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Je mentionnai l’escapade de Harry et Nola à Martha’s Vineyard, les coups répétés de la mère, le père qui se cachait dans le garage. Il y avait selon moi un épais mystère autour de Nola : une fille lumineuse et éteinte à la fois, qui, de l’avis de tous, rayonnait, mais qui avait tout de même essayé de se suicider. Nous prîmes notre petit déjeuner puis nous nous mîmes en route pour al er trouver David Kellergan.

La porte de la maison de Terrace Avenue était ouverte, mais il n’était pas là; aucune musique ne s’échappait du garage. Nous l’attendîmes sous le porche. Il arriva au bout d’une demi-heure sur une moto pétaradante : la Harley-Davidson qu’il avait mis trente-trois ans à réparer. Il la conduisait tête nue avec, dans les oreilles, des écouteurs branchés à un lecteur de CD portable. Il nous salua en hurlant à cause du volume de la musique, qu’il finit par éteindre lorsqu’il enclencha le pick-up dans le garage, assourdissant toute la maison.

- La police a dû intervenir ici à plusieurs reprises, nous expliqua-t-il. À cause du volume de la musique. Tous les voisins se sont plaints. Le Chef Travis Dawn est venu en personne pour essayer de me convaincre de renoncer à ma musique. Je lui ai répondu : « Que voulez-vous : la musique est ma punition. » Alors il est al é m’acheter ce lecteur portable et une version CD du vinyle que j’écoute en boucle. Il m’a dit que comme ça je pourrais faire exploser mes tympans sans faire exploser le standard de la police avec les appels des voisins.

- Et la moto ? demandai-je.

- J’ai fini de la réparer. Elle est belle, hein ?

Maintenant qu’il savait ce qu’était devenue sa fille, il avait pu finir la moto sur laquel e il travaillait depuis le soir de sa disparition.

David Kellergan nous instal a dans sa cuisine et nous servit du thé glacé.

- Quand me rendrez-vous le corps de ma fil e, sergent ? demanda-t-il à Gahalowood. Il faut l’enterrer maintenant.

- Bientôt, Monsieur. Je sais que c’est difficile.

Le père joua avec son verre.

- Elle aimait le thé glacé, nous dit-il. Les soirs d’été, souvent, nous en prenions une grande bouteil e et nous allions la boire sur la plage pour regarder le soleil descendre derrière l’océan et les mouettes qui dansaient dans le ciel. Elle aimait les mouettes. Elle les aimait tant. Le saviez-vous ?

J’acquiesçai. Puis je dis :

- Monsieur Kellergan, il y a des zones d’ombre dans le dossier. C’est la raison pour laquelle le sergent Gahalowood et moi-même sommes là.

- Des zones d’ombre ? J’imagine bien… Ma fil e a été assassinée et enterrée dans un jardin. Vous avez du nouveau ?

- Monsieur Kel ergan, connaissez-vous un certain Elijah Stern ? demanda Gahalowood.

- Pas personnellement. Je l’ai croisé quelques fois à Aurora. Mais c’était il y a longtemps. Un type très riche.

- Et son homme à tout faire ? Un certain Luther Caleb.

- Luther Caleb… Ce nom ne me dit rien. J’ai pu oublier, vous savez. Le temps a passé et a commencé à faire sa grande lessive. Pourquoi ces questions ?

- Tout porte à croire que Nola a été liée à ces deux personnes.

- Liée ? répéta David Kel ergan, qui n’était pas stupide. Que signifie liée dans votre langage diplomatique de policier ?

- Nous pensons que Nola a eu une relation avec Monsieur Stern. Je suis navré de vous l’annoncer de façon aussi brutale.

Le visage du père prit une teinte pourpre.

- Nola ? Qu’est-ce que vous essayez d’insinuer ? Que ma fil e était une putain ?

Ma fil e a été la victime de cette saloperie de Harry Quebert, pédophile notoire qui devrait bientôt finir dans le couloir de la mort ! Allez vous occuper de lui et ne venez pas ici salir les morts, sergent ! Cette conversation est terminée. Au revoir, Messieurs.

Gahalowood se leva docilement mais il y avait encore certains points que je voulais tirer au clair. Je dis :

- Votre femme la battait, hein ?

- Je vous demande pardon ? s’étrangla Kellergan.

- Votre femme, elle rossait Nola. C’est juste ?

- Mais vous êtes complètement fou !

Je ne le laissai pas continuer :

- Nola a fugué, à la fin du mois de juillet 1975. Elle a fugué et vous n’avez rien dit à personne, je me trompe ? Pourquoi ? Vous aviez honte ? Pourquoi n’avez-vous pas appelé la police lorsqu’el e s’est enfuie de chez vous, à la fin juillet 1975 ?

Il amorça une explication :

- Elle al ait revenir… La preuve, une semaine après, elle était là !

- Une semaine ! Vous avez attendu une semaine ! Pourtant, le soir de sa disparition, vous appelez la police une heure seulement après avoir constaté sa disparition. Pourquoi ?

Le père se mit à hurler :

- Mais parce que ce soir-là, en al ant à sa recherche dans le quartier, j’ai entendu parler de cette fil e qu’on avait vue en sang à Side Creek Lane, et j’ai immédiatement fait le lien ! Enfin, qu’est-ce que vous me voulez, Goldman ? Je n’ai plus de famille, je n’ai plus rien ! Pourquoi vous venez rouvrir mes plaies ? Foutez le camp, maintenant !

Foutez le camp !

Je ne me laissai pas impressionner :

- Que s’est-il passé en Alabama, Monsieur Kel ergan ? Pourquoi êtes-vous venus à Aurora ? Et qu’est-ce qui s’est passé ici en 1975 ! Répondez ! Répondez, nom de Dieu ! Vous devez bien ça à votre fil e !

Kel ergan se leva, comme fou, et se jeta sur moi. Il m’empoigna au col avec une force que je ne lui aurais jamais soupçonnée. « Foutez le camp de chez moi ! » hurla-t-il en me repoussant en arrière. Je serais probablement tombé par terre si Gahalowood ne m’avait pas rattrapé avant de me traîner dehors.

Are sens