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- Quoi ? M’écriai-je. Il a écrit ce bouquin pour el e ?

- Oui. Il ne faut à aucun prix que cela s’ébruite. Je vous laisse imaginer le scandale si les médias apprenaient que l’un des livres les plus vendus de ces cinquante dernières années en Amérique n’est pas le simple récit d’une histoire d’amour, comme tout le monde se l’imagine, mais le fruit d’une relation amoureuse illégale entre un type de trente-quatre ans et une fille de quinze…

- Pensez-vous pouvoir le faire libérer sous caution ?

- Sous caution ? Vous n’avez pas compris la gravité de la situation, Marcus : il n’y a pas de liberté sous caution lorsqu’on parle de crime capital. Harry risque une

injection létale. D’ici une dizaine de jours, il sera présenté à un grand jury qui décidera de la poursuite des charges et de la tenue d’un procès. Ce n’est souvent qu’une formalité, il n’y a aucun doute qu’il y aura un procès. D’ici six mois, peut-être un an.

- Et entre-temps ?

- Il devra rester en prison.

- Mais s’il est innocent ?

- C’est la loi. Je vous le répète, la situation est très grave. On l’accuse d’avoir assassiné deux personnes.

Je m’effondrai dans mon canapé. Il fallait que je parle à Harry.

- Dites-lui de m’appeler ! Insistai-je auprès de Roth. C’est très important.

- Je lui ferai le message…

- Dites-lui que je dois impérativement lui parler et que j’attends son appel !

Immédiatement après avoir raccroché, je ressortis Les Origines du mal de ma bibliothèque. En première page, il y avait la dédicace du Maître : À Marcus, mon plus brillant élève.

Avec toutes mes amitiés

H.L. Quebert, mai 1999

Je me replongeai dans ce livre que je n’avais plus rouvert depuis des années.

C’était une histoire d’amour, mêlant récit et passages épistolaires; l’histoire d’un homme et d’une femme qui s’aimaient sans avoir vraiment le droit de s’aimer. Ainsi avait-il écrit ce livre pour cette mystérieuse fille dont je ne savais encore rien. Lorsque, au cœur de la nuit, j’eus terminé de le relire, je m’arrêtai longuement sur le titre. Et pour la première fois je m’interrogeai sur sa signification : pourquoi Les Origines du mal ? De quel mal Harry parlait-il ?

Il s’écoula trois jours, pendant lesquels les analyses ADN et les empreintes dentaires confirmèrent que le squelette découvert à Goose Cove était bien celui de Nola Kellergan. L’examen des ossements permit d’établir qu’il s’agissait d’un enfant d’une quinzaine d’années, ce qui indiquait que Nola était morte plus ou moins au moment de sa disparition. Mais surtout, une fracture de l’arrière de son crâne permettait d’affirmer avec certitude, même plus de trente ans après les faits, que la victime était morte d’au moins un coup qu’elle avait reçu : Nola Kellergan avait été battue à mort.

Je n’avais aucune nouvelle de Harry. J’essayai pourtant d’entrer en contact avec lui via la police d’État, la prison ou encore Roth, mais sans succès. Je tournais en rond dans mon appartement, j’étais taraudé par des milliers de questions, j’étais tracassé par son mystérieux appel. À la fin du week-end, n’y tenant plus, je considérai que je n’avais guère d’autre choix que d’aller voir ce qui se passait dans le New Hampshire.

À la première heure du lundi 16 juin 2008, je mis mes valises dans le coffre de ma Range Rover et je quittai Manhattan par la Franklin Roosevelt Drive qui longe l’East River. Je vis défiler New York : Brooklyn, Harlem, le Bronx, le stade des Yankees au bord de l’eau, le grand pont George Washington et la promenade Rockefeller du bord

de l’autoroute, d’où la ville semble être un minuscule îlot au milieu d’une jungle sauvage. Ce n’est que lorsque je fus assez enfoncé dans le New Jersey pour ne pas risquer de me laisser convaincre de renoncer et de rentrer bien sagement chez moi, que je prévins mes parents que j’étais en route pour le New Hampshire. Ma mère me dit que j’étais fou :

- Mais qu’est-ce que tu fabriques, Markie ? Tu vas aller défendre ce criminel barbare ?

- Ce n’est pas un criminel, Maman. C’est un ami.

- Eh bien, tes amis sont des criminels ! Papa est à côté de moi, il dit que tu t’enfuis de New York à cause des livres.

- Je ne m’enfuis pas.

- Tu t’enfuis à cause d’une femme, alors ?

- Je t’ai dit que je ne m’enfuyais pas. Je n’ai pas de petite amie en ce moment.

- Quand auras-tu une petite amie ? J’ai repensé à cette Natalia que tu nous avais présentée l’an dernier. C’était une gentille shikse. Pourquoi ne la rappel erais-tu pas ?

- Tu la détestais.

- Et pourquoi n’écris-tu plus de livres ? Tout le monde t’aimait quand tu étais un grand écrivain.

- Je suis toujours un écrivain.

- Rentre à la maison. Je te ferai des bons hot-dogs et de la tarte aux pommes chaude avec une boule de glace vanil e que tu pourras laisser fondre dessus.

- Maman, j’ai trente ans, je peux me faire des hot-dogs tout seul si je veux.

- Ton père n’a plus droit aux hot-dogs, figure-toi. C’est le docteur qui l’a dit.

(J’entendis mon père gémir en arrière-fond qu’il y avait quand même droit de temps en temps, et ma mère qui lui répétait : « C’est fini les hot-dogs et toutes ces cochonneries.

Le docteur dit que ça te bouche tout ! ») Markie chéri ? Papa dit que tu devrais faire un livre sur Quebert. Ça relancerait ta carrière. Puisque tout le monde parle de Quebert, tout le monde parlera de ton livre. Pourquoi ne viens-tu plus dîner chez nous, Markie ?

Ça fait si longtemps. Miam miam, de la bonne tarte aux pommes.

J’achevais de traverser le Connecticut lorsque, ayant la mauvaise idée de couper mon disque d’opéra pour écouter les nouvelles à la radio, je découvris qu’il y avait eu une fuite au sein de la police : les médias avaient été informés de la découverte du manuscrit des Origines du mal avec les restes de Nola Kel ergan, et que Harry avait reconnu s’être inspiré de sa relation avec el e pour l’écrire. En une matinée, ces nouveaux rebondissements avaient déjà eu le temps de faire le tour du pays. Dans l’échoppe d’une station-service où je fis le plein, peu après Mystic, je retrouvai le pompiste scotché devant un écran de télévision relatant en boucle ces informations. Je me plantai à côté de lui et comme je le pressais de monter le son il me demanda, en voyant mon air atterré :

- Z’étiez pas au courant ? Ça fait des heures que tout le monde en parle. Vous étiez où ? Sur Mars ?

Are sens

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