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Ici se révèle à moi l’essence et l’expression de tout ce qui est : tout ce qui est veut s’exprimer ici, et tout ce qui devient veut apprendre de moi à parler.

Là-bas cependant – tout discours est vain ! La meilleure sagesse c’est d’oublier et de passer : – c’est ce que j’ai appris !

Celui qui voudrait tout comprendre chez les hommes devrait tout prendre. Mais pour cela j’ai les mains trop propres.

Je suis dégoûté rien qu’à respirer leur haleine ; hélas ! Pourquoi ai-je vécu si longtemps

parmi leur bruit et leur mauvaise haleine !

Ô bienheureuse solitude qui m’enveloppe ! Ô pures odeurs autour de moi ! Ô comme ce

silence fait aspirer l’air pur à pleins poumons ! Ô comme il écoute, ce silence bienheureux !

Là-bas cependant – tout parle et rien n’est entendu. Si l’on annonce sa sagesse à sons de

cloches : les épiciers sur la place publique en couvriront le son par le bruit des gros sous !

Chez eux tout parle, personne ne sait plus comprendre. Tout tombe à l’eau, rien ne tombe plus dans de profondes fontaines.

Chez eux tout parle, rien ne réussit et ne s’achève plus. Tout caquette, mais qui veut encore rester au nid à couver ses œufs ?

Chez eux tout parle, tout est dilué. Et ce qui hier était encore trop dur, pour le temps lui-même et pour les dents du temps, pend aujourd’hui, déchiqueté et rongé, à la bouche des

hommes d’aujourd’hui.

Chez eux tout parle, tout est divulgué. Et ce qui jadis était appelé mystère et secret des

âmes profondes appartient aujourd’hui aux trompettes des rues et à d’autres tapageurs.

Ô nature humaine ! Chose singulière ! Bruit dans les rues obscures ! Te voilà derrière

moi : – mon plus grand danger est resté derrière moi !

Les ménagements et la pitié furent toujours mon plus grand danger, et tous les êtres humains veulent être ménagés et pris en pitié.

Gardant mes vérités au fond du cœur, les mains agitées comme celles d’un fou et le cœur affolé en petits mensonges de la pitié : – ainsi j’ai toujours vécu parmi les hommes.

J’étais assis parmi eux, déguisé, prêt à me méconnaître pour les supporter, aimant à me dire pour me persuader : « Fou que tu es, tu ne connais pas les hommes ! »

On désapprend ce que l’on sait des hommes quand on vit parmi les hommes. Il y a trop

de premiers plans chez les hommes, – que peuvent faire les vues lointaines et perçantes !

Et s’ils me méconnaissaient : dans ma folie, je les ménageais plus que moi-même à cause de cela : habitué que j’étais à la dureté envers moi-même, et me vengeant souvent

sur moi-même de ce ménagement.

Piqué de mouches venimeuses, et rongé comme la pierre, par les nombreuses gouttes de la méchanceté, ainsi j’étais parmi eux et je me disais encore : « Tout ce qui est petit est innocent de sa petitesse ! »

C’est surtout ceux qui s’appelaient « les bons » que j’ai trouvés être les mouches les plus venimeuses : ils piquent en toute innocence ; ils mentent en toute innocence ; comment sauraient-ils être – justes envers moi !

La pitié enseigne à mentir à ceux qui vivent parmi les bons. La pitié rend l’air lourd à

toutes les âmes libres. Car la bêtise des bons est insondable.

Me cacher moi-même et ma richesse – voilà ce que j’ai appris à faire là-bas : car j’ai trouvé chacun riche pauvre d’esprit. Ce fut là le mensonge de ma pitié de savoir chez chacun, – de voir et de sentir chez chacun ce qui était pour lui assez d’esprit, ce qui était trop d’esprit pour lui !

Leurs sages rigides, je les ai appelés sages, non rigides, – c’est ainsi que j’ai appris à avaler les mots. Leurs fossoyeurs : je les ai appelés chercheurs et savants, – c’est ainsi que j’ai appris à changer les mots.

Les fossoyeurs prennent les maladies à force de creuser des fosses. Sous de vieux décombres dorment des exhalaisons malsaines. Il ne faut pas remuer le marais. Il faut vivre sur les montagnes.

C’est avec des narines heureuses que je respire de nouveau la liberté des montagnes !

mon nez est enfin délivré de l’odeur de tous les être humains !

Chatouillée par l’air vif, comme par des vins mousseux, mon âme éternue, – et s’acclame en criant : « À ta santé ! »

Ainsi parlait Zarathoustra.

Des trois maux

1.

En rêve, dans mon dernier rêve du matin, je me trouvais aujourd’hui sur un

promontoire, au delà du monde, je tenais une balance dans la main et je pesais le monde.

Ô pourquoi l’aurore est-elle venue trop tôt pour moi ? son ardeur m’a réveillé, la jalousie ! Elle est toujours jalouse de l’ardeur de mes rêves du matin.

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