"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » "La vérité sur l'affaire Harry Quebert" de Joël Dicker

Add to favorite "La vérité sur l'affaire Harry Quebert" de Joël Dicker

Harry vérité Quebert Marcus jeune intrigue passé l'affaire mentor roman Dicker questions soulève l'art l'amour réflexions l'enquête habilement récit entrecroisant

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

L’inauguration avait eu lieu en grande pompe un samedi après-midi dans le hall principal du lycée, devant un parterre choisi d’élèves, d’anciens élèves et de quelques journalistes locaux. Tout ce beau monde avait été entassé sur des chaises pliables face à un grand drap que le proviseur avait fait tomber après un discours triomphal, dévoilant une grande armoire en verre, ornée de l’inscription En hommage à Marcus P. Goldman, dit « le Formidable », élève de ce lycée de 1993 à 1998, et à l’intérieur de laquelle avaient été disposés un exemplaire de mon roman, mes anciens bulletins de notes, quelques photographies, mon mail ot de joueur de crosse et celui de l’équipe de course à pied.

Je souris en relisant l’article. Mon passage au lycée de Felton High, petit établissement très tranquille du nord de Newark et peuplé d’adolescents calmes, avait marqué les mémoires au point que mes camarades et mes professeurs m’avaient surnommé le Formidable. Mais en ce jour de décembre 2006, ce que tous ignoraient au moment d’applaudir cette vitrine à ma gloire, c’est que je ne devais qu’à une suite de quiproquos, d’abord fortuits puis savamment orchestrés, le fait d’être devenu la vedette incontestée de Felton durant quatre longues et belles années.

L’épopée du Formidable commença en même temps que ma première année de lycée, lorsqu’il me fallut choisir une discipline sportive pour mon cursus. J’avais décidé que ce serait du football ou du basket-ball, mais le nombre de places au sein de ces deux équipes était limité et, malheureusement pour moi, le jour des inscriptions, j’arrivai très en retard au bureau des enregistrements. « Je suis fermée, m’avait dit la grosse femme qui en était la responsable. Revenez l’année prochaine. - S’il vous plaît, M’dame, l’avais-je suppliée, je dois absolument être inscrit dans une discipline sportive, sinon je serai recalé. - Ton nom ? avait-el e soupiré. - Goldman. Marcus Goldman, M’dame. - Quel sport ? - Football. Ou basket. - Complet les deux. Il me reste soit l’équipe de danse acrobatique soit cel e de crosse. »

La crosse ou la danse acrobatique. Autant dire la peste ou le choléra. Je savais que rejoindre l’équipe de danse me vaudrait les rail eries de mes camarades et j’optai donc pour la crosse. Mais Felton n’avait pas eu de bonne équipe de crosse depuis deux décennies, au point que plus aucun élève ne voulait en faire partie : ceux qui la composaient désormais étaient les recalés de toutes les autres disciplines, ou ceux qui arrivaient en retard le jour des inscriptions. Et voilà comment j’intégrai une équipe décimée, peu vaillante et maladroite, mais qui allait faire ma gloire. Espérant être repêché en cours de saison par l’équipe de football, je voulus faire des prouesses sportives pour que l’on me remarquât : je m’entraînai avec une motivation sans précédent et au bout de deux semaines, notre coach vit en moi l’étoile qu’il attendait depuis toujours. Je fus immédiatement promu capitaine de l’équipe et il ne me fal ut pas fournir d’immenses efforts pour qu’on me considérât comme le meil eur joueur de crosse de l’histoire du lycée. Je battis sans difficulté le record de buts des vingt années précédentes qui était absolument exécrable et pour cette prouesse, je fus inscrit au tableau des mérites du lycée, ce qui n’était encore jamais arrivé à un élève de première année. Cela ne manqua pas d’impressionner mes camarades et d’attirer l’attention de mes professeurs : par cette expérience, je compris que pour être formidable il suffisait de biaiser les rapports aux autres; tout n’était finalement qu’une question de faux-semblants.

