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- Nous avons merdé, Marcus. Nous avons complètement oublié de nous pencher sur l’Alabama. Vous me l’aviez dit en plus !

- Qu’est-ce que je vous avais dit ?

- Qu’il fallait découvrir ce qui s’était passé en Alabama.

Je cliquai sur l’image. C’était une photo d’une pierre tombale, dans un cimetière, sur laquel e figurait l’inscription suivante :

LOUISA KELLERGAN (1930-1969)

Notre épouse et mère bien-aimée

Je restai effaré.

- Nom de Dieu ! soufflai-je. Qu’est-ce que ça veut dire ?

- Que la mère de Nola est morte en 1969, soit six ans avant la disparition de sa fille !

- Qui vous a transmis cette photo ?

- Un journaliste de Concord. Ça va faire la une de la presse demain, l’écrivain, et vous savez comment ça se passe : il ne faudra pas trois heures pour que tout le pays décrète que ni votre livre, ni l’enquête ne tiennent la route.

Ce soir-là, il n’y eut pas de dîner avec Lydia Gloor. Douglas sortit Barnaski d’un rendez-vous d’affaires, Barnaski sortit Richardson-du-département-juridique de chez lui, et nous eûmes une séance de crise particulièrement houleuse dans une salle de réunion de Schmid & Hanson. Le cliché était en fait une reprise, par le Concord Herald, de la découverte d’un journal local de la région de Jackson. Barnaski venait de passer deux heures à essayer de convaincre le rédacteur en chef du Concord Herald de renoncer à faire de cette image la une de son numéro du lendemain, mais en vain.

- Vous imaginez ce que les gens vont dire quand ils apprendront que votre bouquin est un ramassis de mensonges ! hurla-t-il à mon intention. Mais nom de Dieu, Goldman, vous n’avez pas vérifié vos sources ?

- Je ne sais plus, c’est insensé ! Harry me parlait de la mère ! Il m’en a parlé souvent. Je ne comprends rien. La mère battait Nola ! Il me l’a dit ! Il m’a parlé des coups et de ces simulations de noyade.

- Et que dit Quebert à présent ?

- Il est injoignable. J’ai essayé de l’appeler au moins dix fois ce soir. De toute façon, ça va faire deux mois que je n’ai plus eu de ses nouvelles.

- Essayez encore ! Démerdez-vous ! Parlez à quelqu’un qui puisse vous répondre ! Trouvez-moi une explication que je puisse donner aux journalistes demain matin lorsqu’ils me tomberont dessus.

Sur le coup de vingt-deux heures, je téléphonai finalement à Erne Pinkas.

- Mais enfin, d’où as-tu sorti que la mère était vivante ? me demanda-t-il.

Je restai abasourdi. Je finis par répondre bêtement :

- Personne ne m’a dit qu’elle était morte !

- Mais personne ne t’a dit qu’elle était vivante !

- Si ! Harry me l’a dit.

- Alors il s’est foutu de toi. Le père Kel ergan a débarqué seul à Aurora avec sa fille. Il n’y a jamais eu de mère.

- Je n’y comprends plus rien ! J’ai l’impression d’être fou. Pour qui est-ce que je vais passer maintenant ?

- Pour un écrivain de merde, Marcus. Je peux te dire qu’ici on a du mal à avaler la pilule. Un mois qu’on te voyait te pavaner dans les journaux et à la télévision. On s’est tous dit que tu racontais n’importe quoi.

- Pourquoi personne ne m’a prévenu ?

- Te prévenir ? Pour te dire quoi ? Te demander si, par hasard, tu t’étais pas planté en parlant d’une mère qui était morte au moment des faits.

- De quoi est-elle morte ? demandai-je.

- J’en sais rien.

- Mais, et la musique ? Et les coups ? J’ai des témoins qui m’ont confirmé tout ça.

- Des témoins de quoi ? Que le révérend enclenchait son transistor à plein volume pour foutre tranquillement des dérouil ées à sa fille ? Oui, ça on s’en doutait tous. Mais dans ton bouquin, tu racontes que le père Kel ergan se cachait dans son garage pendant que la mère savatait la môme. Or, le problème est que la mère n’a jamais mis les pieds à Aurora puisqu’elle était morte avant qu’ils déménagent. Alors comment peut-on croire ce que tu racontes dans le reste du livre ? Et tu m’avais dit que tu mettrais mon nom dans les remerciements…

- Je l’ai fait !

- Tu as écrit, parmi d’autres noms : E. Pinkas, Aurora. Je voulais mon nom en gros. Je voulais qu’on parle de moi.

- Quoi ? Mais…

Il me raccrocha au nez. Barnaski me regardait avec un œil mauvais. Il pointa un doigt menaçant dans ma direction.

- Goldman, vous prenez le premier avion pour Concord demain et vous allez me régler ce merdier.

- Roy, si je vais à Aurora, ils vont me lyncher.

Il se força à rire et il dit :

- Estimez-vous heureux s’ils se contentent de vous lyncher.

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