méfiante.
Et si la vérité a une fois remporté la victoire là-bas, demandez-vous alors avec une bonne méfiance : « Quelle grande erreur a combattu pour elle ? »
Gardez-vous aussi des savants ! Ils vous haïssent, car ils sont stériles ! Ils ont des yeux froids et secs, devant eux tout oiseau est déplumé.
Ceux-ci se vantent de ne pas mentir : mais l’incapacité de mentir est encore bien loin de
l’amour de la vérité. Gardez-vous !
L’absence de fièvre est bien loin d’être de la connaissance ! Je ne crois pas aux esprits
réfrigérés. Celui qui ne sait pas mentir, ne sait pas ce que c’est que la vérité.
10.
Si vous voulez monter haut, servez-vous de vos propres jambes ! Ne vous faites pas porter en haut, ne vous asseyez pas sur le dos et la tête d’autrui !
Mais toi, tu es monté à cheval ! Galopes-tu maintenant, avec une bonne allure vers ton
but ? Eh bien, mon ami ! mais ton pied boiteux est aussi à cheval !
Quand tu seras arrivé à ton but, quand tu sauteras de ton cheval : c’est précisément sur
ta hauteur, homme supérieur, – que tu trébucheras !
11.
Vous qui créez, hommes supérieurs ! Une femme n’est enceinte que son propre enfant.
Ne vous laissez point induire en erreur ! Qui donc est votre prochain ? Et agissez-vous
aussi « pour le prochain », – vous ne créez pourtant pas pour lui !
Désapprenez donc ce « pour », vous qui créez : votre vertu précisément veut que vous
ne fassiez nulle chose avec « pour », et « à cause de », et « parce que ». Il faut que vous vous bouchiez les oreilles contre ces petits mots faux.
Le « pour le prochain » n’est que la vertu des petites gens : chez eux on dit « égal et
égal » et « une main lave l’autre » : – ils n’ont ni le droit, ni la force de votre égoïsme !
Dans votre égoïsme, vous qui créez, il y a la prévoyance et la précaution de la femme
enceinte ! Ce que personne n’a encore vu des yeux, le fruit : c’est le fruit que protège, et conserve, et nourrit tout votre amour.
Là où il y a votre amour, chez votre enfant, là aussi il y a toute votre vertu ! Votre œuvre, votre volonté, c’est là votre « prochain » : ne vous laissez pas induire à de fausses valeurs !
12.
Vous qui créez, hommes supérieurs ! Quiconque doit enfanter est malade ; mais celui qui a enfanté est impur.
Demandez aux femmes : on n’enfante pas parce que cela fait plaisir. La douleur fait caqueter les poules et les poètes.
Vous qui créez, il y a en vous beaucoup d’impuretés. Car il vous fallut être mères.
Un nouvel enfant : ô combien de nouvelles impuretés sont venues au monde ! Écartez-
vous ! Celui qui a enfanté doit laver son âme !
13.
Ne soyez pas vertueux au delà de vos forces ! Et n’exigez de vous-mêmes rien qui soit
invraisemblable.
Marchez sur les traces où déjà la vertu de vos pères a marché. Comment voudriez-vous
monter haut, si la volonté de vos pères ne montait pas avec vous ?
Mais celui qui veut être le premier, qu’il prenne bien garde à ne pas être le dernier ! Et
là où sont les vices de vos pères, vous ne devez pas mettre de la sainteté !
Que serait-ce si celui-là exigeait de lui la chasteté, celui dont les pères fréquentèrent les femmes et aimèrent les vins forts et la chair du sanglier ?
Ce serait une folie ! Cela me semble beaucoup pour un pareil homme, s’il n’est l’homme que d’une seule femme, ou de deux, ou de trois.
Et s’il fondait des couvents et s’il écrivait au-dessus de la porte : « Ce chemin conduit à la sainteté », – je dirais quand même : À quoi bon ! c’est une nouvelle folie !
Il s’est fondé à son propre usage une maison de correction et un refuge : que bien lui en
prenne ! Mais je n’y crois pas.
Dans la solitude grandit ce que chacun y apporte, même la bête intérieure. Aussi faut-il
dissuader beaucoup de gens de la solitude.
Y a-t-il eu jusqu’à présent sur la terre quelque chose de plus impur qu’un saint du désert ? Autour de pareils êtres le diable n’était pas seul à être déchaîné, – mais aussi le cochon.
14.
Timide, honteux, maladroit, semblable à un tigre qui a mangé son bond : c’est ainsi, ô
hommes supérieurs, que je vous ai souvent vus vous glisser à part. Vous aviez manqué un
coup de dé.
Mais que vous importe, à vous autres joueurs de dés ! Vous n’avez pas appris à jouer et