Je me pris rapidement au jeu. Il ne fut évidemment plus question pour moi de quitter l’équipe de crosse car ma seule obsession était désormais de devenir le meil eur, par tous les moyens, d’être dans la lumière, à tout prix. Il y eut ainsi ce concours général de projets individuels de sciences, remporté par une petite peste surdouée qui s’appelait Sally, et où je terminai, moi, à la seizième place. Lors de la remise du prix, dans l’auditorium du lycée, je m’arrangeai pour prendre la parole et je m’inventai des week-ends entiers de bénévolat avec des handicapés mentaux qui avaient considérablement empiété sur l’avancement de mon projet, avant de conclure, les yeux brillants de larmes : « Peu m’importent les premiers prix, si je peux apporter une étincelle de bonheur à mes amis les enfants trisomiques. » Tout le monde fut évidemment bouleversé, et cela me valut d’éclipser Sal y aux yeux des professeurs, de mes camarades, et de Sally elle-même qui, ayant un petit frère lourdement handicapé ce que j’ignorais, refusa son prix et exigea qu’il me soit remis. Cet épisode me valut de voir mon nom s’afficher sous les catégories sport, sciences et prix de camaraderie du tableau des mérites, que j’avais secrètement rebaptisé le tableau démérite, pleinement conscient de mes impostures. Mais je ne pouvais pas m’arrêter; j’étais comme possédé.

Une semaine plus tard, je battis le record de vente de billets de tombola en me les achetant à moi-même avec l’argent de deux étés passés à nettoyer les pelouses de la piscine municipale. Il n’en fallut pas plus pour qu’une rumeur parcourût bientôt le lycée : Marcus Goldman était un être d’une exceptionnel e qualité. C’est cette constatation qui poussa élèves et professeurs à m’appeler le Formidable, comme une marque de fabrique, une garantie de réussite absolue; et ma petite notoriété s’étendit bientôt jusqu’à l’ensemble de notre quartier de Newark, emplissant mes parents d’une immense fierté.

Cette réputation galvaudée m’incita à pratiquer le noble art de la boxe. J’avais toujours eu un faible pour la boxe, et j’avais toujours été un assez bon cogneur, mais ce que je recherchais en al ant m’entraîner en secret dans un club de Brooklyn, à une heure de train de chez moi, là où personne ne me connaissait, là où le Formidable n’existait pas, c’était de pouvoir être faillible : je venais revendiquer le droit d’être battu par plus fort que moi, le droit de perdre la face. C’était la seule façon de m’évader loin du monstre de perfection que j’avais créé : dans cette salle de boxe, le Formidable pouvait perdre, il pouvait être mauvais. Et Marcus pouvait exister. Car peu à peu, mon obsession d’être le numéro un absolu dépassa l’imaginable : plus je gagnais, plus j’avais peur de perdre.

Au cours de ma troisième année, pour cause de restriction budgétaire, le principal dut se résoudre à démanteler l’équipe de crosse qui coûtait trop cher au lycée par rapport à ce qu’el e lui rapportait. À mon grand dam, il me fal ut donc choisir une nouvelle discipline sportive : les équipes de footbal et de basket-bal me faisaient évidemment les yeux doux, mais je savais qu’en rejoignant l’une d’elles, je serais confronté à des joueurs autrement plus doués et déterminés que mes compagnons de crosse. Je risquais d’être éclipsé, de retomber dans l’anonymat, ou pire, de régresser : que dirait-on lorsque Marcus Goldman dit « le Formidable », ancien capitaine de l’équipe de crosse et recordman du nombre de buts marqués ces vingt dernières années, se retrouverait waterboy de l’équipe de football ? Je vécus deux semaines d’angoisse; jusqu’à ce que j’entende parler de la très inconnue équipe de course à pied du lycée, qui se composait de deux obèses courts sur pattes et d’un maigrichon sans

force. Il s’avéra de surcroît qu’il s’agissait là de la seule discipline au sein de laquelle Felton ne participait à aucune compétition inter-lycées : ceci m’assurait de ne jamais devoir me mesurer à qui que ce fût de dangereux pour moi. C’est donc soulagé et sans la moindre hésitation que je rejoignis l’équipe de course de Felton, au sein de laquelle, et dès le premier entraînement, je battis sans difficulté le record de vitesse de mes placides coéquipiers, sous les regards amoureux de quelques groupies et du principal.

