Caleb laissa la voiture à l’abri des pins, puis, d’une démarche agile, il traversa les rangées d’arbres et vint se cacher dans les fourrés à proximité de la maison. Il était six heures et quart. Il se cala contre un tronc et il attendit.
Vers neuf heures, Nola arriva à Goose Cove pour s’occuper de son bien-aimé.
13 août 1975
- Vous comprenez, docteur Ashcroft, je fais toujours ça, et après je m’en veux.
- Comment est-ce que ça vous vient ?
- Je ne sais pas. C’est comme si ça sortait de moi contre mon gré. Une espèce de pulsion, je ne peux pas m’en empêcher. Pourtant ça me rend malheureuse. Ça me rend si malheureuse ! Mais je ne peux pas m’en empêcher.
Le docteur Ashcroft dévisagea un instant Tamara Quinn, puis il lui demanda :
- Êtes-vous capable de dire aux gens ce que vous ressentez pour eux ?
- Je… Non. Je ne le dis jamais.
- Pourquoi ?
- Parce qu’ils le savent.
- En êtes-vous certaine ?
- Bien sûr !
- Pourquoi le sauraient-ils si vous ne le dites jamais ?
Elle haussa les épaules :
- Je ne sais pas, docteur…
- Est-ce que votre famille sait que vous venez me voir ?
- Non. Non ! Je… Ça ne les regarde pas.
Il hocha la tête.
- Vous savez, Madame Quinn, vous devriez écrire ce que vous ressentez. Écrire, parfois, apaise.
- Je le fais, j’écris tout. Depuis que nous en avons parlé ensemble, j’écris dans un cahier que je garde précieusement.
- Et ça vous aide ?
- Je ne sais pas. Un peu, oui. Je crois.
- Nous en parlerons la semaine prochaine. Il est l’heure. Tamara Quinn se leva et salua le médecin d’une poignée de main. Puis elle quitta le cabinet.
14 août 1975
Il était aux environs de onze heures. Depuis le début de la matinée, installée sur la terrasse de la maison de Goose Cove, Nola tapait avec application les feuillets manuscrits sur la Remington, tandis que, face à elle, Harry poursuivait son travail d’écriture. « C’est bon ! s’enthousiasmait Nola à mesure qu’el e découvrait les mots.
C’est vraiment très bon ! » En guise de réponse, Harry souriait, se sentant rempli d’une
éternelle inspiration.
Il faisait chaud. Nola remarqua que Harry n’avait plus rien à boire, et elle quitta un instant la terrasse pour aller préparer du thé glacé à la cuisine. À peine eut-elle pénétré à l’intérieur de la maison qu’un visiteur surgit sur la terrasse, passant par l’extérieur : Elijah Stern.
- Harry Quebert, vous travaillez trop dur ! s’exclama Stern d’une voix tonnante, faisant sursauter Harry qui ne l’avait pas entendu arriver, et qui fut aussitôt pris d’une violente panique : personne ne devait voir Nola ici.
- Elijah Stern ! hurla Harry du plus fort qu’il put pour que Nola l’entendît et reste dans la maison.
- Harry Quebert ! répéta encore plus fort Stern qui ne comprenait pas pourquoi Harry criait ainsi. J’ai sonné à la porte mais sans succès. Comme j’ai vu votre voiture, je me suis dit que vous étiez peut-être sur la terrasse, et je me suis permis de faire le tour.
- Comme vous avez bien fait ! s’époumona Harry.
Stern remarqua les feuillets, puis la Remington de l’autre côté de la table.
- Vous écrivez et vous tapez en même temps ? demanda-t-il, curieux.
- Oui. Je… J’écris plusieurs pages simultanément.
Stern s’affala sur une chaise. Il était en sueur.
- Plusieurs pages en même temps ? Vous êtes un écrivain de génie, Harry.
Figurez-vous que j’étais dans le coin et je me suis dit que j’allais faire un saut à Aurora.
Quel e ville magnifique. J’ai laissé ma voiture dans la rue principale et je suis allé me promener. Et voilà que j’ai marché jusqu’ici. L’habitude sans doute.