Et, en vérité, quel que soit le pays où ce « Saint-Esprit » ait conduit ses chevaliers, le
cortège de ses chevaliers était toujours – précédé de chèvres, d’oies, de fous et de toqués !
–
Ô mes frères ! ce n’est pas en arrière que votre noblesse doit regarder, mais au dehors !
Vous devez être des expulsés de toutes les patries et de tous les pays de vos ancêtres !
Vous devez aimer le pays de vos enfants : que cet amour soit votre nouvelle noblesse, –
le pays inexploré dans les mers lointaines, c’est lui que j’ordonne à vos voiles de chercher et de chercher encore !
Vous devez racheter auprès de vos enfants d’être les enfants de vos pères : c’est ainsi que vous délivrerez tout le passé ! Je place au-dessus de vous cette table nouvelle !
13.
« Pourquoi vivre ? Tout est vain ! Vivre – c’est battre de la paille ; vivre – c’est se brûler et ne pas arriver à se chauffer. » –
Ces bavardages vieillis passent encore pour de la « sagesse » ; ils sont vieux, ils sentent le renfermé, c’est pourquoi on les honore davantage. La pourriture, elle aussi, rend noble.
–
Des enfants peuvent ainsi parler : ils craignent le feu car le feu les a brûlés ! Il y a beaucoup d’enfantillage dans les vieux livres de la sagesse.
Et celui qui bat toujours la paille comment aurait-il le droit de se moquer lorsqu’on bat
le blé ? On devrait bâillonner de tels fous !
Ceux-là se mettent à table et n’apportent rien, pas même une bonne faim : – et maintenant ils blasphèment : « Tout est vain ! »
Mais bien manger et bien boire, ô mes frères, cela n’est en vérité pas un art vain !
Brisez, brisez-moi les tables des éternellement mécontents !
14.
« Pour les purs, tout est pur » – ainsi parle le peuple. Mais moi je vous dis : pour les
porcs, tout est porc !
C’est pourquoi les exaltés et les humbles, qui inclinent leur cœur, prêchent ainsi : « Le
monde lui-même est un monstre fangeux. »
Car tous ceux-là ont l’esprit malpropre ; surtout ceux qui n’ont ni trêve ni repos qu’ils
n’aient vu le monde par derrière, – ces hallucinés de l’arrière-monde !
C’est à eux que je le dis en plein visage, quoique cela choque la bienséance : en ceci le monde ressemble à l’homme, il a un derrière, – ceci est vrai !
Il y a dans le monde beaucoup de fange : ceci est vrai ! mais ce n’est pas à cause de cela que le monde est un monstre fangeux !
La sagesse veut qu’il y ait dans le monde beaucoup de choses qui sentent mauvais : le
dégoût lui-même crée des ailes et des forces qui pressentent des sources !
Les meilleurs ont quelque chose qui dégoûte ; et le meilleur même est quelque chose qui doit être surmonté ! –
Mes frères ! il est sage qu’il y ait beaucoup de fange dans le monde ! –
15.
J’ai entendu de pieux hallucinés de l’arrière-monde dire à leur conscience des paroles comme celle-ci et, en vérité, sans malice ni raillerie, – quoiqu’il n’y ait rien de plus faux sur la terre, ni rien de pire.
« Laissez donc le monde être le monde ! Ne remuez même pas le petit doigt contre
lui ! »
« Laissez les gens se faire étrangler par ceux qui voudront, laissez-les se faire égorger,
frapper, maltraiter et écorcher : ne remuez même pas le petit doigt pour vous y opposer.
Cela leur apprendre à renoncer au monde. »
« Et ta propre raison tu devrais la ravaler et l’égorger ; car cette raison est de ce monde ;
– ainsi tu apprendrais toi-même à renoncer au monde. » –