Tout aurait pu très bien se passer si le principal justement, séduit par mes résultats, n’avait pas eu l’idée saugrenue d’organiser une grande compétition de course entre les établissements de la région afin de redorer le blason de son lycée, certain que le Formidable allait gagner haut la main. À l’annonce de cette nouvelle, pris de panique, je m’entraînai sans relâche durant un mois tout entier; mais je savais que je ne pouvais rien face aux coureurs des autres lycées, rompus aux compétitions. Moi, je n’étais qu’une façade, du contre-plaqué : j’allais me faire ridiculiser, et sur mes propres terres de surcroît.

Le jour de la course, tout Felton ainsi que la moitié de mon quartier étaient là pour m’acclamer. Le départ fut donné et, comme je le craignais, je me fis immédiatement distancer par tous les autres coureurs. Le moment était crucial : ma réputation était en jeu. C’était une course de six miles, soit vingt-cinq tours de stade.

Vingt-cinq humiliations. J’al ais finir dernier, battu et déshonoré. Peut-être même doublé par le premier. Je devais sauver le Formidable à tout prix. Je réunis alors toutes mes forces, toute mon énergie, et dans un élan désespéré, je me lançai dans un sprint fou : sous les vivats de la foule acquise à ma cause, je pris la tête de la course. C’est à ce moment que je recourus au plan machiavélique que j’avais échafaudé : étant provisoirement premier de la compétition et sentant que j’avais atteint mes limites, je fis mine de me prendre les pieds dans le sol et je me jetai par terre, avec roulés-boulés spectaculaires, hurlements, cris de la foule et au final, pour moi, une jambe cassée, ce qui n’était certes pas prévu mais qui, au prix d’une opération et de deux semaines d’hôpital, sauva la grandeur de mon nom. Et la semaine suivant cet incident, le journal du lycée écrivit à mon sujet :

Durant cette course d’anthologie, Marcus Goldman dit « le Formidable », alors qu’il dominait largement ses adversaires et qu’il était promis à une écrasante victoire, a été victime de la mauvaise qualité de la piste : il a lourdement chuté et s’est cassé une jambe.

Ce fut la fin de ma carrière de coureur et de ma carrière de sportif : pour cause de blessure grave, je fus dispensé de sport jusqu’à la fin du lycée. Pour mon engagement et mon sacrifice, j’eus droit à une plaque à mon nom dans la vitrine des honneurs, où trônait déjà mon mail ot de crosse. Quant au principal, maudissant la mauvaise qualité des instal ations de Felton, il fit refaire à grands frais tout le revêtement de la piste du stade, finançant les travaux en puisant dans le budget des sorties du lycée, privant ainsi les élèves de toutes les classes de la moindre activité durant l’année qui suivit.

Au terme de mes années de lycée, bardé de bonnes notes, de diplômes de mérite et de lettres de recommandation, il me fal ut faire le choix fatidique de l’université. Et lorsque, une après-midi, je me retrouvai dans ma chambre, al ongé sur

mon lit, avec devant moi trois lettres d’acceptation, l’une de Harvard, l’autre de Yale et la troisième de Burrows, petite université inconnue du Massachusetts, je n’hésitai pas : je voulais Burrows. Aller dans une grande université, c’était risquer de perdre mon étiquette de « Formidable ». Harvard ou Yale, c’était mettre la barre trop haut : je n’avais aucune envie d’affronter les élites insatiables venues des quatre coins du pays et qui parasiteraient les tableaux d’honneur. Les tableaux d’honneur de Burrows me semblaient beaucoup plus accessibles. Le Formidable ne voulait pas se brûler les ailes.

Le Formidable voulait rester le Formidable. Burrows, c’était parfait : un campus modeste où j’aurais la certitude de bril er. Je n’eus pas de peine à convaincre mes parents que le département de lettres de Burrows était en tous points supérieur à celui de Harvard et de Yale, et voici comment, à l’automne 1998, je débarquai de Newark dans cette petite ville industriel e du Massachusetts où j’al ais faire la rencontre de Harry Quebert.

