C’était lui qui dirigeait l’enquête sur l’enlèvement.
- Et ?
- Il est venu le jour même. Il m’a remercié, il a étudié le dossier avec attention. Il était très sympathique. Il a inspecté la voiture et il a dit que, malheureusement, la voiture ne correspondait pas en fait au modèle qu’il avait vu pendant la poursuite, et que du coup il se demandait même si c’était bien une Chevrolet Monte Carlo qu’il avait vue, ou plutôt une Nova, qui est un modèle très similaire, et qu’il vérifierait ça avec le bureau du shérif. Il a ajouté qu’il s’était déjà penché sur ce Caleb mais qu’il avait suffisamment d’éléments à décharge pour ne pas suivre cette piste. Il m’a dit de lui envoyer mon rapport malgré tout, ce que j’ai fait.
- Donc vous avez prévenu le Chef Pratt et il n’a pas suivi votre piste ?
- Exact. Comme je vous dis, il m’a assuré que je me trompais. Il était convaincu, et puis c’était lui qui dirigeait l’enquête. Il savait ce qu’il faisait. Il a conclu à un banal accident de la route, et c’est que j’ai mis dans mon rapport.
- Et ça ne vous a pas paru étrange ?
- Sur le moment, non. Je me suis dit que je m’étais emballé trop vite. Mais attention, j’ai pas bâclé mon travail pour autant : j’ai envoyé le macchabée chez le légiste, notamment pour essayer de comprendre ce qui avait pu se passer, et savoir si
l’accident pouvait être dû à une consommation d’alcool, à cause des bouteil es retrouvées. Malheureusement, avec ce qu’il restait du corps, entre la violence de la chute et les dégâts de l’eau de mer, on n’a rien pu confirmer. Je vous dis, le type était écrabouillé. Tout ce que le légiste a pu dire c’est que le corps était probablement là depuis quelques semaines déjà. Et Dieu sait combien de temps encore il aurait pu y rester, si ce pêcheur n’avait pas remarqué la voiture. Après ça, le corps a été rendu à la famil e, et ça a été la fin de l’histoire. Je vous le dis, tout portait à croire que c’était un banal accident de la route. Évidemment, aujourd’hui, avec tout ce que j’ai appris, surtout à propos de Pratt et de la gamine, je ne suis plus sûr de rien.
La scène telle que racontée par Darren Wanslow était effectivement très intrigante. Après notre entretien avec lui, Gahalowood et moi al âmes jusqu’à la marina de Sagamore pour manger un morceau. Il y avait ce port minuscule, auquel étaient accolés un magasin général et un vendeur de cartes postales. Il faisait beau, les couleurs étaient puissantes, l’océan semblait immense. Tout autour, on devinait quelques jolies maisons colorées, touchant parfois le bord de l’eau, et bordées de jardinets bien entretenus. Nous déjeunâmes de steaks et de bières dans un petit restaurant, dont la terrasse sur pilotis avançait dans l’océan. Gahalowood mâchonnait d’un air pensif.
- Qu’est-ce qui vous trotte dans la tête ? lui demandai-je.
- Le fait que tout semble indiquer que Luther soit le coupable. Il avait un bagage avec lui… Il avait prévu de s’enfuir, en emmenant Nola peut-être. Mais ses plans ont été contrariés : Nola lui a échappé, il a dû tuer la mère Cooper et il a ensuite donné trop de coups à Nola.
- Vous pensez que c’est lui ?
- Oui, je le crois. Mais tout n’est pas clair… Je ne comprends pas pourquoi Stern ne nous a pas parlé de la Chevrolet noire. C’est un détail important tout de même.
Luther disparaît avec un véhicule au nom de sa société et il ne s’en inquiète pas ? Et pourquoi diable Pratt n’a-t-il pas enquêté davantage à son sujet ?
- Vous pensez que le Chef Pratt est impliqué dans la disparition de Nola ?
