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- Le titre m’est venu après coup.

- Après la disparition de Nola, vous voulez dire ?

- Oui. Mais ne parlons pas de ce manuscrit, Marcus. Il est maudit, il n’a attiré que le mal autour de moi, la preuve : Nola est morte et je suis en prison.

Nous nous dévisageâmes un instant. Je déposai sur la table un sac en plastique dans lequel était le contenu de mon paquet.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda Harry.

Sans répondre, j’en sortis un appareil à minidisque auquel était branché un micro, permettant d’effectuer des enregistrements. Je l’installai devant Harry.

- Marcus, nom d’un chien, qu’est-ce que vous fabriquez ? Ne me dites pas que vous avez conservé cette satanée machine…

- Bien sûr, Harry. Je l’ai gardée précieusement.

- Rangez-moi ça, voulez-vous ?

- Ne faites pas votre mauvaise tête, Harry…

- Mais que diable voulez-vous faire de cet engin ?

- Je veux que vous me parliez de Nola, d’Aurora, de tout. De l’été 1975, de votre livre. J’ai besoin de savoir. La vérité, Harry, doit figurer quelque part.

Il sourit tristement. J’enclenchai l’enregistreur et je le laissai parler. C’était une jolie scène : dans ce parloir de prison, où, parmi les tables en plastique, des maris retrouvaient leur femme, des pères retrouvaient leurs enfants, je retrouvais mon vieux maître qui me racontait son histoire.

Ce soir-là, je dînai de bonne heure, sur la route du retour vers Aurora. Après quoi, comme je n’avais pas envie de retourner tout de suite à Goose Cove et me retrouver seul dans cette immense maison, je longeai longuement la côte en voiture. Le jour déclinait, l’océan scintil ait : tout était magnifique. Je passai le Sea Side Motel, la forêt de Side Creek, Side Creek Lane, Goose Cove, je traversai Aurora et je me rendis jusqu’à la plage de Grand Beach. Je marchai jusqu’au bord de l’eau, puis je m’assis sur les galets pour contempler la nuit naissante. Les lumières d’Aurora dansaient au loin dans le miroir des vagues; les oiseaux d’eau poussaient des cris stridents, des rossignols chantaient dans les buissons alentour, j’entendais les cornes de brume des phares. Je mis en marche l’enregistreur, et la voix de Harry retentit dans l’obscurité : Vous connaissez la plage de Grand Beach, Marcus ? C’est la première d’Aurora lorsqu’on arrive depuis le Massachusetts. Parfois je m’y rends à la tombée de la nuit et je regarde les lumières de la ville. Et je repense à tout ce qui s’y est passé depuis trente ans. Cette plage est celle sur laquel e je m’arrêtai, le jour de mon arrivée à Aurora.

C’était le 20 mai 1975. J’avais trente-quatre ans. J’arrivais de New York où je venais de décider de prendre mon destin en main : j’avais tout plaqué, j’avais quitté mon poste d’enseignant en littérature, j’avais rassemblé mes économies et j’avais décidé de tenter

une aventure d’écrivain : m’isoler en Nouvelle-Angleterre et y écrire le roman dont je rêvais.

J’avais d’abord pensé louer une maison dans le Maine, mais un agent immobilier de Boston m’avait convaincu de porter mon choix sur Aurora. Il m’avait parlé d’une maison de rêve qui correspondait exactement à ce que je cherchais : c’était Goose Cove. À l’instant où je suis arrivé devant cette maison, j’en suis tombé amoureux.

C’était l’endroit qu’il me fallait : une retraite calme et sauvage, sans être complètement isolée non plus, car à quelques miles seulement d’Aurora. La ville me plaisait beaucoup également. La vie y semblait douce, les enfants jouaient dans les rues en toute insouciance, le taux de criminalité était inexistant; c’était un endroit de carte postale. La maison de Goose Cove était bien au-dessus de mes moyens mais l’agence de location accepta que je paie en deux fois, et je fis mes calculs : si je ne dépensais pas trop d’argent, je pourrais joindre les deux bouts. Et puis j’avais un pressentiment : celui que je faisais le bon choix. Je ne m’y trompai pas, puisque cette décision transforma ma vie : le livre que j’écrivis cet été-là allait faire de moi un homme riche et célèbre.

