face des villes et des empires : « Ôte-toi ! » – jusqu’à ce qu’enfin ils s’écrient eux-mêmes :
« Que je m’ôte moi ! »
Désir de dominer – qui monte aussi vers les purs et les solitaires pour les attirer, qui monte vers les hauteurs de la satisfaction de soi, ardent comme un amour qui trace sur le
ciel d’attirantes joies empourprées.
Désir de dominer – mais qui voudrais appeler cela un désir, quand c’est vers en bas que
la hauteur aspire à la puissance ! En vérité, il n’y a rien de fiévreux et de maladif dans de pareils désirs, dans de pareilles descentes !
Que la hauteur solitaire ne s’esseule pas éternellement et ne se contente pas de soi ; que
la montagne descende vers la vallée et les vents des hauteurs vers les terrains bas : – Ô qui donc trouverait le vrai nom pour baptiser et honorer un pareil désir ! « Vertu qui donne » –
c’est ainsi que Zarathoustra appela jadis cette chose inexprimable.
Et c’est alors qu’il arriva aussi – et, en vérité, ce fut pour la première fois ! – que sa parole fit la louange de l’égoïsme, le bon et sain égoïsme qui jaillit de l’âme puissante : –
de l’âme puissante, unie au corps élevé, au corps beau, victorieux et réconfortant, autour
de qui toute chose devient miroir : – le corps souple qui persuade, le danseur dont le symbole et l’expression est l’âme joyeuse d’elle-même. La joie égoïste de tels corps, de telles âmes s’appelle elle-même : « vertu ».
Avec ce qu’elle dit du bon et du mauvais, cette joie égoïste se protège elle-même, comme si elle s’entourait d’un bois sacré ; avec les noms de son bonheur, elle bannit loin
d’elle tout ce qui est méprisable.
Elle bannit loin d’elle tout ce qui est lâche ; elle dit : mauvais – c’est ce qui est lâche !
Méprisable luit semble celui qui peine, soupire et se plaint toujours et qui ramasse même
les plus petits avantages.
Elle méprise aussi toute sagesse lamentable : car, en vérité, il y a aussi la sagesse qui fleurit dans l’obscurité ; une sagesse d’ombre nocturne qui soupire toujours : « Tout est vain ! »
Elle ne tient pas en estime la craintive méfiance et ceux qui veulent des serments au lieu
de regards et de mains tendues : et non plus la sagesse trop méfiante, – car c’est ainsi que font les âmes lâches.
L’obséquieux lui paraît plus bas encore, le chien qui se met tout de suite sur le dos, l’humble ; et il y a aussi de la sagesse qui est humble, rampante, pieuse et obséquieuse.
Mais elle hait jusqu’au dégoût celui qui ne veut jamais se défendre, qui avale les crachats venimeux et les mauvais regards, le patient trop patient qui supporte tout et se contente de tout ; car ce sont là coutumes de valets.
Que quelqu’un soit servile devant les dieux et les coups de pieds divins ou devant des
hommes et de stupides opinions d’hommes : à toute servilité il crache au visage, ce bienheureux égoïsme !
Mauvais : – c’est ainsi qu’elle appelle tout ce qui est abaissé, cassé, chiche et servile, les yeux clignotants et soumis, les cœurs contrits, et ces créatures fausses et fléchissantes qui embrassent avec de larges lèvres peureuses.
Et sagesse fausse : – c’est ainsi qu’elle appelle tous les bons mots des valets, des vieillards et des épuisés ; et surtout l’absurde folie pédante des prêtres !
Les faux sages, cependant, tous les prêtres, ceux qui sont fatigués du monde et ceux dont l’âme est pareille à celle des femmes et des valets, – ô comme leurs intrigues se sont toujours élevées contre l’égoïsme !
Et ceci précisément devait être la vertu et s’appeler vertu, qu’on s’élève contre l’égoïsme ! Et « désintéressés » – c’est ainsi que souhaitaient d’être, avec de bonnes raisons, tous ces poltrons et toutes ces araignées de vivre !
Mais c’est pour eux tous que vient maintenant le jour, le changement, l’épée du jugement, le grand midi : c’est là que bien des choses seront manifestes !
Et celui qui glorifie le Moi et qui sanctifie l’égoïsme, celui-là en vérité dit ce qu’il sait, le devine « Voici, il vient, il s’approche, le grand midi ! »
Ainsi parlait Zarathoustra.
De l’esprit de lourdeur
1.
Ma bouche – est la bouche du peuple : je parle trop grossièrement et trop cordialement
pour les élégants. Mais ma parole semble plus étrange encore aux écrivassiers et aux plumitifs.
Ma main – est une main de fou : malheur à toutes les tables et à toutes les murailles, et à tout ce qui peut donner place à des ornements et à des gribouillages de fou !
Mon pied – est un sabot de cheval ; avec lui je trotte et je galope par monts et par vaux,
de ci, de là, et le plaisir me met le diable au corps pendant ma course rapide.
Mon estomac – est peut-être l’estomac d’un aigle. Car il préfère à toute autre la chair de
l’agneau. Mais certainement, c’est un estomac d’oiseau.