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- Oui.

- Enfile-la. T’es couvert de sang.

Un quart d’heure plus tard, alors que Pratt croisait près de Montburry les patrouilles venues en renfort, Travis, en veste, entouré de collègues affluant de tout l’État, bouclait le périmètre de Side Creek Lane où venait d’être retrouvé le corps de Deborah Cooper.

Au cœur de la nuit, Travis et Pratt revinrent à Goose Cove. Ils enterrèrent Nola à vingt mètres de la maison. Pratt avait déjà établi le périmètre de fouil es avec le capitaine Rodik, de la police d’État : il savait que Goose Cove n’en faisait pas partie, personne ne viendrait la chercher ici. Elle avait gardé son sac en bandoulière et ils l’ensevelirent avec, sans même regarder ce qu’il contenait.

Lorsque le trou fut rebouché, Travis reprit la Chevrolet noire et disparut sur la route 1, le cadavre de Luther dans le coffre. Il pénétra dans le Massachusetts. Sur le trajet, il dut franchir deux barrages de police.

- Papiers du véhicule, dirent à chaque fois les flics, nerveux, en voyant la voiture.

Et chaque fois, Travis brandit sa plaque.

- Police d’Aurora, les gars. Je suis justement sur la piste de notre homme.

Les policiers saluèrent leur col ègue avec déférence, lui souhaitant bon courage.

Il roula jusqu’à une petite ville côtière qu’il connaissait bien. Sagamore. Il prit la route du bord de l’océan, celle qui longe les falaises de Sunset Cove. Il y avait un parking désert. La journée, la vue était magnifique; il avait souvent voulu y emmener Jenny pour une virée romantique. Il arrêta la voiture, installa Luther à la place du conducteur, versa dans sa bouche du mauvais alcool. Puis il mit la voiture au point mort et la poussa : elle roula d’abord doucement sur la petite pente herbeuse, avant de dévaler la paroi rocheuse et de disparaître dans le vide dans un fracas métallique.

Il redescendit ensuite la route sur quelques centaines de mètres. Une voiture attendait sur le bas-côté. Il monta à la place du passager. Il était en sueur et couvert de sang.

- C’est fait, dit-il à Pratt, installé au volant.

Le Chef démarra.

- Nous ne devrons plus jamais parler de ce qui s’est passé, Travis. Et lorsqu’ils retrouveront la voiture, il faudra étouffer l’affaire. Ne pas avoir de coupable, c’est la seule manière de ne jamais risquer d’être inquiété. Compris ?

Travis hocha la tête. Il mit la main dans sa poche et serra le col ier qu’il avait secrètement arraché du cou de Nola au moment de l’enterrer. Un joli collier en or avec le prénom NOLA inscrit dessus.

Harry s’était rassis sur le canapé.

- Alors ils ont tué Nola, Luther et Deborah Cooper.

- Oui. Et ils se sont arrangés pour que l’enquête n’aboutisse jamais. Harry, vous saviez que Nola avait des épisodes psychotiques, hein ? Et vous en avez parlé au révérend Kel ergan à l’époque…

- J’ignorais l’histoire de l’incendie. Mais j’ai découvert que Nola avait des fragilités lorsque je suis al é chez les Kellergan pour en découdre avec eux à propos des mauvais traitements qu’ils lui infligeaient. J’avais promis à Nola que je n’irais pas voir ses parents, mais je ne pouvais pas ne rien faire, vous comprenez ? C’est là que j’ai compris que les parents Kellergan se résumaient au révérend tout seul, veuf depuis six ans et complètement dépassé par la situation. Il… Il refusait de voir la vérité en face.

Je devais emmener Nola loin d’Aurora, pour la faire soigner.

- Alors la fuite, c’était pour la faire soigner…

- Pour moi, c’en était devenu la raison. Nous aurions vu de bons médecins, elle aurait guéri ! C’était une fil e extraordinaire, Marcus ! Elle aurait fait de moi un grand écrivain, et moi j’aurais chassé ses mauvaises pensées ! Elle m’a inspiré, el e m’a guidé ! Elle m’a guidé toute ma vie ! Vous le savez, hein ? Vous le savez mieux que personne !

- Oui, Harry. Mais pourquoi ne m’avoir rien dit ?

- Je voulais le faire ! Je l’aurais fait s’il n’y avait pas eu ces fuites à propos de votre livre. J’ai pensé que vous aviez trahi ma confiance. J’étais en colère contre vous.

Je crois que je voulais que votre livre soit un échec : je savais que plus personne ne vous prendrait au sérieux après l’histoire de la mère. Oui, c’est ça : je voulais que votre deuxième livre soit un échec. Comme le mien, au fond.

Nous restâmes silencieux un moment.

- Je regrette, Marcus. Je regrette tout. Vous devez être tel ement déçu de moi…

- Non.

- Je sais que vous l’êtes. Vous aviez fondé tel ement d’espoir en moi. J’ai construit ma vie sur un mensonge !

- Je vous ai toujours admiré pour ce que vous étiez, Harry. Et peu m’importe que vous ayez écrit ce livre ou non. C’est l’homme que vous êtes qui m’a tant appris de la vie. Et cela, personne ne peut le renier.

- Non, Marcus. Vous ne me regarderez plus jamais comme avant ! Et vous le savez. Je ne suis qu’une grande supercherie ! Un imposteur ! Voilà pourquoi je vous

disais que nous ne pourrions plus être amis : tout est fini. Tout est fini, Marcus. Vous êtes en train de devenir un écrivain formidable, et moi je ne suis plus rien. Vous êtes un véritable écrivain, moi, je ne l’ai jamais été. Vous vous êtes battu pour votre livre, vous vous êtes battu pour retrouver l’inspiration, vous avez surmonté l’obstacle ! Alors que moi, lorsque j’ai été dans la même situation que vous, j’ai trahi.

- Harry, je…

- Ainsi est la vie, Marcus. Et vous savez que j’ai raison. Vous ne pourrez plus me regarder en face désormais. Et moi je ne pourrai plus vous regarder sans éprouver une jalousie débordante et destructrice, parce que vous avez réussi là où j’ai échoué.

Il me serra contre lui.

- Harry, murmurai-je. Je ne veux pas vous perdre.

- Vous saurez très bien vous débrouil er, Marcus. Vous êtes devenu un sacré bonhomme. Un sacré écrivain. Vous al ez vous en tirer très bien ! Je le sais. À présent, nos chemins bifurquent pour toujours. On appelle ça le destin. Je n’ai jamais eu pour destin de devenir un grand écrivain. J’ai pourtant essayé de le changer : j’ai volé un livre, j’ai menti pendant trente ans. Mais le destin est indomptable : il finit toujours par triompher.

- Harry…

- Votre destin à vous, Marcus, a toujours été d’être écrivain. Je l’ai toujours su. Et j’ai toujours su que le moment que nous vivons maintenant allait arriver.

- Vous resterez toujours mon ami, Harry.

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