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2.

Les rois se dĂ©lectĂšrent de ce couplet de Zarathoustra ; cependant le roi de droite se prit Ă  dire : « Ô Zarathoustra, comme nous avons bien fait de nous mettre en route pour te voir !

Car tes ennemis nous ont montrĂ© ton image dans leur miroir : tu y avais la grimace d’un

démon au rire sarcastique : en sorte que nous avons eu peur de toi.

Mais qu’importe ! Toujours Ă  nouveau tu pĂ©nĂ©trais dans nos oreilles et dans nos cƓurs

avec tes maximes. Alors nous avons fini par dire : qu’importe le visage qu’il a !

Il faut que nous l’entendions, celui qui enseigne : « Vous devez aimer la paix, comme

un moyen de guerres nouvelles, et la courte paix plus que la longue ! »

Jamais personne n’a prononcĂ© de paroles aussi guerriĂšres : « Qu’est-ce qui est bien ?

Être braves voilĂ  qui est bien. C’est la bonne guerre qui sanctifie toute cause. »

Ô Zarathoustra, Ă  ces paroles le sang de nos pĂšres s’est retournĂ© dans nos corps : cela a

été comme la parole du printemps à de vieux tonneaux de vin.

Quand les glaives se croisaient, semblables à des serpents tachetés de sang, alors nos pÚres se sentaient portés vers la vie ; le soleil de la paix leur semblait flou et tiÚde, mais la longue paix leur faisait honte.

Comme ils soupiraient, nos pĂšres, lorsqu’ils voyaient au mur des glaives polis et inutiles ! Semblables Ă  ces glaives ils avaient soif de la guerre. Car un glaive veut boire du sang, un glaive scintille de dĂ©sir. » –

– Tandis que les rois parlaient et babillaient ainsi, avec feu, de la fĂ©licitĂ© de leurs pĂšres, Zarathoustra fut pris d’une grande envie de se moquer de leur ardeur : car c’étaient Ă©videmment des rois trĂšs paisibles qu’il voyait devant lui, des rois aux visages vieux et fins. Mais il se surmonta. « Allons ! En route ! dit-il, vous voici sur le chemin, lĂ -haut est la caverne de Zarathoustra ; et ce jour doit avoir une longue soirĂ©e ! Mais maintenant un

cri de dĂ©tresse pressant m’appelle loin de vous.

Ma caverne sera honorĂ©e, si des rois y prennent place pour attendre : mais il est vrai qu’il faudra que vous attendiez longtemps !

Eh bien ! Qu’importe ! OĂč apprend-on mieux Ă  attendre aujourd’hui que dans les cours ? Et de toutes les vertus des rois, la seule qui leur soit restĂ©e, – ne s’appelle-t-elle pas aujourd’hui : savoir attendre ? »

Ainsi parlait Zarathoustra.

La sangsue

Et Zarathoustra pensif continua sa route, descendant toujours plus bas, traversant des forĂȘts et passant devant des marĂ©cages ; mais, comme il arrive Ă  tous ceux qui rĂ©flĂ©chissent Ă  des choses difficiles, il butta par mĂ©garde sur un homme. Et voici, d’un seul coup, un cri de douleur, deux jurons et vingt injures graves jaillirent Ă  sa face : en sorte que, dans sa frayeur, il leva sa canne pour frapper encore celui qu’il venait de heurter.

Pourtant, au mĂȘme instant, il reprit sa raison ; et son cƓur se mit Ă  rire de la folie qu’il venait de faire.

« Pardonne-moi, dit-il Ă  l’homme, sur lequel il avait buttĂ©, et qui venait de se lever avec colĂšre, pour s» asseoir aussitĂŽt, pardonne-moi et Ă©coute avant tout une parabole.

Comme un voyageur qui rĂȘve de choses lointaines, sur une route solitaire, se heurte par

mĂ©garde Ă  un chien qui sommeille, Ă  un chien qui est couchĂ© au soleil : – comme tous deux se lĂšvent et s’abordent brusquement, semblables Ă  des ennemis mortels, tous deux effrayĂ©s Ă  mort : ainsi il en a Ă©tĂ© de nous.

Et pourtant ! Et pourtant ! – combien il s’en est fallu de peu qu’ils ne se caressent, ce

chien et ce solitaire ! Ne sont-ils pas tous deux – solitaires ? »

– « Qui que tu sois, rĂ©pondit, toujours avec colĂšre, celui que Zarathoustra venait de heurter, tu t’approches encore trop de moi, non seulement avec ton pied, mais encore avec

ta parabole !

Regarde, suis-je donc un chien ? » – et, tout en disant cela, celui qui Ă©tait assis se leva en retirant son bras nu du marĂ©cage. Car il avait commencĂ© par ĂȘtre couchĂ© par terre tout

de son long, cachĂ© et mĂ©connaissable, comme quelqu’un qui guette un gibier des

marécages.

« Mais que fais-tu donc ? » s’écria Zarathoustra effrayĂ©, car il voyait que beaucoup de

sang coulait sur le bras nu. – « Que t’est-il arrivĂ© ? Une bĂȘte malfaisante t’a-t-elle mordu, malheureux ? »

Celui qui saignait ricanait toujours avec colĂšre. « En quoi cela te regarde-t-il ? s’écria

l’homme, et il voulut continuer sa route. Ici je suis chez moi et dans mon domaine.

M’interroge qui voudra : je ne rĂ©pondrai pas Ă  un maladroit. »

« Tu te trompes, dit Zarathoustra plein de pitiĂ©, en le retenant, tu te trompes : tu n’es pas ici dans ton royaume, mais dans le mien, et ici il ne doit arriver malheur Ă  personne.

Appelle-moi toujours comme tu voudras, – je suis celui qu’il faut que je sois. Je me nomme moi-mĂȘme Zarathoustra.

Allons ! C’est là-haut qu’est le chemin qui mùne à la caverne de Zarathoustra : elle n’est pas bien loin, – ne veux-tu pas venir chez moi pour soigner tes blessures ?

Tu n’as pas eu de chance dans ce monde, malheureux : d’abord la bĂȘte t’a mordu, puis –

l’homme a marchĂ© sur toi ! »

Mais lorsque l’homme entendit le nom de Zarathoustra, il se transforma. « Que

m’arrive-t-il donc ? s’écria-t-il, quelle autre prĂ©occupation ai-je encore dans la vie, si ce

n’est la prĂ©occupation de cet homme unique qui est Zarathoustra, et cette bĂȘte unique qui vit du sang, la sangsue ?

C’est Ă  cause de la sangsue que j’étais couchĂ© lĂ , au bord du marĂ©cage, semblable Ă  un

pĂȘcheur, et dĂ©jĂ  mon bras Ă©tendu avait Ă©tĂ© mordu dix fois, lorsqu’une bĂȘte plus belle se mit Ă  mordre mon sang, Zarathoustra lui-mĂȘme !

Ô bonheur ! Ô miracle ! BĂ©ni soit ce jour qui m’a attirĂ© dans ce marĂ©cage ! BĂ©nie soit la

meilleure ventouse, la plus vivante d’entre celles qui vivent aujourd’hui, bĂ©nie soit la grande sangsue des consciences, Zarathoustra ! »

Ainsi parlait celui que Zarathoustra avait heurté ; et Zarathoustra se réjouit de ses paroles et de leur allure fine et respectueuse. « Qui es-tu ? Demanda-t-il en lui tendant la main, entre nous il reste beaucoup de choses à éclaircir et à rasséréner : mais il me semble déjà que le jour se lÚve clair et pur. »

Are sens