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Vous avez tout vérifié ? Quoi ? Quoi ? Bon Dieu, c’est complètement fou ! » Il me demanda un morceau de papier et un stylo, il prit note de ce dont on l’informait et il raccrocha. Puis il me regarda avec un drôle d’air et me dit :

- C’était un stagiaire de la brigade… Je lui avais demandé de me retrouver le rapport d’accident de Luther Caleb.

- Et ?

- D’après le rapport de l’époque, Luther Caleb a été retrouvé dans une Chevrolet Monte Carlo noire immatriculée au nom de la compagnie de Stern.

Vendredi 26 septembre 1975

C’était un jour brumeux. Le soleil était levé depuis quelques heures déjà mais la lumière était mauvaise. Des traînées opaques s’accrochaient au paysage, comme souvent lors des automnes humides de Nouvelle-Angleterre. Il était huit heures du matin lorsque George Tent, un pêcheur de homards, quitta le port de Sagamore, Massachusetts, à bord de son bateau, accompagné de son fils. Sa zone de pêche était essentiellement concentrée le long de la côte, mais il faisait partie des rares dans ce métier à poser également des pièges dans certains bras de mer délaissés des autres pêcheurs, car souvent considérés comme difficiles d’accès et trop dépendants des caprices des marées pour être rentables. C’est précisément dans l’un de ces bras que George Tent se rendit ce jour-là, pour relever deux pièges. Alors qu’il manœuvrait son bateau dans le lieu-dit Sunset Cove, une avancée de l’océan entre des falaises abruptes, son fils fut soudain ébloui par un éclat de lumière. Un rayon de soleil avait filtré d’entre les nuages et s’était reflété contre quelque chose. Cela n’avait duré qu’une fraction de seconde mais ç’avait été assez puissant pour intriguer le jeune homme qui s’empara d’une paire de jumelles, et scruta les falaises.

- Qu’est-ce qui se passe ? lui demanda son père.

- Il y a quelque chose là-bas, sur le bord. Je ne sais pas ce que c’était, mais j’ai vu un objet étinceler fortement.

Jaugeant le niveau de l’océan par rapport aux rochers, Tent considéra que l’eau était suffisamment profonde pour s’approcher des falaises. Il avança ensuite très lentement le long de la paroi.

- Saurais-tu dire ce que c’était ? demanda encore George Tent, intrigué.

- Un reflet, pour sûr. Mais sur quelque chose d’inhabituel, comme du métal, ou du verre.

Ils avancèrent encore, et, au détour d’une barrière rocheuse, ils découvrirent soudain ce qui avait attiré leur attention. « Sacré nom d’un chien ! » jura le père Tent, les yeux écarquillés. Il se précipita sur sa radio de bord pour appeler les garde-côtes.

À huit heures quarante-sept, ce même jour, la police de Sagamore fut avertie par les garde-côtes d’un accident mortel : une voiture avait dévissé de la route qui longeait les falaises de Sunset Cove et s’était écrasée dans les rochers en contrebas. C’est l’officier Darren Wanslow qui se rendit sur place. Il connaissait bien cet endroit : une petite route posée au bord d’une paroi vertigineuse, offrant une vue spectaculaire. Un parking avait même été aménagé sur le point culminant pour permettre aux touristes de venir admirer le panorama. L’endroit était magnifique, mais l’officier Wanslow l’avait toujours jugé dangereux parce qu’il n’y avait aucune barrière pour protéger les véhicules. Il en avait pourtant fait plusieurs fois la demande auprès de la municipalité, mais sans succès, malgré la très forte affluence les soirs d’été. Seul un panneau de mise en garde avait été apposé.

En arrivant à hauteur du parking, Wanslow remarqua un pick-up des gardes forestiers qui signalait certainement l’endroit où avait dû se produire l’accident. Il coupa la sirène de son véhicule et se gara aussitôt. Deux gardes forestiers observaient la scène qui se jouait en contrebas : une vedette des garde-côtes s’affairait à proximité des falaises, déployant un bras articulé.

- Ils disent qu’il y a une voiture là en bas, déclara l’un des gardes forestiers à Wanslow, mais on n’y voit goutte.

Le policier s’approcha du bord de la falaise : la pente était abrupte, couverte de ronces, d’herbes hautes et de replis rocheux. Il était effectivement impossible de voir quoi que ce soit.

- Vous dites que la voiture est juste en dessous ? demanda-t-il.

- C’est ce qu’on a entendu sur le canal d’urgence. D’après la position du bateau des garde-côtes, j’imagine que la voiture était sur le parking, et que pour une raison ou une autre, el e a dévalé la pente. Je prie pour que ce ne soit pas des ados venus se bécoter en pleine nuit et qui n’ont pas mis le frein à main.

- Seigneur, murmura Wanslow, j’espère aussi que ce ne sont pas des gamins qui sont là en bas.

Il inspecta la partie du parking la plus proche de la falaise. Il y avait une longue bande herbeuse entre la fin du bitume et le début de la pente. Il chercha des traces du passage de la voiture, des herbes sauvages et des ronces qui auraient été arrachées par la voiture au moment où el e avait dévalé la paroi.

- Selon vous, la voiture est passée tout droit ? demanda-t-il au garde forestier.

- Sans doute. Depuis le temps qu’on dit qu’il faut mettre des barrières. Des gosses, je vous dis. Ce sont des gosses. Ils ont bu un coup de trop et ils sont passés tout droit. Parce qu’à part s’être mis quelques verres dans le nez, il faut avoir une sacrément bonne raison de ne pas s’arrêter après le parking.

La vedette effectua une manœuvre et s’éloigna de la falaise. Les trois hommes aperçurent alors une voiture qui se balançait au bout du bras articulé. Wanslow retourna à sa voiture et établit le contact avec les garde-côtes au moyen de sa radio de bord.

- Qu’est-ce que c’est comme voiture ? demanda-t-il.

- C’est une Chevrolet Monte Carlo, se fit-il répondre. Noire.

- Une Monte Carlo noire ? Confirmez, c’est une Monte Carlo noire ?

- Affirmatif. Immatriculée dans le New Hampshire. Il y a un macchabée à l’intérieur. Ça n’a pas l’air très beau à voir.

Il y avait deux heures que nous roulions à bord de la poussive Chrysler de fonction de Gahalowood. C’était le lundi 21 juil et 2008.

- Vous voulez que je conduise, sergent ?

- Surtout pas.

- Vous conduisez trop lentement.

- Je conduis prudemment.

- Cette voiture est une poubelle, sergent.

- C’est un véhicule de la police d’État. Un peu de respect, je vous prie.

- Alors c’est une poubel e d’État. Si on mettait un peu de musique ?

- Même pas dans vos rêves, l’écrivain. Nous sommes sur une enquête, pas en train de faire une virée entre copines.

- Vous savez, je le dirai dans mon livre, que vous conduisez comme un petit vieux.

- Mettez la musique, l’écrivain. Et mettez-la très fort. Je ne veux plus vous entendre jusqu’à ce que nous soyons arrivés.

Je ris.

- Bon, rappelez-moi qui est ce type, demandai-je. Darren…

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