"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » Ainsi parlait Zarathoustra - Friedrich Nietzsche

Add to favorite Ainsi parlait Zarathoustra - Friedrich Nietzsche

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

Eh quoi ! Faut-il donc que je sois toujours en route ? Toujours instable, entraßné par le

tourbillon de tous les vents ? Ô terre, tu devins pour moi trop ronde !

Je me suis posé déjà sur toutes les surface ; pareil à de la poussiÚre fatiguée, je me suis endormi sur les glaces et les vitres. Tout me prend de ma substance, nul ne me donne rien,

je me fais mince, – peu s’en faut que je ne sois comme une ombre.

Mais c’est toi, ĂŽ Zarathoustra, que j’ai le plus longtemps suivi et poursuivi, et, quoique je me sois cachĂ© de toi, je n’en Ă©tais pas moins ton ombre la plus fidĂšle : partout oĂč tu te posais je me posais aussi.

À ta suite j’ai errĂ© dans les mondes les plus lointains et les plus froids, semblable Ă  un

fantîme qui se plait à courir sur les toits blanchis par l’hiver et sur la neige.

À ta suite j’ai aspirĂ© Ă  tout ce qu’il y a de dĂ©fendu, de mauvais et de plus lointain : et

s’il est en moi quelque vertu, c’est que je n’ai jamais redoutĂ© aucune dĂ©fense.

À ta suite j’ai bris ce que jamais mon cƓur a adorĂ©, j’ai renversĂ© toutes les bornes et toutes les images, courant aprĂšs les dĂ©sirs les plus dangereux, – en vĂ©ritĂ©, j’ai passĂ© une fois sur tous les crimes.

À ta suite j’ai perdu la foi en les mots, les valeurs consacrĂ©es et les grands noms !

Quand le diable change de peau, ne jette-t-il pas en mĂȘme temps son nom ? Car ce nom

aussi n’est qu’une peau. Le diable lui-mĂȘme n’est peut-ĂȘtre – qu’une peau.

« Rien n’est vrai, tout est permis » : ainsi disais-je pour me stimuler. Je me suis jetĂ©, cƓur et tĂȘte, dans les eaux les plus glacĂ©es. HĂ©las ! Combien de fois suis-je sorti d’une pareille aventure nu, rouge comme une Ă©crevisse !

HĂ©las ! qu’ai-je fait de toute bontĂ©, de toute pudeur, et de toute fois en les bons ! HĂ©las !

oĂč est cette innocence mensongĂšre que je possĂ©dais jadis, l’innocence des bons et de leurs

nobles mensonges !

Trop souvent, vraiment, j’ai suivi la vĂ©ritĂ© sur les talons : alors elle me frappait au visage. Quelquefois je croyais mentir, et voici, c’est alors seulement que je touchais – Ă  la vĂ©ritĂ©.

Trop de choses sont Ă  prĂ©sent claires pour moi, c’est pourquoi rien ne m’est plus. Rien

ne vit plus de ce que j’aime, – comment saurais-je m’aimer encore moi-mĂȘme ?

« Vivre selon mon bon plaisir, ou ne pas vivre du tout » : c’est lĂ  ce que je veux, c’est

ce que veut aussi le plus saint. Mais, hélas ! comment y aurait-il encore pour moi un plaisir ?

Y a-t-il encore pour moi – un but ? Un port oĂč s’élance ma voile ?

Un bon vent ? HĂ©las ! Celui-lĂ  seul qui sait oĂč il va, sait aussi quel est pour lui le bon

vent, le vent propice.

Que m’est il restĂ© ? Un cƓur fatiguĂ© et impudent ; une volontĂ© instable ; des ailes bonnes pour voleter ; une Ă©pine dorsale brisĂ©e.

Cette recherche de ma demeure : Î Zarathoustra, le sais-tu bien, cette recherche a été ma

cruelle épreuve, elle me dévore.

« OĂč est ma demeure ? » C’est elle que je demande, que je cherche, que j’ai cherchĂ©e, elle que je n’ai pas trouvĂ©e. Ô Ă©ternel partout, ĂŽ Ă©ternel nulle part, ĂŽ Ă©ternel – en vain ! »

Ainsi parlait l’ombre ; et le visage de Zarathoustra s’allongeait Ă  ses paroles. « Tu es mon ombre ! » dit-il enfin avec tristesse.

Ce n’est pas un mince pĂ©ril que tu cours, esprit libre et voyageur ! Tu as un mauvais

jour : prends garde à ce qu’il ne soit pas suivi d’un plus mauvais soir !

Des vagabonds comme toi finissent par se sentir bienheureux mĂȘme dans une prison.

As-tu jamais vu comment dorment les criminels en prison ? Ils dorment en paix, ils jouissent de leur sécurité nouvelle.

Garde-toi qu’une foi Ă©troite ne finisse par s’emparer de toi, une illusion dur et sĂ©vĂšre !

Car désormais tu es séduit et tenté par tout ce qui est étroit et solide.

Tu as perdu le but : hĂ©las ! Comment pourrais-tu te dĂ©soler ou te consoler de cette perte ? N’as-tu pas ainsi perdu aussi – ton chemin ?

Pauvre ombre errante, esprit volage, papillon fatigué ! Veux-tu avoir ce soir un repos et

un asile ? Monte vers ma caverne !

C’est là-haut que monte le chemin qui mùne à ma caverne. Et maintenant je veux bien

vite m’enfuir loin de toi. DĂ©jĂ  je sens comme une ombre peser sur moi.

Je veux courir seul, pour qu’il fasse de nouveau clair autour de moi. C’est pourquoi il

me faut encore gaiement jouer des jambes. Pourtant ce soir – on dansera chez moi ! » –

Ainsi parlait Zarathoustra.

En plein midi

– Et Zarathoustra se remit Ă  courir et Ă  courir encore, mais il ne trouva plus personne. Il demeurait seul, et il ne faisait toujours que se trouver lui-mĂȘme. Alors il jouit de sa solitude, il savoura sa solitude et il pensa Ă  de bonnes choses – pendant des heures entiĂšres. À l’heure de midi cependant, lorsque le soleil se trouva tout juste au-dessus de la tĂȘte de Zarathoustra, il passa devant un vieil arbre chenu et noueux qui Ă©tait entiĂšrement

embrassĂ© par le riche amour d’un cep de vigne, de telle sorte que l’on n’en voyait pas le

tronc : de cet arbre pendaient des raisins jaunes, s’offrant au voyageur en abondance.

Alors Zarathoustra eut envie d’étancher sa soif lĂ©gĂšre en dĂ©tachant une grappe de raisin, et comme il Ă©tendait dĂ©jĂ  la main pour la saisir, un autre dĂ©sir, plus violent encore, s’empara de lui : le dĂ©sir de se coucher au pied de l’arbre, Ă  l’heure du plein midi, pour dormir.

C’est ce que fit Zarathoustra ; et aussitĂŽt qu’il fut Ă©tendu par terre, dans le silence et le secret de l’herbe multicolore, sa lĂ©gĂšre soif Ă©tait dĂ©jĂ  oubliĂ©e et il s’endormit. Car, comme dit le proverbe de Zarathoustra : « Une chose est plus nĂ©cessaire que l’autre. » Ses yeux

Are sens