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- Vous êtes cinglé, l’écrivain ? m’invectiva-t-il alors que nous retournions à sa voiture. Ou vous êtes juste anormalement con ? Vous voulez vous mettre tous nos témoins à dos ?

- Admettez que ce n’est pas clair…

- Pas clair quoi ? On vient traiter sa fil e de traînée et il se fâche, c’est assez normal, non ? Par contre, il a bien failli vous en coller une. Costaud, le vieillard. Je n’aurais jamais imaginé.

- Je suis désolé, sergent. Je ne sais pas ce qui m’a pris.

- Et qu’est-ce que c’est que cette histoire d’Alabama ? demanda-t-il.

- Je vous en avais parlé : les Kellergan ont quitté l’Alabama pour venir ici. Et je reste persuadé qu’il y a une bonne raison à leur départ.

- Je me renseignerai. Si vous me promettez de vous tenir correctement à l’avenir.

- On va y arriver, hein, sergent ? Je veux dire : Harry est en passe d’être disculpé, non ?

Gahalowood me regarda fixement :

- Ce qui me dérange, l’écrivain, c’est vous. Moi, je fais mon boulot. J’enquête sur deux meurtres. Mais vous, vous semblez être avant tout obsédé par le besoin de disculper Quebert de l’assassinat de Nola, comme si vous vouliez dire au reste du pays : vous voyez qu’il est innocent, que reproche-t-on à ce brave écrivain ? Mais ce qu’on lui reproche, Goldman, c’est aussi de s’être entiché d’une fille de quinze ans !

- Je le sais bien ! J’y pense tout le temps, figurez-vous !

- Mais alors, pourquoi est-ce que vous n’en parlez jamais ?

- Je suis venu ici juste après le scandale. Sans réfléchir. J’ai avant tout pensé à mon ami, à mon vieux frère Harry. Dans l’ordre normal des choses, je ne serais resté que deux ou trois jours, histoire de soulager ma conscience, et je serais rentré à New York dare-dare.

- Mais alors pourquoi êtes-vous encore là à m’emmerder ?

- Parce que Harry Quebert est le seul ami que j’ai. J’ai trente ans, et je n’ai que lui. Il m’a tout appris, il a été mon seul frère humain durant ces dix dernières années. À

part lui, je n’ai personne.

Je pense qu’à cet instant Gahalowood eut pitié de moi parce qu’il m’invita à dîner chez lui. « Venez ce soir, l’écrivain. On fera le point sur l’enquête, on mangera un morceau. Vous rencontrerez ma femme. » Et comme ça l’aurait tué d’être trop gentil, il prit ensuite son ton le plus désagréable et il ajouta : « Enfin, c’est ma femme qui sera contente surtout. Depuis le temps qu’elle me tanne pour que je vous invite à la maison.

Elle rêve de vous rencontrer. Drôle de rêve. »

La famil e Gahalowood habitait une jolie petite maison dans un quartier résidentiel de l’est de Concord. Helen, la femme du sergent, était élégante et très agréable, soit l’exact opposé de son mari. Elle m’accueillit avec beaucoup de gentillesse. « J’ai tellement aimé votre livre, me dit-elle. Vous êtes donc vraiment en train d’enquêter avec Perry ? » Son mari bougonna que je n’enquêtais pas, que le chef, c’était lui et que j’étais juste un envoyé du ciel venu lui pourrir l’existence. Ses deux filles, des adolescentes visiblement bien dans leur peau, vinrent ensuite me saluer poliment avant de s’éclipser dans leur chambre. Je dis à Gahalowood :

- Au fond, vous êtes le seul dans cette maison à ne pas m’aimer.

Il sourit.

- Fermez-la, l’écrivain. Fermez-la et venez donc dehors boire une bière bien fraîche. Il fait tellement agréable.

Nous passâmes un long moment sur la terrasse, confortablement installés sur des fauteuils en rotin, à vider une glacière en plastique. Gahalowood était en costume, mais il avait chaussé des vieilles pantoufles. Le début de soirée était très chaud, on entendait des enfants jouer dans la rue. L’air sentait bon l’été.

- Vous avez vraiment une chouette famil e, lui dis-je.

- Merci. Et vous ? Une femme ? Des enfants ?

- Non, rien.

- Un chien ?

- Non.

- Même pas de chien ? Vous devez effectivement être sacrément seul, l’écrivain… Laissez-moi deviner : vous habitez un appartement beaucoup trop grand pour vous dans un quartier branché de New York. Un grand appartement toujours vide.

Je n’essayai même pas de nier.

- Avant, dis-je, mon agent venait voir le base-ball chez moi. Nous faisions des nachos au fromage. C’était bien. Mais avec cette histoire, je ne sais pas si mon agent voudra revenir chez moi. Je n’ai plus de ses nouvelles depuis deux semaines.

- Vous avez la trouille, hein, l’écrivain ?

- Oui. Mais le pire, c’est que je ne sais pas de quoi j’ai peur. Je suis en train d’écrire mon nouveau bouquin sur cette affaire. Il devrait me rapporter au minimum un million de dol ars. Je vais sûrement en vendre énormément. Et au fond de moi, je suis malheureux. Qu’est-ce que je dois faire selon vous ?

Il me regarda presque étonné :

- Vous demandez conseil à un type qui gagne 50 000 dollars par an ?

- Oui.

- Je ne sais pas ce que je dois vous dire, l’écrivain.

- Si j’étais votre fils, que me conseil eriez-vous ?

- Vous, mon fils ? Laissez-moi vomir. Allez vous faire psychanalyser, l’écrivain.

Vous savez, j’ai un fils. Plus jeune que vous, il a vingt ans…

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