Elle enfila son manteau. Puis elle me regarda, interrogative, avec un léger sourire en coin.
â Et le fait de dormir chez mon frĂšre⊠tu gĂšres ?
â Je ne sais pas, Judith⊠je ne sais pas.
Elle me prit une derniĂšre fois dans ses bras et me fit deux bises avant de filer. Le sĂ©jour Ă©tait plongĂ© dans la pĂ©nombre, jâĂ©teignis la lumiĂšre de lâentrĂ©e et gagnai lâĂ©tage. Je vis le rai de lumiĂšre sous la porte de la chambre de Declan. Edward avait dĂ©posĂ© mon sac dans sa chambre. Jây avais dĂ©jĂ dormi, alors que jâĂ©tais au plus mal et que mes rapports avec lui Ă©taient au paroxysme de la haine.
Cette Ă©poque me semblait si lointaineâŠ
AprĂšs avoir enfilĂ© le dĂ©bardeur et le caleçon qui me servaient de pyjama, je mâassis sur le lit dâEdward.
Je restai dans cette position une bonne demi-heure avant dâenfiler un sweat et de mâapprocher de la porte fermĂ©e. Jâappuyai mon front contre le bois, puis mâĂ©loignai en me rongeant les ongles. Je renouvelai lâopĂ©ration Ă plusieurs reprises avant de me dĂ©cider Ă lâouvrir et Ă avancer dans le couloir. Un dernier arrĂȘt devant la chambre de Declan. Une derniĂšre occasion de rebrousser chemin. Puis je poussai doucement la porte. Edward Ă©tait assis dans le fauteuil et ne lĂąchait pas son fils des yeux. Il me remarqua.
Je lui fis signe de ne pas bouger et de se taire. Je mâavançai vers le lit de Declan. Une joie furtive me traversa en le voyant ; il dormait Ă poings fermĂ©s, lâĂ©charpe de sa mĂšre contre lui. Rien ne mâempĂȘcha de passer la main dans ses cheveux et dâembrasser son front ; jâen avais envie. Mon cĆur se gonfla. Mon baiser le chatouilla sans le rĂ©veiller. Ensuite, jâallai mâasseoir par terre, Ă cĂŽtĂ© du fauteuil dâEdward, les jambes repliĂ©es et le menton posĂ© sur mes genoux. Je fis comme lui, je veillai cet enfant. Dans le chagrin de la perte dâAbby, il reprĂ©sentait la vie. Au bout de quelques minutes, jâappuyai la tĂȘte contre la jambe dâEdward. De temps Ă autre, sa main se baladait sur mes cheveux. La notion du temps mâĂ©chappa.
Au bout dâune heure peut-ĂȘtre, Edward mâĂ©loigna de lui dĂ©licatement, se leva et mâaida Ă en faire autant en attrapant une de mes mains. Il me fit sortir de la chambre de son fils pour mâaccompagner jusquâĂ celle oĂč mon lit mâattendait. Il sâarrĂȘta sur le seuil de la piĂšce, ma main toujours dans la sienne.
â Essaye de dormir un peu, me dit-il.
â Et toi ?
â Je vais aller mâallonger sur le canapĂ©.
Avant de lĂącher ma main, il sâapprocha et mâembrassa sur la tempe, longuement. Puis il dĂ©vala lâescalier.
Je fermai la porte et me glissai sous la couette. Je mâendormis enroulĂ©e dans ses draps, son parfum.
Je commençais vaguement Ă me rĂ©veiller quand la porte sâouvrit dans un grand fracas.
â Diane ! Tu es revenue ! cria Declan en sautant sur le lit.
Jâeus Ă peine le temps de me redresser quâil se jeta sur moi et sâagrippa Ă mon cou.
â Je suis trop content !
â Moi aussi, champion.
CâĂ©tait la stricte vĂ©ritĂ© ; pas de pointe dâangoisse, pas dâenvie de le rejeter, juste un sentiment de bonheur en le serrant contre moi.
â Comment vas-tu ? lui demandai-je.
â Ăa va⊠Tu viens, on descend. Papa, il tâa fait du cafĂ©.
Il tira sur mon bras.
â Je prends une douche et je vous rejoins.
â Dâaccord !
Il partit en dĂ©livrant mon message Ă tue-tĂȘte Ă son pĂšre. En le voyant courir en pyjama et pieds nus, je me retins de lui demander de mettre des chaussons et un pull.
Vingt minutes plus tard, en entrant dans le sĂ©jour, jâeus un choc : Edward Ă©tait en costume-cravate.
Jâen restai bouche bĂ©e ; lâespace dâun instant, jâoubliai Abby. Lui dâhabitude toujours dĂ©braillĂ©, avec sa chemise mal boutonnĂ©e sortant de son jean, portait un costume gris anthracite comme une seconde peau, une cravate parfaitement nouĂ©e autour du cou. Cela lui donnait encore plus de prestance, si besoin Ă©tait.
Ma tĂȘte devait avoir quelque chose de comique puisquâil finit par rire. Jâavançai difficilement vers lui tandis quâil me versait une tasse de cafĂ©. Je la saisis, bus une gorgĂ©e sans le quitter des yeux. Il continuait Ă sourire en se grattant la barbe.
â Jâai hĂ©sitĂ© Ă me raserâŠ
â Non !
CâĂ©tait sorti comme un cri du cĆur.
â Ce ne serait pas toi, elle nâaurait pas aimĂ©, me repris-je, sachant que je pouvais parler au nom dâAbby.
Je mâĂ©loignai de lui et du sourire en coin quâil affichait, et rejoignis Declan et Postman Pat sur le canapĂ©.
Declan se lova contre moi.
â Tu restes combien de temps Ă la maison ?
â Deux jours.
â Câest tout ?
â Câest mieux que rienâŠ
â Oui, soupira-t-il.