êtes mon écrivain préféré !
- Pour l’amour de Dieu, taisez-vous !
- Je veux écrire un livre pour défendre le vôtre, Harry. Quand j’ai appris que vous l’aviez écrit pour Nola, j’ai d’abord été choqué, c’est vrai. Et puis je l’ai relu. C’est un livre magnifique ! Vous y dites tout ! Surtout à la fin. Vous racontez le chagrin qui vous accablera toujours. Je ne peux pas laisser les gens salir ce livre, parce que ce livre m’a fait. Vous savez, cet épisode de la citronnade, lors de ma première visite chez vous : lorsque j’ai ouvert ce frigo, ce frigo vide, j’ai compris votre solitude. Et ce jour-là, j’ai compris : Les Origines du mal, c’est un livre de solitude. Vous avez écrit la solitude d’une manière spectaculaire. Vous êtes un immense écrivain !
- Arrêtez, Marcus !
- La fin de votre livre est tellement bel e ! Vous renoncez à Nola : elle a disparu pour toujours, vous le savez, et pourtant vous l’avez attendue malgré tout… Ma seule question, à présent que j’ai véritablement compris votre livre, concerne le titre. Pourquoi avoir donné un titre aussi sombre à un livre aussi beau ?
- C’est compliqué, Marcus.
- Mais je suis là pour comprendre…
- C’est trop compliqué…
Nous nous dévisageâmes, face à face, en position de garde, comme deux guerriers. Il finit par dire :
- Je ne sais pas si je pourrai vous pardonner, Marcus…
- Me pardonner ? Mais je reconstruirai Goose Cove ! Je paierai tout ! Avec l’argent du livre, nous vous reconstruirons une maison ! Vous ne pouvez pas saborder notre amitié comme ça !
Il se mit à pleurer.
- Vous ne comprenez pas, Marcus. Ce n’est pas à cause de vous ! Rien n’est de votre faute, et pourtant je ne peux pas vous pardonner.
- Mais me pardonner quoi ?
- Je ne peux pas vous dire. Vous ne comprendriez pas…
- Mais enfin, Harry ! Pourquoi toutes ces devinettes ? Que se passe-t-il, bon
sang !
Du revers de la main, il essuya les larmes de son visage.
- Vous vous souvenez de mon conseil ? demanda-t-il. Lorsque vous étiez mon étudiant, je vous ai dit un jour : n’écrivez jamais un livre si vous n’en connaissez pas la fin.
- Oui, je m’en souviens bien. Je m’en souviendrai toujours.
- La fin de votre livre, comment est-elle ?
- C’est une belle fin.
- Mais elle meurt à la fin !
- Non, le livre ne se termine pas avec la mort de l’héroïne. Il se passe encore de belles choses après.
- Quoi donc ?
- L’homme qui l’a attendue pendant trente ans se remet à vivre.
EXTRAITS DE : LES ORIGINES DU MAL (dernière page)
Lorsqu’il comprit que rien ne serait jamais possible et que les espoirs n’étaient que des mensonges, il lui écrivit pour la dernière fois. Après les lettres d’amour, était venu le temps d’une lettre de tristesse. Il fallait accepter. Désormais, il ne ferait plus que l’attendre. Toute sa vie, il l’attendrait. Mais il savait bien qu’elle ne reviendrait plus. Il savait qu’il ne la verrait plus, qu’il ne la retrouverait plus, qu’il ne l’entendrait plus.
Lorsqu’il comprit que rien ne serait plus jamais possible, il lui écrivit pour la dernière fois.
Ma chérie,
Ceci est ma dernière lettre. Ce sont mes derniers mots. Je vous écris pour vousdire adieu.