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Je me laissai emporter par l’excitation :

- Il suffit de savoir qui possédait une Chevrolet noire à Aurora à cette époque et nous avons notre homme !

Gahalowood calma immédiatement mes ardeurs :

- Pratt y a déjà pensé à l’époque. Pratt a pensé à tout. Sur son rapport figure la liste des propriétaires de Chevrolet à Aurora et dans les environs. Il a rendu visite à chacun d’eux et tous avaient des alibis solides. Tous, sauf un : Harry Quebert.

Encore Harry. Nous retombions toujours sur Harry. Chaque critère supplémentaire que nous définissions pour démasquer l’assassin lui correspondait.

- Et Luther Caleb ? interrogeai-je avec une lueur d’espoir. Quelle voiture possédait-il ?

Gahalowood hocha la tête :

- Une Mustang bleue, dit-il.

Je soupirai.

- Selon vous, sergent, que devrions-nous faire à présent ?

- Il y a la sœur de Caleb, que nous n’avons toujours pas interrogée. Je crois qu’il est temps d’al er lui rendre visite. C’est la seule piste que nous n’ayons pas encore véritablement explorée.

Ce soir-là, après la boxe, je pris mon courage à deux mains et je me rendis au Sea Side Motel. Il était aux environs de vingt et une heures trente. Harry était assis sur une chaise en plastique, devant la chambre 8, à profiter de la douceur de la soirée en buvant une canette de soda. Il ne dit rien en me voyant; pour la première fois, je me sentais mal à l’aise en sa présence.

- J’avais besoin de vous voir, Harry. De vous dire combien je suis désolé à propos de toute cette histoire…

Il me fit signe de m’asseoir sur la chaise à côté de la sienne.

- Soda ? me proposa-t-il.

- Volontiers.

- La machine est au bout du couloir.

Je souris et j’allai me chercher un Coca light. En revenant, je lui dis :

- C’est ce que vous m’avez dit la première fois que je suis venu à Goose Cove.

J’étais en première année d’université. Vous aviez fait de la citronnade, vous m’avez demandé si j’en voulais, j’ai répondu oui et vous m’avez dit d’al er me servir dans le frigo.

- C’était une belle époque.

- Oui.

- Qu’est-ce qui a changé, Marcus ?

- Rien. Tout, mais rien. Nous avons tous changé, le monde a changé. Le World Trade Center s’est effondré, l’Amérique est partie en guerre… Mais le regard que je vous porte n’a pas changé. Vous restez mon maître. Vous restez Harry.

- Ce qui a changé, Marcus, c’est ce combat entre le maître et l’élève.

- Nous ne nous combattons pas.

- Et pourtant si. Je vous ai appris à écrire des livres, et regardez ce que me font vos livres : ils me nuisent.

- Je n’ai jamais voulu vous nuire, Harry. Nous retrouverons celui qui a brûlé Goose Cove, je vous le promets.

- Mais est-ce que cela me rendra les trente ans de souvenirs que je viens de perdre ? Toute ma vie partie en fumée ! Pourquoi avez-vous raconté ces horreurs sur Nola ?

Je ne répondis pas. Nous restâmes silencieux un moment. Malgré la faible lumière des appliques, il remarqua les plaies sur mes poings formées par la répétition des frappes sur les sacs de boxe.

- Vos mains, dit-il. Vous avez repris la boxe ?

- Oui.

- Vous placez mal vos frappes. Ça a toujours été votre défaut. Vous tapez bien, mais vous avez toujours la première phalange du majeur qui dépasse trop et qui frotte au moment de l’impact.

- Allons boxer, proposai-je.

- Si vous voulez.

Nous sommes allés sur le parking. Il n’y avait personne. Nous nous sommes mis torse nu. Il était très amaigri. Il m’a contemplé :

- Vous êtes très beau, Marcus. Allez-vous marier, bon sang ! Allez vivre !

- J’ai une enquête à terminer.

- Au diable, votre enquête !

Nous nous sommes placés face à face, et nous avons échangé des coups retenus; l’un frappait et l’autre devait maintenir sa garde serrée et se protéger. Harry cognait sec.

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