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« Je suis le consciencieux de l’esprit, rĂ©pondit celui qui Ă©tait interrogĂ©, et, dans les choses de l’esprit, il est difficile que quelqu’un s’y prenne d’une façon plus sĂ©vĂšre, plus Ă©troite et plus dure que moi, exceptĂ© celui de qui je l’ai appris, Zarathoustra lui-mĂȘme.

PlutĂŽt ne rien savoir que de savoir beaucoup de choses Ă  moitiĂ© ! PlutĂŽt ĂȘtre un fou pour

son propre compte qu’un sage dans l’opinion des autres ! Moi – je vais au fond : –

qu’importe qu’il soit petit ou grand ? Qu’il s’appelle marĂ©cage ou bien ciel ? Un morceau

de terre large comme la main me suffit : pourvu que ce soit vraiment de la terre solide !

– Un morceau de terre large comme la main : on peut s’y tenir debout. Dans la vraie science consciencieuse il n’y a rien de grand et rien de petit. »

« Alors tu es peut-ĂȘtre celui qui cherche Ă  connaĂźtre la sangsue ? demanda

Zarathoustra ; tu poursuis la sangsue jusqu’à ses causes les plus profondes, toi qui es consciencieux ? »

« Ô Zarathoustra, rĂ©pondit celui que Zarathoustra avait heurtĂ©, ce serait une

monstruositĂ©, comment oserais-je m’aviser d’une pareille chose !

Mais ce dont je suis maütre et connaisseur, c’est du cerveau de la sangsue : – c’est là mon univers à moi !

Et cela est aussi un univers ! Mais pardonne qu’ici mon orgueil se manifeste, car sur ce

domaine je n’ai pas mon pareil. C’est pourquoi j’ai dit : « C’est ici mon domaine ».

Combien il y a de temps que je poursuis cette chose unique, le cerveau de la sangsue,

afin que la vĂ©ritĂ© subtile ne m’échappe plus ! C’est ici mon royaume.

– C’est pourquoi j’ai Ă©tĂ© tout le reste, c’est pourquoi tout le reste m’est devenu indiffĂ©rent ; et tout prĂšs de ma science s’étend ma noire ignorance.

Ma conscience de l’esprit exige de moi que je sache une chose et que j’ignore tout le

reste : je suis dĂ©goĂ»tĂ© de toutes les demi-mesures de l’esprit, de tous ceux qui ont l’esprit nuageux, flottant et exaltĂ©.

OĂč cesse ma probitĂ© commence mon aveuglement, et je veux ĂȘtre aveugle. OĂč je veux

savoir cependant, je veux aussi ĂȘtre probe, c’est-Ă -dire dur, sĂ©vĂšre, Ă©troit, cruel, implacable.

Que tu aies dit un jour, ĂŽ Zarathoustra : « L’esprit, c’est la vie qui incise elle-mĂȘme la vie, » c’est ce qui m’a conduit et Ă©conduit Ă  ta doctrine. Et, en vĂ©ritĂ©, avec mon propre sang, j’ai augmentĂ© ma propre science. »

– « Comme le prouve l’évidence, » interrompit Zarathoustra ; et le sang continuait Ă  couler du bras nu du consciencieux. Car dix sangsues s’y Ă©taient accrochĂ©es.

« Ô singulier personnage, combien d’enseignements contient cette Ă©vidence, c’est-Ă -

dire toi-mĂȘme ! Et je n’oserais peut-ĂȘtre pas verser tous les enseignements dans tes oreilles sĂ©vĂšres.

Allons ! SĂ©parons-nous donc ici ! Mais j’aimerais bien te retrouver. LĂ -haut est le chemin qui mĂšne Ă  ma caverne. Tu dois y ĂȘtre cette nuit le bienvenu parmi mes hĂŽtes.

Je voudrais aussi rĂ©parer sur ton corps l’outrage que t’a fait Zarathoustra en te foulant

aux pieds : c’est ce Ă  quoi je rĂ©flĂ©chis. Mais maintenant un cri de dĂ©tresse pressant m’appelle loin de toi. »

Ainsi parlait Zarathoustra.

L’enchanteur

1.

Mais en contournant un rocher, Zarathoustra vit, non loin de lĂ , au-dessus de lui, sur le

mĂȘme chemin, un homme qui gesticulait des membres, comme un fou furieux et qui finit

par se prĂ©cipiter Ă  terre Ă  plat ventre. « Halte ! dit alors Zarathoustra Ă  son cƓur, celui-lĂ  doit ĂȘtre l’homme supĂ©rieur, c’est de lui qu’est venu ce sinistre cri de dĂ©tresse, – je veux voir si je puis le secourir. » Mais lorsqu’il accourut Ă  l’endroit oĂč l’homme Ă©tait couchĂ© par terre, il trouva un vieillard tremblant, aux yeux fixes ; et malgrĂ© toute la peine que se donna Zarathoustra pour le redresser et le remettre sur les jambes, ses efforts demeurĂšrent vains. Aussi le malheureux ne sembla-t-il pas s’apercevoir qu’il y avait quelqu’un auprĂšs

de lui ; au contraire, il ne cessait de regarder de ci de lĂ  en faisant des gestes touchants, comme quelqu’un qui est abandonnĂ© et isolĂ© du monde entier. Pourtant Ă  la fin, aprĂšs beaucoup de tremblements, de sursauts et de reploiements sur soi-mĂȘme, il commença Ă  se

lamenter ainsi :

Qui me rĂ©chauffe, qui m’aime encore ?

Donnez des mains chaudes !

Donnez des cƓurs-rĂ©chauds !

Étendu, frissonnant,

un moribond à qui l’on chauffe les pieds –

secoué, hélas ! de fiÚvres inconnues,

tremblant devant les glaçons aigus des frimas,

chassé par toi, pensée !

Innommable ! Voilée ! Effrayante !

Chasseur derriĂšre les nuages !

Foudroyé par toi,

Ɠil moqueur qui me regarde dans l’obscuritĂ©

– ainsi je suis couchĂ©,

je me courbe et je me tords, tourmenté

par tous les martyres Ă©ternels,

Are sens