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- Il n’y en a pas. Mais trouves-tu normal que j’apprenne que tu es avec cette fille en lisant un magazine ? Quel fils fait ça à sa mère, hein ? Figure-toi que juste avant ton départ en Floride, j’arrive chez Scheingetz le coiffeur, pas le boucher et là tout le monde me regarde avec un drôle d’air. Je demande ce qui se passe, et voilà que Madame Berg, son casque de permanente sur la tête, me montre le magazine qu’elle lit : il y a une photo de toi et de cette Lydia Gloor, dans la rue, ensemble, et le titre de l’article qui dit que vous vous êtes séparés. Tout le salon de coiffure savait que vous aviez rompu et moi je ne savais même pas que tu fréquentais cette fil e ! Bien sûr, je ne voulais pas passer pour une imbécile : j’ai dit que c’était une femme charmante et qu’elle était souvent venue dîner à la maison.

- Maman, je ne t’en ai pas parlé parce que ce n’était pas sérieux. Ce n’était pas la bonne, tu comprends.

- Mais ce n’est jamais la bonne ! Tu ne rencontres personne de correct, Markie !

Voilà le problème. Crois-tu que des actrices télévisuelles puissent tenir un ménage ?

Figure-toi que j’ai rencontré Madame Emerson hier au supermarché : sa fille est célibataire aussi. Elle serait parfaite pour toi. En plus, elle a de très bel es dents. Veux-tu que je lui dise de passer maintenant ?

- Non, Maman. J’essaie de travailler.

À cet instant, on sonna à la porte.

- Je crois que ce sont elles, dit ma mère.

- Comment ça, ce sont el es ?

- Madame Emerson et sa fille. Je leur ai dit de venir prendre le thé à seize heures. Il est seize heures pile. Une bonne femme est une femme à l’heure. Ne l’aimes-tu pas déjà ?

- Tu les as invitées à prendre le thé ? Fous-les dehors, Maman ! Je ne veux pas les voir ! J’ai un livre à écrire, bon sang ! Je ne suis pas là pour jouer à la dînette, je dois écrire un roman !

- Oh, Markie, il te faudrait vraiment une petite copine. Une petite copine avec qui tu te fiances et avec qui tu te maries. Tu penses trop aux livres et pas assez au mariage…

Personne ne saisissait l’enjeu de la situation : il me fallait impérativement un nouveau livre, ne serait-ce que pour respecter les clauses du contrat qui me liait à ma maison d’édition. Dans le courant du mois de janvier 2008, Roy Barnaski, puissant directeur de Schmid & Hanson, me convoqua dans son bureau du 51e étage d’une tour de Lafayette Street pour un sérieux rappel à l’ordre : « Alors, Goldman, quand est-ce que j’aurai votre nouveau manuscrit ? Aboya-t-il. Notre contrat porte sur cinq livres : il faut vous mettre au boulot, et vite ! Il faut du résultat, il faut faire du chiffre ! Vous êtes en retard sur les délais ! Vous êtes en retard sur tout ! Vous avez vu ce type qui a sorti son bouquin avant Noël ? Il vous a remplacé auprès du public ! Son agent dit que son prochain roman est déjà presque terminé. Et vous ? Vous, vous nous faites perdre de l’argent ! Alors secouez-vous et redressez la situation. Frappez un grand coup, écrivez-

