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- Peut-être. En tout cas, je n’aime pas ça. Toute cette affaire sent la poudre. Je vais laisser une patrouille ici pour la nuit, c’est plus sûr.

- Pas besoin de patrouille. Si ce type me cherche, qu’il vienne : il me trouvera.

- Du calme, Marcus. Il y aura une patrouil e qui restera ici cette nuit, que tu le veuilles ou non. Si, comme je le pense, il s’agit d’un avertissement, cela signifie qu’il y aura d’autres actions à venir. Il va falloir être très prudent.

À la première heure du lendemain, je me rendis à la prison d’État pour rapporter

cet incident à Harry.

- Rentre chez toi, Goldman ? répéta-t-il lorsque je lui mentionnai la découverte du message.

- Comme je vous dis. Écrit à l’ordinateur.

- Qu’a fait la police ?

- Travis Dawn est venu. Il a pris la lettre, il a dit qu’il la ferait analyser. Selon lui, ce serait un avertissement. Peut-être quelqu’un qui n’a pas envie que je creuse plus avant dans cette affaire. Quelqu’un qui voit en vous le coupable idéal et qui n’a pas envie que je mette mon nez là-dedans.

- Celui qui aurait tué Nola et Deborah Cooper ?

- Par exemple.

Harry avait un air grave.

- Roth m’a dit que je passerais devant le Grand Jury mardi prochain. Une poignée de bons citoyens qui vont étudier mon cas et décider si les accusations sont fondées. Apparemment, le Grand Jury suit toujours le procureur… C’est un cauchemar, Marcus, chaque jour qui passe, j’ai l’impression de m’enfoncer davantage. De perdre pied. D’abord on m’arrête, et je me dis que c’est une erreur, l’affaire de quelques heures, et puis je me retrouve enfermé ici jusqu’au procès, qui aura lieu Dieu sait quand, à risquer la peine de mort. La peine capitale, Marcus ! J’y pense tout le temps.

J’ai peur.

Je voyais bien que Harry dépérissait. Il y avait à peine plus d’une semaine qu’il était en prison, il était évident qu’il ne tiendrait pas un mois.

- On va vous tirer de là, Harry… on va découvrir la vérité. Roth est un très bon avocat, il faut garder confiance. Continuez à me raconter, voulez-vous ? Parlez-moi de Nola, reprenez votre récit. Que s’est-il passé après ?

- Après quoi ?

- Après l’épisode de la plage. Lorsque Nola est venue vous trouver ce samedi, après le spectacle du lycée, et qu’el e vous a dit que vous ne deviez pas vous sentir seul.

Tout en parlant, j’instal ai mon enregistreur sur la table et l’enclenchai. Harry esquissa un sourire.

- Vous êtes un type bien, Marcus. Parce que c’est ça l’important : Nola qui vient sur la plage et qui me dit de ne pas me sentir seul, qu’elle est là pour moi… Au fond, j’avais toujours été un type assez solitaire, et voilà que c’était soudain différent. Avec Nola je me sentais comme faisant partie d’un tout, d’une entité que nous formions ensemble. Lorsqu’elle n’était pas à mes côtés, il y avait un vide en moi, une sensation de manque que je n’avais jamais ressentie jusqu’alors : comme si, à présent qu’elle était entrée dans ma vie, mon monde ne pouvait plus tourner correctement sans elle. Je savais que mon bonheur passait par elle, mais j’étais également conscient que, elle et moi, ça allait être terriblement compliqué. Ma première réaction fut d’ailleurs de refouler mes sentiments : c’était une histoire impossible. Ce samedi-là, nous sommes restés un moment sur la plage, puis je lui ai dit qu’il était tard, qu’elle devrait rentrer chez el e avant que ses parents ne s’inquiètent, et el e a obéi. Elle est partie, elle a longé la plage, et je l’ai regardée s’éloigner, en espérant qu’elle se retourne, juste une fois, pour me faire un petit signe de la main. N-O-L-A. Il fallait pourtant absolument que je me la sorte de la tête… Alors, durant toute la semaine qui suivit, je m’efforçai de me

rapprocher de Jenny pour oublier Nola, cette Jenny qui est devenue l’actuel e patronne du Clark’s.

- Attendez… Vous voulez dire que la Jenny dont vous me parlez, la serveuse du Clark’s, cel e de 1975, c’est Jenny Dawn, la femme de Travis, cel e qui tient le Clark’s aujourd’hui ?

- Elle-même. Avec trente ans de plus. À l’époque c’était une très jolie femme.

C’est resté une belle femme, d’ailleurs. Vous savez, elle aurait pu aller tenter sa chance à Hollywood, comme actrice. Elle en parlait souvent. Quitter Aurora et partir vivre la grande vie en Californie. Mais elle n’a rien fait de tout ça : elle est restée ici, elle a repris le restaurant de sa mère, et au final elle aura vendu des hamburgers toute sa vie. Sa faute : on a la vie qu’on se choisit, Marcus. Et je sais de quoi je parle…

- Pourquoi dites-vous cela ?

