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- C’est possible.

- Vous êtes inspiré ?

- Oui. On peut dire que ces temps-ci ça va pas mal.

- Vous n’avez pas levé le nez de la matinée.

- Effectivement.

Jenny esquissa un sourire complice pour lui faire comprendre qu’elle savait tout à propos du livre.

- Harry… Je sais que c’est osé, mais… Pourrais-je lire ? Juste quelques pages ?

Je suis si curieuse de voir ce que vous écrivez. Ce doit être des mots merveilleux.

- Ce n’est pas encore assez abouti…

- C’est sûrement déjà formidable.

- Nous verrons plus tard.

Elle sourit encore.

- Laissez-moi vous apporter une limonade pour vous rafraîchir. Voulez-vous manger quelque chose ?

- Je prendrai des œufs et du bacon.

Jenny disparut aussitôt dans la cuisine et hurla au cuisinier : Œufs et bacon pour le grrrrand écrivain ! Sa mère, qui l’avait vue badiner en sal e, la rappela à l’ordre :

- Jenny, je veux que tu cesses d’importuner Monsieur Quebert !

- Importuner ? Oh, Maman, tu n’y es pas : je l’inspire.

Tamara Quinn regarda sa fil e d’un air peu convaincu. Sa Jenny était une gentille

fille mais beaucoup trop naïve.

- Qui t’a mis ces sornettes dans la tête ?

- Je sais que Harry en pince pour moi, Maman. Et je crois bien que je figure en bonne place dans son livre. Oui, Maman, ta fille ne servira pas du bacon et du café toute sa vie. Ta fil e va devenir quelqu’un.

- Que me chantes-tu là ?

Jenny exagéra un peu pour que sa mère comprenne bien.

- Harry et moi, bientôt, ce sera officiel.

Et, triomphante, elle eut un petit rictus narquois et s’en retourna en sal e avec une démarche de Première Dame.

Tamara Quinn ne put réprimer un sourire de contentement : si sa fille parvenait à mettre le grappin sur Quebert, on parlerait du Clark’s à travers tout le pays. Qui sait, le mariage pourrait même avoir lieu ici, el e trouverait les mots pour convaincre Harry.

Quartier bouclé, de grandes tentes blanches sur la rue, invités triés sur le volet; la moitié du gratin new-yorkais, des journalistes par dizaines pour couvrir l’événement, et le crépitement des flashs à n’en plus finir. Il était l’homme providentiel.

Ce jour-là, Harry quitta le Clark’s à seize heures, de façon précipitée, comme s’il s’était laissé surprendre par l’horloge. Il s’engouffra dans sa voiture parquée devant l’établissement et démarra rapidement. Il ne voulait pas être en retard, il ne voulait pas la rater. Peu après son départ, un véhicule de la police d’Aurora se gara dans la place qu’il avait laissée libre. L’officier de police Travis Dawn scruta discrètement l’intérieur du restaurant, en se cramponnant nerveusement à son volant. Jugeant qu’il y avait encore trop de monde à l’intérieur, il n’osa pas entrer. Il en profita pour répéter la phrase qu’il avait préparée. Une seule phrase, il pouvait le faire; il ne devait pas être si timide. Une misérable phrase, à peine plus de dix mots. Il se regarda dans le rétroviseur et il déclama à lui-même : Jonjour, Benny. Je me disais qu’on pourrait al a au cinémer samedi… Il pesta : ce n’était pas la phrase ! Une seule phrase de rien du tout et il n’arrivait pas à s’en rappeler. Il déplia un morceau de papier et relut les mots qu’il avait écrits :

Bonjour, Jenny,

Je me disais que si tu étais libre on pourrait aller au cinéma à Montburry samedi soir.

Ce n’était pourtant pas difficile : il devait entrer dans le Clark’s, sourire, s’installer au comptoir et demander un café. Pendant qu’elle remplirait sa tasse, il devrait dire la phrase. Il remit ses cheveux en place et fit semblant de parler dans le micro de sa radio de bord pour paraître occupé si quelqu’un le voyait. Il attendit dix minutes : quatre clients quittèrent ensemble le Clark’s. La voie était libre. Son cœur battait fort : il le sentait retentir dans sa poitrine, dans ses mains, dans sa tête, même les bouts de ses doigts semblaient réagir à chacune de ses pulsations. Il sortit de sa voiture, serrant dans son poing son morceau de papier. Il l’aimait. Depuis le lycée, il l’aimait. Elle était la plus merveil euse femme qu’il ait jamais connue. C’était pour elle qu’il était resté à Aurora : à l’académie de police, on avait relevé ses aptitudes, on lui avait suggéré de viser plus haut qu’une police locale. On lui avait parlé de police d’État et même de police fédérale. Un type venu de Washington lui avait dit : « Fiston, perds pas ton temps

dans un patelin perdu. Le FBI recrute. C’est quand même quelque chose le FBI. » Le FBI. On lui avait proposé le FBI. Il aurait peut-être même pu demander à rejoindre le très prestigieux Secret Service chargé de la protection du Président et des hautes personnalités du pays. Mais il y avait cette jeune femme qui servait au Clark’s, à Aurora, cette fille dont il était amoureux depuis toujours et dont il avait toujours espéré qu’elle pose un jour les yeux sur lui : Jenny Quinn. Alors il avait demandé pour affectation la police d’Aurora. Sans Jenny, sa vie n’avait pas de sens. Arrivé devant la porte du restaurant, il prit une ample respiration et il entra.

Elle pensait à Harry en essuyant des tasses déjà sèches d’un geste mécanique.

Ces derniers temps, il partait toujours vers seize heures; el e se demandait où il al ait avec une telle régularité. Avait-il rendez-vous ? Et avec qui ? Un client s’installa au comptoir, l’extirpant de ses rêveries.

- Bonjour, Jenny.

C’était Travis, son gentil copain de lycée devenu policier.

- Salut, Travis. Je te sers un café ?

- Volontiers.

Il ferma les yeux un instant pour se concentrer : il devait lui dire la phrase. Elle posa une tasse devant lui et la remplit. C’était le moment de se lancer.

- Jenny… Je voulais te dire…

Are sens