temps et lâespace, allons ! en route ! Vieux cĆur ! » â
Ă comment ne serais-je pas ardent de lâĂ©ternitĂ©, ardent du nuptial anneau des anneaux,
â lâanneau du devenir et du retour ?
Jamais encore je nâai trouvĂ© la femme de qui je voudrais avoir des enfants, si ce nâest
cette femme que jâaime : car je tâaime, ĂŽ Ă©ternitĂ© !
Car je tâaime, ĂŽ ĂternitĂ© !
6.
Si ma vertu est une vertu de danseur, si souvent des deux pieds jâai sautĂ© dans des ravissements dâor et dâĂ©meraude :
Si ma méchanceté est une méchanceté riante qui se sent chez elle sous des branches de
roses et des haies de lys :
â car dans le rire tout ce qui est mĂ©chant se trouve ensemble, mais sanctifiĂ© et affranchi
par sa propre béatitude :
Et ceci est mon alpha et mon oméga, que tout ce qui est lourd devienne léger, que tout
corps devienne danseur, tout esprit oiseau : et, en vĂ©ritĂ©, ceci est mon alpha et mon omĂ©ga ! â
Ă comment ne serais-je pas ardent de lâĂ©ternitĂ©, ardent du nuptial anneau des anneaux,
lâanneau du devenir et du retour ?
Jamais encore je nâai trouvĂ© la femme de qui je voudrais avoir des enfants, si ce nâest
cette femme que jâaime : car je tâaime, ĂŽ Ă©ternitĂ© !
Car je tâaime, ĂŽ ĂternitĂ© !
7.
Si jamais jâai dĂ©ployĂ© des ciels tranquilles au-dessus de moi, volant de mes propres ailes
dans mon propre ciel :
Si jâai nagĂ© en me jouant dans de profonds lointains de lumiĂšre, si la sagesse dâoiseau
de ma libertĂ© est venue : â
â car ainsi parle la sagesse de lâoiseau : « Voici il nây a pas dâen haut, il nây a pas dâen bas ! Jette-toi çà et lĂ , en avant, en arriĂšre, toi qui es lĂ©ger ! Chante ! ne parle plus ! »
â « toutes les paroles ne sont-elles pas faites pour ceux qui sont lourds ? Toutes les paroles ne mentent-elles pas Ă celui qui est lĂ©ger ? Chante ! ne parle plus ! » â
Ă comment ne serais-je pas ardent de lâĂ©ternitĂ©, ardent du nuptial anneau des anneaux,
lâanneau du devenir et du retour ?
Jamais encore je nâai trouvĂ© la femme de qui je voudrais avoir des enfants, si ce nâest
cette femme que jâaime : car je tâaime, ĂŽ Ă©ternitĂ© !
Car je tâaime, ĂŽ ĂternitĂ© !
Partie 4
HĂ©las, oĂč fit-on sur la terre plus de folies que parmi les misĂ©ricordieux, et quâest-ce qui fit plus de mal sur la terre que la folie des misĂ©ricordieux ?
Malheur à tous ceux qui aiment sans avoir une hauteur qui est au-dessus de leur pitié !
Ainsi me dit un jour le diable : « Dieu aussi a son enfer : câest son amour des hommes. »
Et derniĂšrement je lâai entendu dire ces mots : « Dieu est mort ; câest sa pitiĂ© des hommes qui a tuĂ© Dieu. »
Zarathoustra, II,
Des miséricordieux.
Lâoffrande du miel
â Et de nouveau des mois et des annĂ©es passĂšrent sur lâĂąme de Zarathoustra et il ne sâen
apercevait pas ; ses cheveux cependant devenaient blancs. Un jour quâil Ă©tait assis sur une pierre devant sa caverne, regardant en silence dans le lointain â car de ce point on voyait la mer, bien loin par-dessus des abĂźmes tortueux, â ses animaux pensifs tournĂšrent autour
de lui et finirent par se placer devant lui.
« Ă Zarathoustra, dirent-ils, cherches-tu des yeux ton bonheur ? â Quâimporte le bonheur, rĂ©pondit-il, il y a longtemps que je nâaspire plus au bonheur, jâaspire Ă mon Ćuvre. â Ă Zarathoustra, reprirent derechef les animaux, tu dis cela comme quelquâun qui
est saturĂ© de bien. Nâes-tu pas couchĂ© dans un lac de bonheur teintĂ© dâazur ? â Petits espiĂšgles, rĂ©pondit Zarathoustra en souriant, comme vous avez bien choisi la parabole !
Mais vous savez aussi que mon bonheur est lourd et quâil nâest pas comme une vague mobile : il me pousse et il ne veut pas sâen aller de moi, adhĂ©rent comme de la poix fondue. » â
Alors ses animaux pensifs tournĂšrent derechef autour de lui, et de nouveau ils se placĂšrent devant lui. « Ă Zarathoustra, dirent-ils, câest donc Ă cause de cela que tu deviens toujours plus jaune et plus foncĂ©, quoique tes cheveux se donnent des airs dâĂȘtre blancs et faits de chanvre ? Vois donc, tu es assis dans ta poix et dans ton malheur ! â Que dites-vous lĂ , mes animaux, sâĂ©cria Zarathoustra en riant, en vĂ©ritĂ© jâai blasphĂ©mĂ© en parlant de poix. Ce qui mâarrive, arrive Ă tous les fruits qui mĂ»rissent. Câest le miel dans mes veines qui rend mon sang plus Ă©pais et aussi mon Ăąme plus silencieuse. â Il doit en ĂȘtre ainsi, ĂŽ
Zarathoustra, reprirent les animaux, en se pressant contre lui ; mais ne veux-tu pas aujourdâhui monter sur une haute montagne ? Lâair est pur et aujourdâhui, mieux que jamais, on peut vivre dans le monde. â Oui, mes animaux, repartit Zarathoustra, vous conseillez Ă merveille et tout Ă fait selon mon cĆur : je veux monter aujourdâhui sur une
haute montagne ! Mais veillez Ă ce que jây trouve du miel Ă ma portĂ©e, du miel des ruches
dorĂ©es, du miel jaune et blanc et bon et dâune fraĂźcheur glaciale. Car sachez que lĂ -haut je veux prĂ©senter lâoffrande du miel. » â
Cependant, lorsque Zarathoustra fut arrivĂ© au sommet, il renvoya les animaux qui lâavaient accompagnĂ©, et il sâaperçut quâil Ă©tait seul : â alors il rit de tout cĆur, regarda autour de lui et parla ainsi :