- Trompé de numéro ? Il appelle sa mère, il dit merde et il dit qu’il se trompe de numéro ?
- Ce n’était pas ce que je voulais dire, Maman. C’est simplement que je devais appeler Roy Barnaski et que j’ai machinalement composé votre numéro. J’ai la tête ailleurs en ce moment.
- Il appelle sa mère parce qu’il a la tête ail eurs… C’est de mieux en mieux. Vous donnez la vie et qu’est-ce que vous recevez en retour ? Rien.
- Désolé, M’an. Embrasse Papa. Je te rappel erai.
- Attends !
- Quoi ?
- Tu n’as donc pas une minute pour ta pauvre mère ? Ta mère, qui t’a fait si beau et grand écrivain, ne mérite pas quelques secondes de ton temps ? Te souviens-tu du petit Jeremy Johnson ?
- Jeremy ? Oui, on était ensemble à l’école. Pourquoi me parles-tu de lui ?
- Sa mère était morte. Te rappelles-tu ? Eh bien, ne crois-tu pas qu’il aimerait pouvoir prendre le téléphone et parler à sa petite maman chérie qui est au Ciel avec les anges ? Il n’y a pas de ligne téléphonique pour le Ciel, Markie, mais il y en a vers Newark ! Essaie de t’en rappeler de temps en temps.
- Jeremy Johnson ? Mais sa mère n’est pas morte ! C’est ce qu’il essayait de faire croire parce qu’el e avait du duvet sombre sur les joues qui ressemblait méchamment à de la barbe et que tous les autres enfants se moquaient de lui. Du coup, il disait que sa mère était morte et que cette femme était sa nounou.
- Quoi ? La nounou barbue des Johnson était la mère ?
- Oui, Maman.
J’entendis ma mère s’agiter et appeler mon père. « Nelson, viens vite, veux-tu. Il y a un plotke que tu dois absolument connaître : la femme à barbe chez les Johnson, c’était la mère ! Comment ça, tu savais ? Et pourquoi ne m’as-tu jamais rien dit ? »
- Maman, je dois raccrocher maintenant. J’ai un rendez-vous téléphonique.
- Qu’est-ce que ça veut dire un rendez-vous téléphonique ?
- C’est un rendez-vous pour se parler par téléphone.
- Pourquoi ne faisons-nous pas des rendez-vous téléphoniques ensemble ?
- Les rendez-vous téléphoniques, c’est pour le travail, Maman.
- Qui est ce Roy, mon chéri ? Est-ce l’homme nu qui se cache dans ta chambre ?
Tu peux tout me dire, je suis prête à tout entendre. Pourquoi veux-tu faire des rendez-vous phoniques avec cet homme sale ?
- Roy est mon éditeur, Maman. Tu le connais, tu l’as rencontré à New York.
- Tu sais, Markie, j’ai parlé de tes problèmes sexuels avec le rabbin. Il dit que…
- Maman, ça suffit. Je vais raccrocher maintenant. Embrasse Papa.
Réunion téléphonique n° 13. Avec l’équipe graphique
Il y eut un brainstorming pour choisir la couverture du livre.
- Ce pourrait être une photo de vous, suggéra Steven, chef des graphistes.
- Ou une photo de Nola, proposa un autre.
- Une photo de Caleb, ça ferait bien, non ? lança un troisième à la cantonade.
- Et si on mettait une photo de la forêt ? surenchérit un assistant graphiste.
- Oui, quelque chose de sombre et d’angoissant, ça pourrait être pas mal, dit Barnaski.
- Ou quelque chose de sobre ? finis-je par suggérer. Une vue d’Aurora, et, au premier plan, en ombres chinoises, deux silhouettes non identifiables mais dont on pourrait penser qu’il s’agit de Harry et Nola, marchant côte à côte sur la route 1.
- Attention au sobre, dit Steven. Le sobre ennuie. Et ce qui ennuie ne se vend pas.
Réunion téléphonique n° 21. Avec les équipes juridique, graphique etmarketing
J’entendis la voix de Richardson, du juridique :
- Voulez-vous des donuts ?
Je répondis :
- Hein ? Moi ? Non.
- Ce n’est pas à vous qu’il parle, me dit Steven du graphisme. C’est à Sandra du marketing.
Barnaski s’agita :
- Est-ce que l’on pourrait arrêter de bouffer et d’interférer dans la discussion en se proposant des petites tasses de café bien chaud et des beignets. On joue à la dînette ou on fabrique des best-sellers ici ?