En début de soirée, alors que j’étais toujours sur la terrasse à regarder les albums et à ressasser les souvenirs, je reçus un appel de Douglas, catastrophé.

- Marcus, nom de Dieu ! Je peux pas croire que tu sois allé dans le New Hampshire sans m’en avertir ! J’ai reçu des appels de journalistes me demandant ce que tu faisais là-bas, et je n’étais même pas au courant. J’ai dû allumer ma télévision pour l’apprendre. Rentre à New York. Rentre pendant qu’il en est temps. Cette histoire va te dépasser complètement ! Tire-toi de ce bled à la première heure demain et rentre à New York. Quebert a un excellent avocat. Laisse-le faire son travail et concentre-toi sur ton livre. Tu dois rendre ton manuscrit à Barnaski dans quinze jours.

- Harry a besoin d’un ami à ses côtés, dis-je.

Il y eut un silence et Douglas murmura, comme s’il ne réalisait que maintenant ce qui lui échappait depuis des mois :

- Tu n’as pas de livre, hein ? On est à deux semaines du délai de Barnaski et tu n’as pas été foutu d’écrire ce putain de livre ! C’est ça, Marc ? Est-ce que tu vas aider un ami ou est-ce que tu fuis New York ?

- La ferme, Doug.

Il y eut un autre long silence.

- Marc, dis-moi que tu as une idée en tête. Dis-moi que tu as un plan et qu’il y a une bonne raison pour que tu ailles dans le New Hampshire.

- Une bonne raison ? L’amitié, n’est-ce pas suffisant ?

- Mais bon sang, qu’est-ce que tu lui dois, à Harry, pour al er là-bas ?

- Tout, absolument tout.

- Comment ça, tout ?

- C’est compliqué, Douglas.

- Marcus, qu’est-ce que tu essaies de me dire, bon sang ?

- Doug, il y a un épisode de ma vie que je ne t’ai jamais raconté… Au sortir de mes années de lycée, j’aurais certainement pu mal tourner. Et puis j’ai rencontré Harry… Il m’a en quelque sorte sauvé la vie. J’ai une dette envers lui… Sans lui, je ne serais jamais devenu l’écrivain que je suis devenu. Ça s’est passé à Burrows, Massachusetts, en 1998. Je lui dois tout.

29. Peut-on tomber amoureux d’une fille de quinze ans ?

“J’aimerais vous apprendre l’écriture, Marcus, non pas pour que vous sachiez écrire, mais pour que vous deveniez écrivain. Parce qu’écrire des livres, ce n’est pas rien : tout le monde sait écrire, mais tout le monde n’est pas écrivain.

- Et comment sait-on que l’on est écrivain, Harry ?

- Personne ne sait qu’il est écrivain. Ce sont les autres qui le lui disent.”

Tous ceux qui se souviennent de Nola diront qu’el e était une jeune fil e merveilleuse. De celles qui marquent les esprits : douce et attentionnée, douée pour tout et rayonnante. Il paraît qu’elle avait cette joie de vivre sans pareille qui pouvait il uminer les pires jours de pluie. Les samedis, elle servait au Clark’s; el e virevoltait entre les tables, légère, faisant danser dans les airs ses cheveux blonds et ondulés.

Elle avait toujours un mot gentil pour chaque client. On ne voyait qu’el e. Nola, c’était un monde en soi.

