"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » Français Books » 🌚🌚"La Vie est facile, ne t'inquiète pas" de Marie M. Martin-Lugand🌚🌚

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L’heure qui suivit, nous la passâmes à discuter avec les uns et les autres qui me reconnaissaient. Ils venaient gentiment prendre de mes nouvelles ; on parla de la pluie, évidemment, mais aussi de l’été qui avait été beau, des matchs de rugby et de foot gaélique du week-end suivant. Et puis il fut temps de rentrer pour Abby. Le soir, je ne fis pas long feu après le dîner. Cette journée en valait plusieurs.

Abby et Jack partirent tôt le lendemain pour les rendez-vous médicaux. Je n’avais pas envie de rester seule dans leur grande maison, alors je décidai de profiter de ma journée et de partir en vadrouille vers Achill Island afin de poursuivre ma découverte de la veille. J’empruntai donc la même route que Jack et passai devant les cottages. Je me retins d’y jeter un coup d’œil. Je longeai la côte, fascinée par la violence des paysages, des éléments. Pourtant, je n’arrivais pas à être totalement absorbée et comblée. Je tentai de contrôler mon esprit et mes pensées… un échec cuisant. Je finis par freiner d’un coup sec au beau milieu de la route.

– Fais chier ! hurlai-je dans ma voiture.

Je sortis et claquai ma portière de toutes mes forces. J’allumai une cigarette et descendis vers la mer à travers la prairie. Il faisait beau, bon, je surplombais les vagues, j’avais la journée devant moi pour faire le plein de grand air, comme la veille, et je ne pensais qu’à une chose. Ça me sidérait… Je courus jusqu’à ma voiture, fis demi-tour, et repartis vers Mulranny pied au plancher en me maudissant pour ma stupidité.

Je pilai devant le cottage et allai frapper à sa porte. En me découvrant, Edward ne put cacher son inquiétude :

– Il y a un problème ? C’est Abby ?

– Ton contrat, aujourd’hui ? C’est important ?

– De quoi parles-tu ?

– Je t’ai entendu en parler avec Abby, l’autre soir. Réponds-moi et fais-le vite avant que je change d’avis.

– Ça l’est.

– À quelle heure Declan finit l’école ?

– 15 h 30.

– Je m’en occupe, va travailler. Tu me donnes les clés de chez toi ?

– Rentre deux minutes.

– Non.

Il récupéra son trousseau dans sa poche et me le tendit.

– À plus tard.

– Attends, me dit-il en me retenant par le bras.

Nous nous regardâmes dans les yeux de longues secondes.

– Merci.

– Pas la peine.

Je sifflai Postman Pat, et partis vers la plage avec lui. Cinq minutes plus tard, j’entendais le 4 × 4

d’Edward démarrer en trombe, je ne me retournai pas, et lançai un bâton au chien.

15 h 30 arrivait trop vite. J’avais sauté le déjeuner, de crainte de vomir. Je me contentai d’entrouvrir la porte du cottage d’Edward pour enfermer le chien ; repousser mon retour dans cette maison. Je marchai vers l’école en fumant cigarette sur cigarette et en me traitant de tous les noms.

Comment avais-je pu avoir une telle idée ? Aux dernières nouvelles, je ne supportais plus les enfants, ils me faisaient peur, ils me tétanisaient, ils me rappelaient Clara. Edward n’avait rien demandé, je ne lui devais rien. Pourquoi avais-je voulu l’aider, lui rendre service ? Certes, il comptait encore pour moi, il compterait toujours, c’était un fait incontestable, mais de là à mettre en danger ma paix intérieure ! Étais-je soudainement prise de voyeurisme envers ce petit garçon, ses relations avec son père, sa douleur, son deuil – peut-être pas si différent du mien –, il avait perdu sa mère, j’avais perdu ma fille ? Je balançai mon dernier mégot à quelques mètres de l’école. C’était l’horreur ; ces mères de famille rayonnantes, landau en main, attendant leurs aînés. Certaines me connaissaient de vue à l’époque où j’habitais là, mais je suscitais la même curiosité qu’alors ; elles me regardaient, murmurant des messes basses. J’avais envie de leur dire : « Mesdames, je suis de retour ! » Et puis la cloche sonna, elles disparurent. Une nuée d’enfants s’échappèrent des classes. J’aurais pu voir Clara sortir en courant et en riant, sauf que Clara ne portait pas d’uniforme comme les petits Irlandais qui s’agitaient dans tous les sens et cherchaient leurs mères du regard. Les souvenirs me broyaient de l’intérieur, je l’entendais m’appeler : « Maman, maman, tu es là ! », je la revoyais débraillée, les cheveux en bataille, des taches de peinture sur les mains et sur les joues, son odeur de sueur d’enfant, piaillant…

– Diane, Diane, tu es là !

Je fus brutalement arrachée de mes songes lorsque Declan me percuta.

– La maîtresse m’a dit que c’était toi qui venais me chercher, c’est trop bien !

– Tu me donnes ton cartable ?

– Papa ne le prend jamais.

Pourquoi n’étais-je pas étonnée ?

– Moi, je te le porte.

Il le défit de ses épaules pour me le tendre. Nous quittions la cour de récréation quand il attrapa ma main, et dit au revoir à ses copains de loin. Il semblait si fier. Sur le chemin vers le cottage, il ne disait rien, attendant certainement que ça vienne de moi. Je pris sur moi ; il n’y était pour rien, je m’étais mise toute seule dans cette situation. Je devais assumer, peu importaient les conséquences.

– Alors, l’école ?

Son visage rayonna de bonheur, il se lança dans le récit de sa journée avec enthousiasme. Son débit ne diminua pas en entrant chez lui, il balança son manteau – aussi bordélique que son père –, et courut dans le séjour. Tout en continuant à pipeletter, il joua avec son chien. Il ne remarqua pas mon temps d’arrêt sur le seuil de la pièce. Mon retour dans ce cottage, dans l’intimité d’Edward. En moins de quelques secondes, je constatai les deux changements majeurs : exit les cendriers dégueulant de mégots et la photo de Megan sur la plage. Cependant, impossible de deviner qu’un enfant vivait ici : aucun jouet, aucune trace de feutres. Je n’avais pas besoin de confirmation, la preuve était flagrante : Edward n’avait aucune idée de ce qu’il fallait à son fils. J’eus mal pour eux deux. Je retirai mon blouson et l’accrochai au portemanteau dans l’entrée. Je passai derrière le bar de la cuisine, bar où j’avais vu tant de fois Edward.

– Declan, tu veux goûter ?

– Ouais !

Sans grande conviction, j’explorai les placards à la recherche du goûter idéal, pensant que j’avais peut-être parlé trop vite. J’étais mauvaise langue. Je pus lui faire un chocolat chaud et lui servir des biscuits.

Je l’observai tandis qu’il dévorait, en luttant contre la superposition des images. Declan était sur le tabouret de bar de la cuisine de son père, Clara aurait été sur le tabouret de bar aux Gens.

J’essayais de me rassurer en me disant que la ressemblance s’arrêtait là. Declan n’avait plus sa mère, alors que Clara avait encore la sienne. La sienne qui donnait le goûter à un autre enfant, qui n’était rien pour elle.

Are sens

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