- J’aime juste voir le lever du soleil, dit-il.
Elle sourit. Elle se dit que s’il venait jusque-là, c’est qu’il l’aimait un peu finalement.
- Veux-tu venir au Clark’s boire un café ? proposa-t-elle.
- Merci, mais je ne voudrais pas casser mon rythme…
Elle masqua sa déception.
- Asseyons-nous un instant au moins.
- Je ne veux pas m’arrêter trop longtemps.
Elle eut une moue triste :
- Mais je n’ai pas eu de tes nouvelles ces derniers jours ! Tu ne viens plus au Clark’s…
- Désolé. J’étais pris par mon livre.
- Mais il n’y a pas que les livres dans la vie ! Viens me voir de temps en temps, ça me ferait plaisir. Je te promets que Maman ne te disputera pas. Elle n’aurait pas dû te faire payer toute ton ardoise en une fois.
- Ce n’est rien.
- Je dois al er prendre mon service, on ouvre à six heures. Tu es certain de ne pas vouloir un café ?
- Sûr, merci.
- Tu viendras peut-être plus tard ?
- Non, je ne pense pas.
- Si tu viens ici tous les matins, je pourrai t’attendre sur la marina… Enfin, si tu veux. Juste pour te dire bonjour.
- Ne prends pas cette peine.
- D’accord. En tout cas, je travaille jusqu’à quinze heures aujourd’hui. Si tu veux venir écrire… Je ne te dérangerai pas. Promis. J’espère que tu n’es pas fâché que je sois al ée au bal avec Travis… Je ne l’aime pas, tu sais. C’est juste un ami. Je… Je voulais te dire, Harry : je t’aime. Je t’aime comme je n’ai jamais aimé personne.
- Ne dis pas ça, Jenny…
Le beffroi de l’hôtel de ville sonna six heures du matin : elle était en retard. Elle l’embrassa sur la joue et s’enfuit. Elle n’aurait pas dû lui dire qu’elle l’aimait, elle s’en voulait déjà. Elle se trouvait sotte. En remontant la rue en direction du Clark’s, elle se retourna pour lui faire un signe de la main, mais il avait disparu. Elle se dit que s’il passait au Clark’s, ça voudrait dire qu’il l’aimait un peu, que ce n’était pas perdu. Elle pressa le pas, mais juste avant d’atteindre le haut de la montée, une ombre large et tordue surgit de derrière une palissade et lui bloqua le passage. Jenny, surprise, ne put retenir un cri. Puis elle reconnut Luther.
- Luther ! Tu m’as fait peur !
Un lampadaire révéla le visage mal aligné et le corps puissant.
- Qu’est-fe… Qu’est-fe qu’il te veut ?
- Rien, Luther.
Il lui attrapa le bras et le serra fort.
- Ne… ne… ne… te moque pas de moi ! Qu’est-fe qu’il te veut ?
- C’est un ami ! Lâche-moi maintenant, Luther ! Tu me fais mal, bon sang !
Lâche-moi ou je le dirai !
Il desserra son étreinte et demanda :
- As-tu réfléchi à ma propovifion ?
- C’est non, Luther ! Je ne veux pas que tu me peignes ! Maintenant laisse-moi passer ! Ou je dirai que tu rôdes et tu auras des ennuis.
Luther ne demanda pas son reste et disparut en courant dans l’aube, comme un animal fou. Elle avait peur, el e se mit à pleurer. Elle rejoignit le restaurant en toute hâte, et, avant de passer la porte d’entrée, elle s’essuya les yeux pour que sa mère, qui était déjà là, ne remarque rien.
Harry avait repris sa course, traversant la ville de part en part pour rejoindre la route 1 et rentrer à Goose Cove. Il pensait à Jenny, il ne devait pas lui donner de faux espoirs. Cette fil e lui faisait beaucoup de peine. Lorsqu’il arriva à l’intersection avec la route 1, ses jambes le lâchèrent; ses muscles avaient refroidi sur la marina, il sentait venir des crampes et il était seul au bord d’une route déserte. Il regrettait d’être al é jusqu’à Aurora, il ne s’imaginait pas rentrer à Goose Cove en courant. À cet instant, une Mustang bleue qu’il n’avait pas remarquée s’arrêta à sa hauteur. Le conducteur baissa la vitre et Harry reconnut Luther Caleb.
- Bevoin d’aide ?
- J’ai couru trop loin… Je crois que je me suis fait mal.
- Montez. Ve vais vous ramener.
- Une chance que je vous ai croisé, dit Harry en s’installant à l’avant. Que faites-
vous à Aurora de si bonne heure ?
Caleb ne répondit pas : il reconduisit son passager à Goose Cove sans qu’ils n’échangent plus la moindre parole. Après avoir déposé Harry chez lui, la Mustang rebroussa chemin, mais au lieu de prendre la route de Concord, elle bifurqua à gauche, en direction d’Aurora, pour al er s’engager sur une petite piste forestière sans issue.