La première chose qu’ils font le matin en buvant leur café, c’est lire le journal.
Roth, qui était un personnage très terre à terre mais pas antipathique, essaya tout de même de me réconforter en m’expliquant que Harry était certainement très bouleversé par la perte de Goose Cove, et qu’aussitôt que la police parviendrait à mettre la main sur le coupable, il se sentirait beaucoup mieux. Sur ce point, les enquêteurs disposaient d’une piste sérieuse : le lendemain de l’incendie, après une fouille minutieuse des alentours de la maison, ils avaient découvert, sur la plage, un bidon d’essence caché dans des fourrés, et sur lequel une empreinte digitale avait pu être relevée. Celle-ci, malheureusement, ne trouvait aucune correspondance dans les fichiers de la police, et Gahalowood considérait que sans davantage d’éléments, il serait difficile de confondre le coupable. Selon lui, il s’agissait probablement d’un citoyen tout ce qu’il y avait de plus honorable, sans précédent judiciaire, qui ne se ferait plus jamais remarquer. Néanmoins, il estimait qu’on pouvait réduire le cercle des suspects à quelqu’un de la région, quelqu’un d’Aurora qui, ayant commis son forfait en plein jour, s’était empressé de se débarrasser d’une preuve encombrante, de peur d’être reconnu par d’éventuels promeneurs.
J’avais six semaines pour inverser le cours des événements et faire de mon livre un bon livre. Il était temps de me battre et de faire de moi l’écrivain que je voulais être.
Je me consacrais à mon livre le matin, et l’après-midi, je travaillais sur l’affaire avec Gahalowood, qui avait transformé ma suite en annexe de son bureau, utilisant les grooms de l’hôtel pour transbahuter des cartons remplis de témoignages, de rapports, d’extraits de journaux, de photos et d’archives.
Nous reprîmes toute l’enquête depuis le début : nous relûmes les rapports de police, nous étudiâmes les déclarations de tous les témoins de l’époque. Nous dessinâmes une carte d’Aurora et des environs, et nous calculâmes toutes les distances, de la maison des Kel ergan à Goose Cove, puis de Goose Cove à Side Creek Lane. Gahalowood se rendit sur place pour vérifier tous les temps de trajet, à pied et en voiture, et il vérifia même les temps d’intervention de la police locale à l’époque des faits, qui s’avérèrent très rapides.
- On peut difficilement remettre en cause le travail du Chef Pratt, me dit-il. Les recherches ont été menées avec un grand professionnalisme.
- Quant à Harry, on sait que le message sur son manuscrit n’a pas été écrit de sa main, relevai-je. Mais alors pourquoi avoir enterré Nola à Goose Cove ?
- Pour être tranquille sans doute, suggéra Gahalowood. Vous m’avez dit que
Harry avait raconté à qui voulait l’entendre qu’il s’absentait d’Aurora pour quelque temps.
- C’est exact. Alors, selon vous, le meurtrier savait que Harry n’était pas chez lui ?
- Possible. Mais reconnaissez qu’il est assez surprenant qu’à son retour, Harry n’ait pas remarqué qu’on avait creusé un trou à proximité de sa maison…
- Il n’était pas dans son état normal, dis-je. Il était inquiet, dévasté. Il passait son temps à attendre Nola. Largement de quoi ne pas remarquer un peu de terre retournée, surtout à Goose Cove : dès qu’il pleut un peu, le terrain devient complètement boueux.
- À la limite, je vous l’accorde. Le meurtrier sait donc que personne ne viendra le déranger ici. Et si jamais on retrouve le cadavre, qui sera accusé ?
- Harry.
- Bingo, l’écrivain !
- Mais alors pourquoi ce mot ? demandai-je. Pourquoi écrire Adieu, Nola chérie ?
- Ça, c’est la question à un mil ion de dollars, l’écrivain. Enfin, surtout pour vous, si je puis me permettre.
Notre principal problème était que nos pistes partaient dans tous les sens.
Plusieurs questions importantes restaient en suspens, et Gahalowood les inscrivit sur d’immenses feuilles de papier.
- Elijah Stern
Pourquoi paie-t-il Nola pour la faire peindre ?
Quel mobile de la tuer ?
- Luther Caleb
Pourquoi peint-il Nola ? Pourquoi rôde-t-il à Aurora ? Quel mobile de tuer Nola ?
- David et Louisa Kel ergan
Ont-ils battu leur fil e trop fort ?
Pourquoi cachent-ils la tentative de suicide de Nola et sa fugue à Martha’s Vineyard ?
- Harry Quebert
Coupable ?
- Chef Gareth Pratt
Pourquoi Nola a-t-el e une relation avec lui ?
Mobile : a-t-el e menacé de parler ?
- Tamara Quinn affirme que le feuillet volé à Harry a disparu ? Qui s’en est emparé dans le bureau du Clark's ?
- Qui a écrit les lettres anonymes à Harry ? Qui sait depuis trente-trois ans et n’a jamais rien dit ?
- Qui a mis le feu à Goose Cove ? Qui n’a pas intérêt à ce que l’enquête soit bouclée ?
Le soir où Gahalowood punaisa ces panneaux contre un mur de ma suite, il poussa un long soupir, plein de désespoir.
- Plus on avance et moins j’y vois clair, me dit-il. Je crois qu’il y a un élément central qui relie ces gens et ces événements entre eux. Voilà la clé de l’enquête ! Si nous trouvons le lien, nous tenons le coupable.
Il s’effondra dans un fauteuil. Il était dix-neuf heures et il n’avait plus l’énergie de réfléchir. Comme tous les jours précédents à la même heure, je me préparai à partir pour continuer ce que j’avais entrepris de faire : me remettre à la boxe. Je m’étais trouvé une salle à un quart d’heure de voiture et j’avais décidé de faire mon grand retour sur les rings. J’y étais déjà allé tous les soirs depuis mon arrivée au Regent’s, après que le concierge de l’hôtel m’avait recommandé ce club où lui-même pratiquait.
- Où al ez-vous comme ça ? me demanda Gahalowood.
- Boxer. Vous voulez venir ?