- Disons que je serais assez intéressé d’al er lui demander pour quelle raison il a abandonné la piste Caleb malgré le rapport de Wanslow. Je veux dire, on lui offre un suspect en or, dans une Chevrolet Monte Carlo noire, et il décrète qu’il n’y a pas de lien. Très étrange, vous ne trouvez pas ? Et s’il avait vraiment eu un doute sur le modèle de la voiture, si c’était une Nova plutôt qu’une Monte Carlo, il aurait dû le faire savoir. Or dans le rapport, il ne parle que d’une Monte Carlo…
Nous nous rendîmes à Montburry l’après-midi même, dans le petit motel où logeait le Chef Pratt. C’était un bâtiment sur un seul niveau, avec une dizaine de chambres alignées les unes à côté des autres et des places de parking accolées au-devant des portes de chacune d’entre elles. L’endroit semblait désert, il n’y avait que deux véhicules, dont un devant la chambre de Pratt, le sien probablement. Gahalowood tambourina à la porte. Aucune réponse. Il frappa encore. En vain. Une femme de chambre passa et Gahalowood lui demanda d’ouvrir avec son passe.
- Impossible, nous répondit-elle.
- Comment ça, impossible ? s’agaça Gahalowood en lui montrant son insigne.
- Je suis déjà passée plusieurs fois pour faire la chambre aujourd’hui, expliqua-t-
el e. Je pensais que le client était peut-être sorti sans que je le voie, mais il a laissé la clé sur la serrure. Impossible d’ouvrir. Ça veut dire qu’il est là. Sauf s’il est sorti en claquant la porte avec la clé sur la serrure, à l’intérieur. Ça arrive aux clients pressés.
Mais sa voiture est là.
Gahalowood eut un air contrarié. Il frappa de plus belle et somma Pratt d’ouvrir. Il essaya de regarder par la fenêtre, mais le rideau tiré empêchait de voir quoi que ce soit.
Il décida alors d’enfoncer la porte. La serrure céda au troisième coup de pied.
Le Chef Pratt était étendu sur la moquette. Il baignait dans son sang.
8. Le corbeau
“Qui ose, gagne, Marcus. Pensez à cette devise à chaque fois que vous êtes face à un choix difficile. Qui ose, gagne.”
EXTRAIT DE L’AFFAIRE HARRY QUEBERT
Le lundi 21 juillet 2008, ce fut au tour de la petite ville de Montburry de connaître l’agitation qu’avait connue Aurora quelques semaines plus tôt, après la découverte du corps de Nola. Des patrouilles de police y affluèrent de toute la région, convergeant vers un motel proche de la zone industrielle. Il se disait parmi les badauds qu’un homme avait été assassiné et qu’il s’agissait de l’ancien chef de la police d’Aurora.
Le sergent Gahalowood se tenait debout face à la porte de la chambre, imperturbable. Plusieurs policiers de la brigade scientifique s’affairaient autour de la scène de crime, lui se contentait d’observer. Je me demandais ce qui se passait dans sa tête à ce moment précis. Il finit par se retourner et remarqua que je l’observais, assis sur le capot d’une voiture de police. Il me jeta son regard de bison tueur et vint vers moi.
- Qu’est-ce que vous fabriquez avec votre enregistreur, l’écrivain ?
- Je dicte la scène pour mon livre.
- Vous savez que vous êtes assis sur le capot d’un véhicule de police ?
- Qu’est-ce que vous fabriquez avec votre enregistreur, l’écrivain ?
- Je dicte la scène pour mon livre.
- Vous savez que vous êtes assis sur le capot d’un véhicule de police ?
- Oh, pardon, sergent. Qu’est-ce qu’on a ?
- Coupez votre enregistreur, voulez-vous.
Je m’exécutai.
- D’après les premiers éléments de l’enquête, m’expliqua Gahalowood, le Chef a reçu des coups sur l’arrière du crâne. Un ou plusieurs. Avec un objet lourd.