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Elle se tut et nous dévisagea. Elle attendait une réponse et Gahalowood joua cartes sur table :

- Nous avons trouvé un tableau de Nola Kellergan, plus ou moins nue, chez Elijah Stern, dit-il. Selon Stern, c’est votre frère qui l’a peint. Apparemment, Nola aurait accepté de se faire peindre contre de l’argent. Luther allait la chercher à Aurora, il l’emmenait à Concord auprès de Stern. On ne sait pas très bien ce qui se passait là-bas, mais en tout cas Luther a fait un tableau d’el e.

- Il peignait beaucoup ! s’exclama Sylla. Il était très doué, il aurait pu faire une belle carrière. Est-ce que… Est-ce que vous le soupçonnez d’avoir tué cette fille ?

- Disons qu’il figure sur la liste des suspects, répondit Gahalowood.

Une larme roula sur la joue de Sylla.

- Vous savez, sergent, je me rappel e du jour où il est mort. C’était un vendredi de la fin septembre. Je venais de fêter mes vingt et un ans. On a reçu un appel de la police, qui nous annonçait que Luther était décédé dans un accident de voiture. Je me rappelle bien du téléphone qui sonne, de ma mère qui décroche. Autour, il y a mon père et moi. Maman répond et nous murmure aussitôt : C’est la police. Elle écoute attentivement et elle dit : OK. Je n’oublierai jamais ce moment. À l’autre bout du fil, un officier de police lui annonçait la mort de son fils. Il venait de lui dire quelque chose du genre Madame, j’ai le pénible devoir de vous annoncer que votre fils est décédé dans un accident de voiture, et elle répond : OK. Après ça, elle raccroche, elle nous regarde et elle nous dit : Il est mort.

- Que s’était-il passé ? interrogea Gahalowood.

- Une chute de trente mètres, depuis les falaises côtières de Saga more, Massachusetts. On dit qu’il était ivre. C’est une route sinueuse et pas éclairée la nuit.

- Quel âge avait-il ?

- Trente ans… Il avait trente ans. Mon frère, c’était un homme bien, mais… Vous savez, je suis contente que vous soyez là. Je crois qu’il faut que je vous raconte quelque chose que nous aurions dû raconter il y a trente-trois ans.

Et la voix tremblante, Sylla nous relata une scène qui s’était déroulée environ trois semaines avant l’accident. C’était le samedi 30 août 1975.

30 août 1975, Portland, Maine

Ce soir-là, la famil e Caleb avait prévu d’al er dîner au Horse Shoe, le restaurant préféré de Sylla, pour célébrer son vingt et unième anniversaire. Elle était née un 1er septembre. Jay Caleb, le père, lui avait fait la surprise de réserver la sal e privée du premier étage; il avait invité tous ses amis et quelques proches, une trentaine de personnes en tout, dont Luther.

Les Caleb - Jay, Nadia la mère, et Sylla se rendirent au restaurant à dix-huit heures. Tous les convives attendaient déjà Sylla dans la sal e et la célébrèrent gaiement lorsqu’elle y pénétra. La fête débuta : il y eut de la musique et du champagne.

Luther n’était pas encore arrivé. Le père pensa d’abord à un contretemps sur la route.

Mais à dix-neuf heures trente, lorsque le dîner fut servi, son fils n’était toujours pas là. Il n’avait pourtant pas pour habitude d’être en retard et Jay commença à s’inquiéter de cette absence. Il essaya de joindre Luther sur la ligne de téléphone de la chambre qu’il occupait dans la dépendance de la propriété de Stern; mais personne ne décrocha.

Luther manqua le dîner, le gâteau, les danses. À une heure du matin, les Caleb rentrèrent chez eux, silencieux et inquiets : ils étaient inquiets. Pour rien au monde Luther n’aurait manqué l’anniversaire de sa sœur. À la maison, Jay al uma la radio du salon, machinalement. Les informations mentionnèrent une opération policière d’envergure à Aurora, suite à la disparition d’une fille de quinze ans. Aurora, c’était un nom familier. Luther disait qu’il y allait souvent pour s’occuper des rosiers d’une magnifique maison que possédait Elijah Stern au bord de l’océan. Jay Caleb pensa à

une coïncidence. Il écouta attentivement le reste du bul etin, puis ceux de plusieurs autres stations pour savoir s’il s’était produit un accident de la route dans la région; mais il ne fut fait aucune mention d’un tel événement. Inquiet, il veil a une partie de la nuit, ne sachant pas s’il devait prévenir la police, attendre à la maison ou parcourir la route jusqu’à Concord. Puis il finit par s’endormir sur le canapé du salon.

À la première heure du lendemain matin, toujours sans nouvelles, il téléphona à Elijah Stern pour savoir s’il avait vu son fils. « Luther ? répondit Stern. Il est absent. Il a pris un congé. Il ne vous a rien dit ? » Toute cette histoire était très étrange; pourquoi Luther serait-il parti sans les prévenir ? Troublé et ne pouvant plus se contenter d’attendre, Jay Caleb décida alors de se lancer à la recherche de son fils.

Sylla Mitchell, se remémorant cet épisode, se mit à trembler. Elle se leva brusquement de sa chaise et refit du café.