Je crois que ce qui me plaisait tant à Aurora, ce fut le statut particulier dont j’y jouis rapidement : à New York, je n’étais qu’un prof de lycée doublé d’un écrivain anonyme, mais à Aurora, j’étais Harry Quebert, un écrivain venu de New York pour y écrire son prochain roman. Vous savez, Marcus, cette histoire de « Formidable », lorsque vous étiez au lycée et que vous vous êtes contenté de biaiser le rapport aux autres pour briller : c’est exactement ce qui m’est arrivé en débarquant ici. J’étais un jeune homme sûr de moi, élégant, beau garçon, athlétique et cultivé, résidant de surcroît dans la magnifique propriété de Goose Cove. Les habitants de la ville, bien que ne me connaissant pas de nom, jugèrent de ma réussite à mon attitude et à la maison que j’occupais. Il n’en fallut pas plus pour que la population s’imagine que j’étais une grande vedette new-yorkaise : et du jour au lendemain, je devins quelqu’un. L’écrivain respecté que je ne pouvais pas être à New York, je l’étais à Aurora. J’avais procuré à la bibliothèque municipale quelques exemplaires de mon premier livre emportés avec moi, et figurez-vous que ce misérable tas de feuilles boudé par New York suscita l’enthousiasme ici à Aurora. C’était l’année 1975, dans une toute petite ville du New Hampshire qui se cherchait une raison d’exister, bien avant Internet et toute cette technologie, et qui trouva en moi la vedette locale dont elle avait toujours rêvé.

Il était environ vingt-trois heures lorsque je rentrai à Goose Cove. En m’engageant dans le petit chemin de gravier qui menait à la maison, je vis apparaître, dans le faisceau de mes phares, une silhouette masquée qui prit la fuite dans la forêt.

Je freinai brusquement et bondis hors de la voiture en hurlant, m’apprêtant à me lancer à la poursuite de l’intrus. C’est alors que mon regard fut attiré par une intense lueur : quelque chose brûlait près de la maison. Je courus pour aller voir ce qui se passait : la Corvette de Harry était en feu. Les flammes étaient déjà immenses, et une colonne de fumée âcre s’élevait dans le ciel. J’appelai à l’aide, mais il n’y avait personne. Il n’y avait que la forêt tout autour de moi. Les vitres de la Corvette explosèrent sous l’effet de la chaleur, la tôle se mit à se tordre et les flammes redoublèrent, léchant les murs du garage. Je ne pouvais rien faire. Tout allait brûler.

26. N-O-L-A

(Aurora, New Hampshire, samedi 14 juin 1975)

“Si les écrivains sont des êtres si fragiles, Marcus, c’est parce qu’ils peuvent connaître deux sortes de peines sentimentales, soit deux fois plus que les êtres humains normaux : les chagrins d’amour et les chagrins de livre. Écrire un livre, c’est comme aimer quelqu’un : ça peut devenir très douloureux.”

NOTE DE SERVICE

À L’ATTENTION DE TOUT LE PERSONNEL

Vous aurez remarqué que depuis une semaine Harry Quebert vient tous lesjours déjeuner dans notre établissement. Monsieur Quebert est un grand écrivain new-yorkais, il convient de lui porter une attention particulière. Il faut savoir satisfaire tousses besoins dans la plus grande discrétion. Ne jamais l’importuner.

La table 17 lui est réservée jusqu’à nouvel ordre. Elle doit toujours être libre pourlui.

Tamara Quinn

C’est le poids de la bouteille de sirop d’érable qui déséquilibra le plateau.

Aussitôt qu’el e la posa dessus, il bascula; voulant le rattraper, elle perdit l’équilibre à son tour, et dans un fracas monumental, le plateau s’écrasa par terre et el e avec.

Harry passa la tête par-dessus le comptoir.

- Nola ? Est-ce que ça va ?

Elle se releva, un peu sonnée.

- Oui, oui, je…

Ils observèrent un instant l’étendue des dégâts, avant d’éclater de rire.

- Ne riez pas, Harry, finit par le réprimander gentiment Nola. Si Madame Quinn apprend que j’ai encore fait tomber un plateau, je vais en prendre pour mon grade.

Il passa derrière le comptoir et s’accroupit pour l’aider à ramasser les débris de verre qui gisaient au milieu d’une mélasse de moutarde, de mayonnaise, de ketchup, de sirop d’érable, de beurre, de sucre et de sel.

- Bon sang, dit-il, est-ce qu’on pourrait m’expliquer pourquoi depuis une semaine, tout le monde ici se borne à m’apporter tous ces condiments en même temps à chaque fois que je commande quelque chose ?

- C’est à cause de la note, répondit Nola.

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