"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » Ainsi parlait Zarathoustra - Friedrich Nietzsche

Add to favorite Ainsi parlait Zarathoustra - Friedrich Nietzsche

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

Mais il veut dire « allemand et grossiĂšrement » – eh bien ! Ce n’est pas lĂ  ce qu’il y a de plus mauvais aujourd’hui !”)

« Il se peut que vous soyez tous, les uns comme les autres, des hommes supĂ©rieurs, continua Zarathoustra : pour moi cependant – vous n’ĂȘtes ni assez grands ni assez forts.

Pour moi, je veux dire : pour la volonté inexorable qui se tait en moi, qui se tait, mais

qui ne se taira pas toujours. Et si vous ĂȘtes miens, vous n’ĂȘtes cependant point mon bras

droit.

Car celui qui comme vous marche sur des jambes malades et frĂȘles, veut avant tout ĂȘtre

mĂ©nagĂ©, qu’il le sache ou qu’il se le cache.

Mais moi je ne ménage pas mes bras et mes jambes, je ne ménage pas mes guerriers :

comment pourriez-vous ĂȘtre bons pour faire ma guerre ?

Avec vous je gĂącherais mĂȘme mes victoires. Et plus d’un parmi vous tomberait Ă  la renverse au seul roulement de mes tambours.

Aussi bien n’ĂȘtes-vous pas assez beaux Ă  mon grĂ©, ni d’assez bonne race. J’ai besoin de

miroirs purs et lisses pour recevoir ma doctrine ; reflétée par votre surface, ma propre image serait déformée.

Sur vos Ă©paules pĂšsent maint fardeau, maint souvenir : et maint kobold mĂ©chant se tapit en vos recoins. En vous aussi il y a encore de la populace cachĂ©e. Bien que bons et de bonne race, vous ĂȘtes tors et difformes Ă  maints Ă©gards, et il n’est pas de forgeron au monde qui pĂ»t vous rajuster et vous redresser.

Vous n’ĂȘtes que des ponts : puissent de meilleurs que vous passer de l’autre cĂŽtĂ© ! Vous

représentez des degrés : ne vous irritez donc pas contre celui qui vous franchit pour escalader sa hauteur !

Il se peut que, de votre semence, il naisse un jour, pour moi, un fils vĂ©ritable, un hĂ©ritier parfait : mais ce temps est lointain. Vous n’ĂȘtes point ceux Ă  qui appartiennent mon nom et mes biens de ce monde.

Ce n’est pas vous que j’attends ici dans ces montagnes, ce n’est pas avec vous que je

descendrai vers les hommes une derniĂšre fois. Vous n’ĂȘtes que des avant-coureurs, venus

vers moi pour m’annoncer que d’autres, de plus grands, sont en route vers moi, – non point les hommes du grand dĂ©sir, du grand dĂ©goĂ»t, de la grande satiĂ©tĂ©, ni ce que vous avez appelĂ© « ce qui reste de Dieu sur la terre ».

– Non, non ! Trois fois non ! J’en attends d’autres ici sur ces montagnes et je ne veux

point, sans eux, porter mes pas loin d’ici,

– d’autres qui seront plus grands, plus forts, plus victorieux, des hommes plus joyeux,

bĂątis d’aplomb et carrĂ©s de la tĂȘte Ă  la base : il faut qu’ils viennent, les lions rieurs !

Ô mes hîtes, hommes singuliers, – n’avez-vous pas encore entendu parler de mes

enfants ? Et dire qu’ils sont en route pour venir vers moi ?

Parlez-moi donc de mes jardins, de mes Îles Bienheureuses, de ma belle et nouvelle espùce, – pourquoi ne m’en parlez-vous pas ?

J’implore votre amour de rĂ©compenser mon hospitalitĂ© en me parlant de mes enfants.

C’est pour eux que je me suis fait riche, c’est pour eux que je me suis appauvri : que n’ai-je pas donnĂ©,

– que ne donnerais-je pour avoir une chose : ces enfants, ces plantations vivantes, ces arbres de la vie de mon plus haut espoir ! »

Ainsi parlait Zarathoustra et il s’arrĂȘta soudain dans son discours : car il fut surpris par son dĂ©sir, et il ferma les yeux et la bouche, tant Ă©tait grand le mouvement de son cƓur. Et tous ses hĂŽtes, eux aussi, se turent, immobiles et accablĂ©s : si ce n’est que le vieux devin se mit Ă  gesticuler des bras.

La cĂšne

Car, en cet endroit, le devin interrompit la salutation de Zarathoustra et de ses hĂŽtes : il se pressa en avant, comme quelqu’un qui n’a pas de temps Ă  perdre, saisit la main de Zarathoustra et s’écria : « Mais, Zarathoustra !

Une chose est plus nĂ©cessaire que l’autre, c’est ainsi que tu parles toi-mĂȘme : eh bien !

Il y a maintenant une chose qui m’est plus nĂ©cessaire que toutes les autres.

Je veux dire un mot au bon moment : ne m’as-tu pas invitĂ© Ă  un repas ? Et il y en a ici

beaucoup qui ont fait de longs chemins. Tu ne veux pourtant pas nous rassasier de paroles ?

Aussi avez-vous tous dĂ©jĂ  trop parlĂ© de mourir de froid, de se noyer, d’étouffer et d’autres misĂšres du corps : mais personne ne s’est souvenu de ma misĂšre Ă  moi : la crainte de mourir de faim – »

(Ainsi parla le devin ; mais quand les animaux de Zarathoustra entendirent ces paroles,

ils s’enfuirent de frayeur. Car ils voyaient que tout ce qu’ils avaient rapportĂ© dans la journĂ©e ne suffirait pas Ă  gorger le devin Ă  lui tout seul.)

« Personne ne s’est souvenu de la crainte de mourir de soif, continua le devin. Et, bien

que j’entende ruisseler l’eau, comme les discours de la sagesse, abondamment et

infatigablement : moi, je – veux du vin !

Tout le monde n’est pas, comme Zarathoustra, buveur d’eau invĂ©tĂ©rĂ©. L’eau n’est pas bonne non plus pour les gens fatiguĂ©s et flĂ©tris : nous avons besoin de vin, – le vin seul amĂšne une guĂ©rison subite et une santĂ© improvisĂ©e ! »

À cette occasion, tandis que le devin demandait du vin, il arriva que le roi de gauche, le

roi silencieux, prit, lui aussi, la parole. « Nous avons pris soin du vin, dit-il, moi et mon frĂšre, le roi de droite : nous avons assez de vin, – toute une charge, il ne manque donc plus que de pain. »

« Du pain ? rĂ©pliqua Zarathoustra en riant. C’est prĂ©cisĂ©ment du pain que n’ont point les solitaires. Mais l’homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi de bonne viande d’agneau et j’ai ici deux agneaux.

Qu’on les dĂ©pĂšce vite et qu’on les apprĂȘte, aromatisĂ©s de sauge : c’est ainsi que j’aime

la viande d’agneaux. Et nous ne manquons pas de racines et de fruits, qui suffiraient mĂȘme

pour les gourmands et les dĂ©licats, nous ne manquons pas non plus de noix ou d’autres Ă©nigmes Ă  briser.

Nous allons donc bientĂŽt faire un bon repas. Mais celui qui veut manger avec nous doit

Are sens