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Gahalowood avait pris de l’ascendant. Il dit d’une voix très calme mais qui ne permettait aucune tergiversation :

- Arrêtez votre cirque, Pratt, je suis au courant de tout. Je sais que vous n’avez pas mené votre enquête comme vous auriez dû. Je sais qu’au moment de la disparition de la gamine, Tamara Quinn vous a fait part de ses soupçons sur Quebert et que Nancy Hattaway vous a rapporté que Nola avait eu des relations sexuelles avec Elijah Stern. Vous auriez dû embarquer Quebert et Stern, vous auriez dû au moins les interroger, perquisitionner leur maison, éclaircir cette histoire et faire figurer ceci dans votre rapport. C’est la procédure habituelle. Or, vous n’avez rien fait de tout ça !

Pourquoi ? Pourquoi, hein ? Enfin, vous aviez une femme assassinée et une gamine disparue sur les bras !

Je sentais que Pratt était décontenancé. Il haussa la voix pour retrouver de sa superbe :

- J’ai ratissé la région pendant des semaines, beugla-t-il, et même sur mes congés ! Je me suis démené pour retrouver cette gamine ! Alors ne venez pas ici, chez moi, pour m’insulter et remettre en cause mon travail ! Les flics ne font pas ça aux flics !

- Vous avez retourné la terre et fouillé le fond de la mer, rétorqua Gahalowood, mais vous saviez qu’il y avait des personnes à interroger et vous n’avez rien fait !

Pourquoi, nom de Dieu ? Qu’aviez-vous à vous reprocher ?

Il y eut un long silence. Je regardai Gahalowood, il était très impressionnant. Il fixait Pratt avec un calme orageux.

- Qu’avez-vous à vous reprocher ? répéta-t-il. Parlez ! Parlez, au nom du Ciel !

Que s’est-il passé avec cette gamine ?

Pratt détourna les yeux. Il se leva et se plaça face à la fenêtre pour éviter nos regards. Il fixa un moment sa femme, dehors, qui nettoyait les gardénias de leurs feuilles mortes.

- C’était au tout début août, dit-il d’une voix à peine audible. Au tout début août de cette foutue année 1975. Une après-midi, croyez-moi ou non, la petite est venue me trouver, dans mon bureau, au poste de police. J’ai entendu qu’on frappait à la porte et Nola Kellergan est entrée, sans attendre ma réponse. J’étais assis à mon bureau, en

train de lire un dossier. J’ai été surpris de la voir. Je l’ai saluée, je lui ai demandé ce qui se passait. Elle avait un air étrange. Elle ne m’a pas adressé le moindre mot. Elle a refermé la porte, elle a tourné la clé dans la serrure, puis el e m’a regardé fixement, et el e est venue vers moi. Vers le bureau, là…

Pratt s’interrompit. Il était visiblement ému, il ne trouvait plus ses mots.

Gahalowood ne lui montra aucune empathie. Il lui demanda sèchement :

- Et là quoi, Chef Pratt ?

- Croyez-le ou non, sergent. Elle est venue se mettre sous le bureau… Elle…

Elle a ouvert mon pantalon, elle a pris mon pénis, et elle l’a mis dans sa bouche.

Je bondis :

- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

- La vérité. Elle m’a sucé, et je me suis laissé faire. Elle m’a dit : « Laissez-vous al er, Chef. » Et quand tout a été fini, elle m’a dit, en s’essuyant la bouche :

« Maintenant vous êtes un criminel. »

Nous restâmes stupéfaits : voilà pourquoi Pratt n’avait interrogé ni Stern, ni Harry. Parce que lui aussi, au même titre qu’eux, était directement impliqué dans cette affaire.

À présent qu’il avait commencé à soulager sa conscience, Pratt avait besoin de vider son sac. Il nous indiqua qu’il y avait eu ensuite une autre fellation. Mais si la première avait été à l’initiative de Nola, il l’avait forcée par la suite à recommencer. Il nous raconta cet épisode où, alors qu’il patrouillait seul, il avait trouvé Nola qui rentrait de la plage à pied. C’était près de Goose Cove. Elle transportait sa machine à écrire. Il lui avait proposé de la raccompagner, mais au lieu de prendre la direction d’Aurora, il était allé dans les bois de Side Creek. Il nous dit :

- Quelques semaines avant sa disparition, j’étais à Side Creek avec elle. Je me suis garé à l’orée de la forêt, il n’y avait jamais personne dans ce coin. Et j’ai pris sa main, et je lui ai fait toucher mon sexe gonflé, et je lui ai demandé de me faire encore ce qu’elle m’avait fait. J’ai ouvert mon pantalon, je l’ai attrapée par la nuque et je lui ai demandé de me sucer… Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ça fait trente ans que ça me hante ! Je n’en peux plus ! Emmenez-moi, sergent. Je veux être interrogé, je veux être jugé, je veux être pardonné. Pardon, Nola ! Pardon !

Lorsque Amy Pratt vit son mari sortir de la maison menotté, elle se mit à pousser des cris qui alertèrent tout le voisinage. Les curieux sortirent sur les pelouses voir ce qui se passait, et j’entendis une femme appeler son mari pour qu’il ne rate pas le spectacle : « La police emmène Gareth Pratt ! »

Gahalowood embarqua Pratt dans sa voiture et partit, toutes sirènes hurlantes, pour le quartier général de la police d’État de Concord. Je restai sur la pelouse des Pratt : Amy pleurait, agenouillée à côté de ses gardénias, et les voisins, et les voisins des voisins, et toute la rue, et tout le quartier et bientôt la moitié de la ville d’Aurora conflua devant la maison de Mountain Drive.

Sonné par ce que je venais d’apprendre, je m’assis finalement sur une borne à incendie et téléphonai à Roth pour le prévenir de la situation. Je n’avais pas le courage d’affronter Harry : je ne voulais pas être celui qui lui annoncerait la nouvelle. La télévision s’en chargea dans les heures qui suivirent. Les chaînes d’information reprirent toutes la nouvelle, et le grand battage médiatique recommença : Gareth Pratt,

ancien chef de la police d’Aurora, venait d’avouer des actes d’ordre sexuel sur Nola Kel ergan et devenait un nouveau suspect potentiel dans cette affaire. Harry me téléphona en PCV de la prison en début d’après-midi, il pleurait. Il me demanda de venir le voir. Il ne pouvait pas croire que tout ceci soit vrai.

Dans la salle de visite de la prison, je lui racontai ce qui venait de se passer avec le Chef Pratt. Il était complètement chamboulé, ses yeux n’arrêtaient pas de couler. Je finis par lui dire :

- Ce n’est pas tout… Je crois qu’il est temps que vous sachiez…

- Savoir quoi ? Vous me faites peur, Marcus.

- Si je vous ai parlé de Stern, l’autre jour, c’est parce que je suis allé chez lui.

- Et ?

- J’y ai trouvé un tableau de Nola.

- Un tableau ? Comment ça, un tableau ?

- Stern a un tableau représentant Nola nue, chez lui.

J’avais pris avec moi l’agrandissement de la photo et je le lui montrai.

- C’est elle ! hurla Harry. C’est Nola ! C’est Nola ! Qu’est-ce que ça veut dire ?

Qu’est-ce que c’est que cette saloperie !

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