- Que tu l’as mise à la porte !
- Je ne l’ai pas mise à la porte, Maman. Je lui ai trouvé un bon emploi chez Schmid & Hanson. Je n’avais plus rien à lui proposer, plus de livre, plus de projet, plus rien ! Il fal ait bien que je lui assure un peu son avenir, non ? Je lui ai trouvé un poste en or au département marketing.
- Oh, Markie, nous sommes tombées dans les bras l’une de l’autre. Elle dit que tu lui manques.
- Pitié, Maman.
Elle chuchota plus encore. Je l’entendais à peine.
- J’ai eu une idée, Markie.
- Quoi ?
- Connais-tu le grand Soljenitsyne ?
- L’écrivain ? Oui. Quel rapport ?
- J’ai vu un documentaire sur lui, hier soir. Quel hasard du ciel d’avoir vu cette émission ! Figure-toi qu’il s’est marié avec sa secrétaire. Sa secrétaire ! Et sur qui je tombe aujourd’hui ? Ta secrétaire ! C’est un signe, Markie ! Elle n’est pas vilaine et surtout el e déborde d’œstrogènes ! Je le sais, les femmes sentent ça. Elle est fertile, docile, el e te fera un enfant tous les neuf mois ! Je lui apprendrai comment élever les enfants, et comme ça ils seront tout comme je veux ! N’est-ce pas merveil eux ?
- C’est hors de question. Elle ne me plaît pas, el e est trop âgée pour moi et de toute façon elle a déjà un ami. Et puis, on ne se marie pas avec sa secrétaire.
- Mais si le grand Soljenitsyne l’a fait, ça veut dire que c’est autorisé ! Elle est accompagnée par un type, oui, mais c’est une lavette ! Il sent l’eau de Cologne de supermarché. Toi tu es un grand écrivain, Markie. Tu es le Formidable !
- Le Formidable a été battu par Marcus Goldman, Maman. Et c’est à ce moment-là que j’ai pu commencer à vivre.
- Que veux-tu dire ?
- Rien, Maman. Mais laisse Denise dîner tranquil ement, s’il te plaît.
Une heure plus tard, une patrouille de police passa pour s’assurer que tout al ait
bien. C’étaient deux jeunes officiers de mon âge, très sympathiques. Je leur offris du café et ils me dirent qu’ils al aient rester un moment devant la maison. La nuit était douce et par la fenêtre ouverte, je les entendis bavarder et plaisanter, assis sur le capot de leur voiture, à fumer une cigarette. En les écoutant, je me sentis soudain très seul et très loin du monde. On venait de me proposer une somme d’argent colossale pour la publication d’un livre qui me replacerait immanquablement sur le devant de la scène, je menais une existence qui faisait rêver des millions d’Américains, il me manquait pourtant quelque chose : une véritable vie. J’avais passé la première partie de mon existence à assouvir mes ambitions, j’entamai la suivante en essayant de maintenir ces ambitions à flot et à bien y réfléchir, je me demandais à quel moment je déciderais de vivre, tout simplement. Sur mon compte Facebook, je passai en revue la liste de mes milliers d’amis virtuels; il n’y en avait pas un que je puisse appeler pour aller boire une bière. Je voulais un groupe de bons copains avec qui suivre le championnat de hockey et partir faire du camping le week-end; je voulais une fiancée, gentille et douce, qui me fasse rire et un peu rêver. Je ne voulais plus être seul.
Dans le bureau de Harry, je contemplai longuement les photographies de la peinture que j’avais prises et dont Gahalowood m’avait donné un agrandissement. Qui était le peintre ? Caleb ? Stern ? C’était, en tous les cas, un très beau tableau.
J’enclenchai mon lecteur de minidisques et je réécoutai la conversation de ce jour avec Harry.
- Merci, Marcus. Je suis touché. Mais l’amitié ne doit pas être le motif de ce livre.
- Comment ça ?
- Vous souvenez-vous de notre conversation, le jour où vous avez obtenu votre diplôme à Burrows ?
- Oui, nous avons fait une longue marche ensemble à travers le campus. Nous sommes allés jusqu’à la salle de boxe. Vous m’avez demandé ce que je comptais faire à présent, j’ai répondu que j’al ais écrire un livre. Et là, vous m’avez demandé pourquoi j’écrivais. Je vous ai répondu que j’écrivais parce que j’aimais ça et vous m’avez répondu…
- Oui, que vous ai-je répondu ?
- Que la vie n’avait que peu de sens. Et qu’écrire donnait du sens à la vie.
Suivant le conseil de Harry, je me remis à mon ordinateur pour continuer à écrire.
Goose Cove, minuit. Par la fenêtre ouverte du bureau, le vent léger de l’océan pénètre dans la pièce. Il y a une odeur agréable de vacances. La lune brillante il umine tout au-dehors.
L’enquête avance. Ou du moins le sergent Gahalowood et moi-même découvrons peu à peu l’ampleur de l’affaire. Je crois que ça va beaucoup plus loin qu’une histoire d’amour interdite ou qu’un sordide fait divers qui voudrait qu’un soir d’été, une fillette en fugue soit la victime d’un rôdeur. Il y a encore trop de questions en suspens :
- En 1969, les Kel ergan quittent Jackson, Alabama, alors que David, le père, dirige une paroisse florissante. Pourquoi ?
- Été 1975, Nola vit une histoire d’amour avec Harry Quebert, dont il va s’inspirer pour écrire Les Origines du mal. Mais Nola vit également une relation avec Elijah Stern, qui la fait peindre nue. Qui est-elle vraiment ? Une sorte de muse ?
- Quel est le rôle de Luther Caleb, dont Nancy Hattaway m’a confié qu’il venait chercher Nola à Aurora pour la conduire à Concord ?
- Qui, hormis Tamara Quinn, savait pour Nola et Harry ? Qui a pu envoyer ces lettres anonymes à Harry ?
- Pourquoi le Chef Pratt, qui dirige l’enquête sur sa disparition, n’interroge-t-il pas Harry après les révélations de Tamara Quinn ? A-t-il interrogé Stern ?
- Qui diable a tué Deborah Cooper et Nola Kel ergan ?
- Et qui est cette ombre insaisissable qui veut m’empêcher de raconter cette histoire ?
EXTRAITS DE : LES ORIGINES DU MAL, PAR HARRY L. QUEBERT
Le drame avait eu lieu un dimanche. Elle était malheureuse et el e avait essayé de mourir.
Son cœur n’avait plus la force de battre s’il ne battait pas pour lui. Elle avait besoin de lui pour vivre. Et depuis qu’il l’avait compris, il venait tous les jours à l’hôpital pour la regarder en secret. Comment une aussi jolie personne avait-elle pu vouloir se tuer ? Il s’en voulait. C’était comme si c’était lui qui lui avait fait du mal.
Tous les jours, il s’asseyait en secret sur un banc du grand parc public qui entourait la clinique, et il attendait le moment où elle sortait profiter du soleil. Il la regardait vivre. Vivre était si important. Puis, il profitait qu’elle soit hors de sa chambre pour aller déposer une lettre sous son oreiller.
Ma tendre chérie,