- Ça n’a pas d’importance… Je divague et je me perds dans mon récit. Je vous parlais de Jenny. Jenny, vingt-quatre ans, était donc une très belle femme : reine de beauté au lycée, une blonde sensuelle à faire tourner la tête de n’importe quel homme.

D’ail eurs tout le monde reluquait Jenny à cette époque. Je passais mes journées au Clark’s, en sa compagnie. J’avais un compte au Clark’s, et je faisais tout mettre dessus.

Je ne faisais guère attention à ce que je dépensais, alors que j’avais sabordé mes économies pour louer la maison et que mon budget était très serré.

Mercredi 18 juin 1975

Depuis l’arrivée de Harry à Aurora, il fal ait à Jenny Quinn une bonne heure de plus pour se préparer le matin. Elle était tombée amoureuse de lui le premier jour où el e l’avait vu.

Jamais auparavant, el e n’avait ressenti en elle pareil es sensations : il était l’homme de sa vie, el e le savait. Il était celui qu’el e attendait depuis toujours. Chaque fois qu’elle le voyait, elle s’imaginait leur vie ensemble : leur mariage triomphal et leur vie new-yorkaise. Goose Cove deviendrait leur maison d’été, là où il pourrait relire ses manuscrits au calme, et elle viendrait visiter ses parents. Il était celui qui l’emmènerait loin d’Aurora; elle n’aurait plus jamais à nettoyer les tables couvertes de graisse ni les toilettes de ce restaurant de péquenauds. Elle ferait carrière à Broadway, el e irait tourner des films en Californie. On parlerait de leur couple dans les journaux.

Elle n’inventait rien, son imagination ne lui jouait pas de tours : il était évident qu’il se passait quelque chose entre Harry et elle. Il l’aimait, lui aussi, ça ne faisait aucun doute. Sinon pourquoi viendrait-il tous les jours au Clark’s ? Tous les jours ! Et leurs conversations, au comptoir ! Elle aimait tant qu’il vienne s’asseoir face à elle pour bavarder un peu. Il était différent de tous les hommes qu’el e avait rencontrés jusqu’alors, beaucoup plus évolué. Sa mère, Tamara, avait donné des consignes aux employées du Clark’s, elle avait notamment interdit de lui parler et de le distraire, et il était arrivé qu’el e la dispute à la maison parce qu’el e jugeait que son comportement avec lui était inadéquat. Mais sa mère ne comprenait rien, el e ne comprenait pas que Harry l’aimait au point d’écrire un livre sur elle.

Cela faisait plusieurs jours qu’elle se doutait pour le livre : elle en eut la certitude ce matin-là. Harry arriva au Clark’s à l’aube, vers les six heures trente, peu après l’ouverture. Il était rare qu’il vienne si tôt; en principe, seuls les routiers ou les commis

voyageurs venaient à cette heure. À peine installé à sa table habituelle, il se mit à écrire, frénétiquement, presque couché sur sa feuille, comme par crainte que l’on puisse voir ses mots. Parfois il s’arrêtait, et il la regardait longuement; el e faisait semblant de ne rien remarquer mais elle savait qu’il la dévorait des yeux. D’abord el e n’avait pas saisi la raison de ses regards insistants. C’est peu avant midi qu’el e comprit qu’il était en train d’écrire un livre sur el e. Oui, el e, Jenny Quinn, était le sujet central du nouveau chef-d’œuvre de Harry Quebert. Voilà pourquoi il ne voulait pas que l’on puisse voir ses feuillets. Aussitôt qu’elle le réalisa, elle sentit une immense excitation l’envahir. Elle saisit l’occasion de l’heure du déjeuner pour lui apporter le menu et bavarder un peu.

Il avait passé la matinée à écrire les quatre lettres de son prénom : N-O-L-A. Il avait son image en tête, son visage envahissait ses pensées. Parfois, il fermait les yeux pour se la représenter, puis, comme pour essayer de se soigner, il s’efforçait de regarder Jenny dans l’espoir de tout oublier d’elle. Jenny était une très belle femme, pourquoi ne pourrait-il pas l’aimer ?

Lorsque, peu avant midi, il vit Jenny venir vers lui avec le menu et du café, il recouvrit sa page d’une feuille blanche, comme il faisait à chaque fois que quelqu’un approchait.

- Il est l’heure de manger quelque chose, Harry, ordonna-t-elle d’un ton trop maternel. Vous n’avez rien avalé de toute la journée hormis un bon litre et demi de café.

Vous al ez avoir des aigreurs d’estomac si vous restez le ventre vide.

Il se força à sourire poliment et à entamer un brin de conversation. Il sentit que son front était en sueur et l’épongea rapidement du revers de la main.

- Vous avez chaud, Harry. Vous travaillez trop !

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