- Ce jour-là, nous dit-elle, tandis que mon père se rendait à Concord et que ma mère restait à la maison au cas où Luther arriverait, je suis allée passer la journée avec des amies. Lorsque je suis rentrée à la maison, il était déjà tard. Mes parents étaient dans le salon, en train de parler, et j’ai entendu mon père dire à ma mère : Je crois que Luther a fait une énorme connerie. J’ai demandé ce qui se passait et il m’a ordonné de ne pas parler de la disparition de Luther à qui que ce soit, et surtout pas à la police. Il a dit qu’il al ait se charger lui-même de le retrouver. Il l’a cherché en vain pendant plus de trois semaines. Jusqu’à l’accident.

Elle étouffa un sanglot.

- Que s’est-il passé, Madame Mitchel ? demanda Gahalowood d’une voix apaisante. Pourquoi votre père pensait-il que Luther avait fait une connerie ? Pourquoi ne voulait-il pas appeler la police ?

- C’est compliqué, sergent. Tout est si compliqué…

Elle ouvrit les albums de photos et nous parla de la famil e Caleb : de Jay, leur doux père, de Nadia, leur mère, une ancienne Miss Maine qui avait inculqué le goût de l’esthétique à ses enfants. Luther était l’aîné, il avait neuf ans de plus qu’elle. Ils étaient tous les deux nés à Portland.

Elle nous montra des photographies de son enfance. La maison familiale, les vacances dans le Colorado, l’immense entrepôt de l’entreprise du père, dans lequel Luther et el e avaient passé des étés entiers. Une série de photos nous montra la famil e à Yosemite, en 1963. Luther a dix-huit ans, c’est un beau jeune homme, mince, élégant. Puis nous tombons sur un cliché datant de l’automne 1974 : les vingt ans de Sylla. Les personnages ont vieilli. Jay, le fier père de famille, a désormais la soixantaine ventrue. La mère a sur le visage des rides contre lesquel es elle ne peut plus rien.

Luther a presque trente ans : son visage est déformé.

Sylla contempla longuement cette dernière image.

- Avant, nous étions une belle famille, dit-el e. Avant, nous étions tellement heureux.

- Avant quoi ? demanda Gahalowood.

Elle le regarda comme si c’était une évidence.

- Avant l’agression.

- Une agression ? répéta Gahalowood. Je ne suis pas au courant.

Sylla posa côte à côte les deux photographies de son frère.

- Ça s’est passé durant l’automne qui a suivi nos vacances à Yosemite.

Regardez cette photo… Regardez comme il était beau. Luther était un jeune homme très spécial, vous savez. Il aimait l’art, il avait un don pour la peinture. Il avait terminé le lycée et il venait d’être reçu à l’école des beaux-arts de Portland. Tout le monde disait qu’il pourrait devenir un grand peintre, qu’il avait un don. C’était un garçon heureux.

Mais c’était aussi les prémices du Vietnam, et il devait aller servir. Il venait d’être appelé par l’armée. Il disait qu’à son retour, il ferait les beaux-arts et qu’il se marierait. Il était déjà fiancé. Eleanore Smith, elle s’appelait. Une fille de son lycée. Je vous le dis, c’était un garçon heureux. Avant ce soir de septembre 1964.

- Que s’est-il passé ce soir-là ?

- Avez-vous entendu parler de la bande des field goals, sergent ?

- La bande des field goals ? Non, jamais.

- C’est le surnom que la police a donné à un groupe de voyous qui sévissait dans la région à cette époque.

Septembre 1964

Il était aux environs de vingt-deux heures. Luther avait passé la soirée chez Eleanore et il rentrait à pied chez ses parents. Il devait partir le lendemain pour un centre de l’armée. Eleanore et lui venaient tout juste de décider qu’ils se marieraient dès son retour : ils s’étaient juré fidélité et ils avaient fait l’amour pour la première fois dans le petit lit d’enfant d’Eleanore, tandis que sa mère, à la cuisine, leur préparait des cookies.

Après que Luther était parti de chez les Smith, il s’était retourné plusieurs fois en direction de la maison. Sous le porche, à la lumière des lanternes, il avait vu Eleanore qui pleurait en lui faisant des signes de la main. À présent, il longeait Lincoln Road : une route peu fréquentée à cette heure et mal éclairée mais qui était le chemin le plus court pour arriver chez lui. Il avait trois miles à marcher. Une première voiture le dépassa; le faisceau des phares il umina la route loin devant. Peu après, un second véhicule arriva derrière lui à grande vitesse. Ses occupants, visiblement très excités, poussèrent des cris par la fenêtre pour l’effrayer. Luther ne réagit pas et la voiture s’immobilisa brusquement au milieu de la route, quelques dizaines de mètres devant lui. Il continua d’avancer : que pouvait-il faire d’autre ? Aurait-il dû passer de l’autre côté de la route ?

Lorsqu’il dépassa la voiture, le conducteur lui demanda :

- Hé toi ! T’es d’ici ?

- Oui, répondit Luther.

Il reçut une giclée de bière en plein visage.

- Les types du Maine sont des péquenauds ! hurla le conducteur.

Les passagers poussèrent des hurlements. Ils étaient quatre en tout, mais dans l’obscurité, Luther ne pouvait pas voir les visages. Il devinait qu’ils étaient jeunes, entre vingt-cinq et trente ans, ivres, très agressifs. Il avait peur et il continua son chemin, le cœur battant. Il n’était pas bagarreur, il ne voulait pas d’histoires.

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