Elle était la fille unique de David et Louisa Kel ergan, des évangélistes du Sud originaires de Jackson, Alabama, où elle-même était née le 12 avril 1960. Les Kellergan s’étaient instal és à Aurora, à l’automne 1969, après que le père avait été engagé comme pasteur par la paroisse St James, la principale communauté d’Aurora, qui connaissait une remarquable affluence à l’époque. Le temple de St James, situé à l’entrée sud de la ville, était un imposant édifice en planches dont il ne subsiste plus rien aujourd’hui, depuis que les communautés d’Aurora et de Montburry ont dû fusionner pour des raisons d’économies budgétaires et de manque de fidèles. À la place, on y trouve désormais un restaurant McDonald’s. Dès leur arrivée, les Kellergan avaient emménagé dans une jolie maison, propriété de la paroisse, située au 245 Terrace Avenue, bâtie sur un seul niveau : c’est vraisemblablement par la fenêtre de sa chambre que, six ans plus tard, Nola allait s’évaporer dans la nature, le samedi 30 août 1975.

Ces descriptions furent parmi les premières que me firent les habitués du Clark’s, où je me rendis le lendemain matin de mon arrivée à Aurora. Je m’étais réveillé spontanément à l’aube, tourmenté par cette sensation désagréable de ne pas être vraiment certain de ce que je faisais ici. Après être al é faire mon jogging sur la plage, j’avais nourri les mouettes, et je m’étais alors posé la question de savoir si j’étais vraiment venu jusque dans le New Hampshire uniquement pour donner du pain à des oiseaux de mer. Je n’avais rendez-vous à Concord qu’à onze heures avec Benjamin Roth pour aller rendre visite à Harry; dans l’intervalle, comme je ne voulais pas rester seul, j’étais al é manger des pancakes au Clark’s. Lorsque j’étais étudiant et que je séjournais chez lui, Harry avait pour coutume de m’y traîner aux premières heures du jour : il me réveillait avant l’aube, me secouant sans ménagement et en m’expliquant qu’il était temps d’enfiler mes vêtements de sport. Puis nous descendions au bord de l’océan, pour courir et boxer. S’il faiblissait un peu, il jouait les entraîneurs : il interrompait son effort soi-disant pour venir corriger mes gestes et mes positions, mais je sais qu’il avait surtout besoin de reprendre son souffle. Au fil des exercices et des foulées, nous parcourions les quelques miles de plage qui reliaient Goose Cove à Aurora. Nous remontions ensuite par les roches de Grand Beach et nous traversions la ville qui dormait encore. Dans la rue principale, plongée dans l’obscurité, on apercevait de loin la lumière crue qui jaillissait par la baie vitrée du diner, qui était le seul établissement à ouvrir de si bonne heure. À l’intérieur, régnait un calme absolu; les

rares clients étaient des routiers ou des commis qui avalaient leur petit déjeuner en silence. En arrière-fond sonore, on entendait la radio, toujours branchée sur une chaîne d’information et dont le volume, trop bas, empêchait de comprendre tous les mots du speaker. Les matins de grandes chaleurs, le ventilateur suspendu battait l’air dans un grincement métallique, faisant danser la poussière autour des lampes. Nous nous installions à la table 17, et Jenny arrivait aussitôt pour nous servir du café. Elle avait toujours pour moi un sourire d’une douceur presque maternelle. Elle me disait : « Mon pauvre Marcus, il te force à te lever à l’aube, hein ? Depuis que je le connais, il fait ça. »

Et nous riions.

Mais ce 17 juin 2008, malgré l’heure matinale, le Clark’s était déjà en proie à une grande agitation. Tout le monde ne parlait que de l’affaire et à mon entrée, ceux des habitués que je connaissais s’agglutinèrent autour de moi pour me demander si c’était vrai, si Harry avait eu une relation avec Nola et s’il l’avait tuée, elle, et Deborah Cooper.

J’éludai les questions et m’instal ai à la table 17, restée libre. Je découvris alors que la plaque à la gloire de Harry avait été retirée : à la place, il n’y avait que les deux trous des vis dans le bois de la table et la marque du métal qui avait décoloré le vernis.

Jenny vint me servir du café et me salua gentiment. Elle avait l’air triste.

- T’es venu t’instal er chez Harry ? me demanda-t-el e.

- Je crois bien. T’as enlevé la plaque ?

- Oui.

- Pourquoi ?

- Il a écrit ce livre pour cette môme, Marcus. Pour une môme de quinze ans. Je ne peux pas laisser cette plaque. C’est de l’amour dégueulasse.

Are sens