moi un bon bouquin, et sauvez votre peau. Je vous laisse six mois, je vous laisse jusqu’en juin. » Six mois pour écrire un livre alors que j’étais bloqué depuis presque une année et demie. C’était impossible. Pire encore, Barnaski, en m’imposant son délai, ne m’avait pas informé des conséquences auxquel es je m’exposais si je ne m’exécutais pas. C’est Douglas qui s’en chargea, deux semaines plus tard, au cours d’une énième conversation dans mon appartement. Il me dit : « Il va falloir écrire, mon vieux, tu peux plus te débiner. Tu as signé pour cinq livres ! Cinq livres ! Barnaski est furax, il ne veut plus patienter. Il m’a dit qu’il te laissait jusqu’à juin. Et tu sais ce qui va se passer si tu te plantes ? Ils vont rompre ton contrat, ils vont te poursuivre en justice et te sucer jusqu’à la moelle. Ils vont te prendre tout ton pognon et tu pourras tirer un trait sur ta belle vie, ton bel appartement, tes pompes italiennes, ta grosse bagnole : tu n’auras plus rien. Ils te saigneront. » Voilà que moi qui, une année plus tôt, étais considéré comme la nouvelle étoile de la littérature de ce pays, j’étais désormais devenu le grand désespoir, la grande limace de l’édition nord-américaine. Leçon numéro deux : en dehors d’être éphémère, la gloire n’était pas sans conséquence. Le soir qui suivit la mise en garde de Douglas, je décrochai mon téléphone et je composai le numéro de la seule personne dont je considérais qu’elle pouvait me tirer de ce mauvais pas : Harry Quebert, mon ancien professeur d’université et surtout l’un des auteurs les plus lus et les plus respectés d’Amérique, avec qui j’étais étroitement lié depuis une dizaine d’années, depuis que j’avais été son étudiant à l’université de Burrows, dans le Massachusetts.

À ce moment-là, il y avait plus d’une année que je ne l’avais pas vu et presque autant de temps que je ne lui avais pas téléphoné. Je l’appelai chez lui, à Aurora, dans le New Hampshire. En entendant ma voix, il me dit d’un ton narquois :

- Oh, Marcus ! C’est bien vous qui me téléphonez ? Incroyable. Depuis que vous êtes une vedette, vous ne donnez plus de nouvelles. J’ai essayé de vous appeler il y a un mois, je suis tombé sur votre secrétaire qui m’a dit que vous n’étiez là pour personne.

Je répondis de but en blanc :

- Ça va mal, Harry. Je crois que je ne suis plus écrivain.

Il redevint aussitôt sérieux :

- Qu’est-ce que vous me chantez là, Marcus ?

- Je ne sais plus quoi écrire, je suis fini. Page blanche. Ça fait des mois. Peut-être une année.

Il éclata d’un rire rassurant et chaleureux.

- Blocage mental, Marcus, voilà ce que c’est ! Les pages blanches sont aussi stupides que les pannes sexuelles liées à la performance : c’est la panique du génie, cel e-là même qui rend votre petite queue toute molle lorsque vous vous apprêtez à jouer à la brouette avec une de vos admiratrices et que vous ne pensez qu’à lui procurer un orgasme tel qu’il sera mesurable sur l’échel e de Richter. Ne vous souciez pas du génie, contentez-vous d’aligner les mots ensemble. Le génie vient naturellement.

- Vous pensez ?

- J’en suis sûr. Mais vous devriez laisser un peu de côté vos soirées mondaines et vos petits fours. Écrire, c’est sérieux. Je pensais vous l’avoir inculqué.

- Mais je travaille dur ! Je ne fais que ça ! Et malgré tout, je n’arrive à rien.

- Alors, c’est qu’il vous manque un cadre propice. New York, c’est très joli, mais

c’est surtout beaucoup trop bruyant. Pourquoi ne viendriez-vous pas ici, chez moi, comme du temps où vous étiez mon étudiant ?

M’éloigner de New York et changer d’air. Jamais une invitation à l’exil ne m’avait paru plus sensée. Partir retrouver l’inspiration d’un nouveau livre dans l’arrière-campagne américaine en compagnie de mon vieux maître : c’était exactement ce qu’il me fallait. C’est ainsi qu’une semaine plus tard, à la mi-février 2008, j’al ai m’installer à Aurora, dans le New Hampshire. C’était quelques mois avant les événements dramatiques que je m’apprête à vous raconter ici.

