Burrows, Noël 1999
- Joyeux Noël, Marcus !
- Un cadeau ? Merci, Harry. Qu’est-ce que c’est ?
- Ouvrez-le. C’est un enregistreur sur minidisque. Il paraît que c’est à la pointe de la technologie. Vous passez votre vie à prendre des notes de tout ce que je vous raconte, mais après, vous perdez vos notes et je dois tout répéter. Je me suis dit que
comme ça, vous pourriez tout enregistrer.
- Très bien. Allez-y.
- Quoi ?
- Donnez-moi un premier conseil. Je vais enregistrer précieusement tous vos conseils.
- Bon. Quel genre de conseils ?
- Je ne sais pas… des conseils pour les écrivains. Et pour les boxeurs. Et pour les hommes.
- Tout ça ? Bien. Combien en voulez-vous ?
- Au moins cent !
- Cent ? Il faut bien que j’en garde pour moi pour avoir encore des choses à vous enseigner ensuite.
- Vous aurez toujours des choses à m’enseigner. Vous êtes le grand Harry Quebert.
- Je vais vous donner trente et un conseils. Je vous les donnerai au fil de ces prochaines années. Pas tous en même temps.
- Pourquoi trente et un ?
- Parce que trente et un ans, c’est un âge important. La dizaine vous façonne en tant qu’enfant. La vingtaine en tant qu’adulte. La trentaine fera de vous un homme, ou non. Et trente et un ans signifie que vous aurez passé ce cap. Comment vous imaginez-vous quand vous aurez trente et un ans ?
- Comme vous.
- Allons, ne dites pas de bêtises. Enregistrez, plutôt. Je vais al er dans l’ordre décroissant. Conseil numéro trente et un : ce sera un conseil à propos des livres. Alors voilà, 31 : le premier chapitre, Marcus, est essentiel. Si les lecteurs ne l’aiment pas, ils ne liront pas le reste de votre livre. Par quoi comptez-vous commencer le vôtre ?
- Je ne sais pas, Harry. Vous pensez qu’un jour j’y arriverai ?
- À quoi ?
- À écrire un livre.
- J’en suis certain.
Il me regarda fixement et sourit.
- Vous allez avoir trente et un ans, Marcus. Voilà, vous y êtes arrivé : vous êtes devenu un homme formidable. Devenir le Formidable, ce n’était rien, mais devenir un homme formidable a été le couronnement d’un long et magnifique combat contre vous-même. Je suis très fier de vous.
Il remit sa veste et noua son écharpe.
- Où al ez-vous, Harry ?
- Je dois partir maintenant.
- Ne partez pas ! Restez !
- Je ne peux pas…
- Restez, Harry ! Restez encore un peu !
- Je ne peux pas.
- Je ne veux pas vous perdre !
- Au revoir, Marcus. De toute ma vie, vous avez été la plus belle des rencontres.
- Où al ez-vous ?
- Je dois al er attendre Nola quelque part.
Il me serra encore contre lui.
- Trouvez l’amour, Marcus. L’amour donne du sens à la vie. Quand on aime, on est plus fort ! On est plus grand ! On va plus loin !
- Harry ! Ne me laissez pas !
- Au revoir, Marcus.
Il repartit. Il laissa la porte ouverte derrière lui et je la laissai ainsi très longtemps.
Car ce fut la dernière fois que je revis mon maître et ami Harry Quebert.
Mai 2003, finale du championnat universitaire de boxe
- Marcus, vous êtes prêt ? On monte sur le ring dans trois minutes.
- J’ai la trouille, Harry.
- J’en suis certain. Et tant mieux : quand on n’a pas la trouille, on ne peut pas gagner. N’oubliez pas, boxez comme on construit un livre. Vous vous rappelez ?
Chapitre 1, chapitre 2…
- Oui. Un, on percute. Deux, on assomme…
- C’est très bien, champion. Allez, prêt ? Ha, on est en finale du championnat, Marcus ! En finale ! Dire qu’il y a peu, vous ne vous battiez encore que contre des sacs, et vous voilà en finale du championnat ! Vous entendez le speaker : « Marcus Goldman et son coach Harry Quebert de l’université de Burrows. » C’est nous ! En avant !
- Attendez, Harry…