toutes choses jusqu’à la racine.
Mais celui qui découvrit le pays « homme », découvrit en même temps le pays
« l’avenir des hommes ». Maintenant vous devez être pour moi des matelots braves et patients !
Marchez droit, à temps, ô mes frères, apprenez à marcher droit ! La mer est houleuse : il
y en a beaucoup qui ont besoin de vous pour se redresser.
La mer est houleuse : tout est dans la mer. Eh bien ! allez, vieux cœurs de matelots !
Qu’importe la patrie ! Nous voulons faire voile vers là-bas, vers le pays de nos enfants !
au large. Là-bas, plus fougueux que la mer, bouillonne notre grand désir.
29.
« Pourquoi si dur ? – dit un jour au diamant le charbon de cuisine ; ne sommes-nous pas
proches parents ? – »
Pourquoi si mous ? Ô mes frères, je vous le demande : n’êtes-vous donc pas – mes frères ?
Pourquoi si mous, si fléchissants, si mollissants ? Pourquoi y a-t-il tant de reniement, tant d’abnégation dans votre cœur ? Si peu de destinée dans votre regard ?
Et si vous ne voulez pas être des destinées, des inexorables : comment pourriez-vous un
jour vaincre avec moi ?
Et si votre dureté ne veut pas étinceler, et trancher, et inciser : comment pourriez-vous
un jour créer avec moi ?
Car les créateurs sont durs. Et cela doit vous sembler béatitude d’empreindre votre main
en des siècles, comme en de la cire molle, – béatitude d’écrire sur la volonté des millénaires, comme sur de l’airain, – plus dur que de l’airain, plus noble que l’airain. Le plus dur seul est le plus noble.
Ô mes frères, je place au-dessus de vous cette table nouvelle : DEVENEZ DURS !
30.
Ô toi ma volonté ! Trêve de toute misère, toi ma nécessité ! Garde-moi de toutes les petites victoires !
Hasard de mon âme que j’appelle destinée ! Toi qui es en moi et au-dessus de moi !
Garde-moi et réserve-moi pour une grande destinée !
Et ta dernière grandeur, ma volonté, conserve-la pour la fin, – pour que tu sois implacable dans ta victoire ! Hélas ! qui ne succombe pas à sa victoire !
Hélas ! Quel œil ne s’est pas obscurci dans cette ivresse de crépuscule ? Hélas ! quel pied n’a pas trébuché et n’a pas désappris la marche dans la victoire ! –
– Pour qu’un jour je sois prêt et mûr lors du grand Midi : prêt et mûr comme l’airain
chauffé à blanc, comme le nuage gros d’éclairs et le pis gonflé de lait : –
– prêt à moi-même et à ma volonté la plus cachée : un arc qui brûle de connaître sa flèche, une flèche qui brûle de connaître son étoile : –
– une étoile prête et mûre dans son midi, ardente et transpercée, bienheureuse de la flèche céleste qui la détruit : –
– soleil elle-même et implacable volonté de soleil, prête à détruire dans la victoire !
Ô volonté ! trêve de toute misère, toi ma nécessité ! Réserve-moi pour une grande victoire ! –
Ainsi parlait Zarathoustra.
Le convalescent
1.
Un matin, peu de temps après son retour dans sa caverne, Zarathoustra s’élança de sa couche comme un fou, se mit à crier d’une voix formidable, gesticulant comme s’il y avait
sur sa couche un Autre que lui et qui ne voulait pas se lever ; et la voix de Zarathoustra
retentissait de si terrible manière que ses animaux effrayés s’approchèrent de lui et que de toutes les grottes et de toutes les fissures qui avoisinaient la caverne de Zarathoustra, tous les animaux s’enfuirent, – volant, voltigeant, rampant et sautant, selon qu’ils avaient des pieds ou des ailes. Mais Zarathoustra prononça ces paroles :
Debout, pensée vertigineuse, surgis du plus profond de mon être ! Je suis ton chant du
coq et ton aube matinale, dragon endormi ; lève-toi ! Ma voix finira bien par te réveiller !