Avant l’affaire qui agita l’Amérique durant l’été 2008, personne n’avait entendu parler d’Aurora. C’est une petite ville du bord de l’océan, à environ une heure de route de la frontière avec le Massachusetts. La rue principale compte un cinéma dont la programmation est continuel ement en retard par rapport au reste du pays, quelques magasins, un bureau de poste, un poste de police et une poignée de restaurants, dont le Clark’s, le diner historique de la ville. Tout autour, ce ne sont que des quartiers paisibles de maisons de planches colorées aux marquises conviviales, surmontées de toits en ardoises et bordées de jardins aux gazons impeccablement entretenus. C’est une Amérique dans l’Amérique, où les habitants ne ferment pas leur porte à clé; un de ces endroits comme il n’en existe qu’en Nouvelle-Angleterre, si calme qu’on le pense à l’abri de tout.

Je connaissais bien Aurora pour y être souvent venu rendre visite à Harry lorsque j’étais son étudiant. Il habitait une magnifique maison en pierre et en pin massif, située en dehors de la ville, sur la route 1 en direction du Vermont, et posée au bord d’un bras de mer répertorié sur les cartes sous le nom de Goose Cove. C’était une maison d’écrivain, dominant l’océan, avec une terrasse pour les beaux jours, d’où un escalier menait directement à la plage. Les alentours n’étaient que quiétude sauvage : la forêt côtière, les bandes de galets et de pierres géantes, les bosquets humides de fougères et de mousses, quelques sentiers de promenade qui longeaient la grève. On aurait pu parfois se croire à l’extrémité du monde si on ne se savait pas à quelques miles seulement de la civilisation. Et l’on imaginait facilement le vieil écrivain produisant ses chefs-d’œuvre sur sa terrasse, inspiré par les marées et les soleils couchants.

Le 10 février 2008, je quittai New York, au summum de ma crise de page blanche. Le pays, lui, bouil onnait déjà des prémices de l’élection présidentielle : quelques jours auparavant, le Super Tuesday (qui s’était exceptionnel ement tenu au mois de février au lieu du mois de mars, preuve que ç’al ait être une année hors du commun) avait offert le ticket républicain au sénateur McCain, tandis que chez les démocrates la bataille entre Hilary Clinton et Barack Obama faisait encore rage. Je fis le trajet en voiture jusqu’à Aurora d’une seule traite. L’hiver avait été neigeux et les paysages qui défilaient autour de moi étaient chargés de blanc. J’aimais le New Hampshire : j’aimais sa tranquil ité, j’aimais ses immenses forêts, j’aimais ses étangs couverts de nénuphars où l’on pouvait nager l’été et faire du patin l’hiver, j’aimais l’idée que l’on n’y payait ni taxe, ni impôt sur le revenu. Je trouvais que c’était un État libertaire et sa devise VIVRE LIBRE ou MOURIR frappée sur les plaques des voitures qui me dépassaient sur l’autoroute résumait bien ce puissant sentiment de liberté qui m’avait saisi à chacun de mes séjours à Aurora. Je me souviens d’ailleurs qu’en arrivant chez Harry ce jour-là, au milieu d’un après-midi aussi froid que brumeux, je

ressentis immédiatement une sensation d’apaisement intérieur. Il m’attendait sous le porche de sa maison, emmitouflé dans une énorme veste d’hiver. Je descendis de voiture, il vint à ma rencontre, posa ses mains sur mes épaules et m’offrit un large sourire réconfortant.

- Que vous arrive-t-il, Marcus ?

- Je ne sais pas, Harry…

- Allons, al ons. Vous avez toujours été un jeune homme beaucoup trop sensible.

Avant même que je ne défasse mes bagages, nous nous instal âmes dans son salon pour discuter un peu. Il nous servit du café. Dans l’âtre, un feu crépitait; il faisait bon à l’intérieur alors que, par l’immense baie vitrée, je voyais l’océan tourmenté par les vents glacés et la neige humide qui tombait sur les rochers.

- J’avais oublié à quel point c’était beau ici, murmurai-je.

Il acquiesça.

- Vous al ez voir, mon petit Marcus, je vais bien m’occuper de vous. Vous al ez nous pondre un roman du tonnerre. Ne vous faites pas de bile, tous les bons écrivains passent par ce genre de moments difficiles.

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