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terme scientifique, parce que, vous savez, dans un journal..., tout le monde peut-être ne comprendrait pas ; il faut que les masses...

– En effet, dit Bovary. Continuez.

– Je reprends, dit le pharmacien. « M. Bovary, un de nos praticiens les plus distingués, a opéré d’un pied-bot le nommé Hippolyte Tautain, garçon d’écurie depuis vingt-cinq ans à l’hôtel du Lion d’or, tenu par madame veuve Lefrançois, sur la place d’Armes. La nouveauté de la tentative et l’intérêt qui s’attachait au sujet avaient attiré un tel concours de population, qu’il y avait véritablement encombrement au seuil de l’établissement. L’opération, du reste, s’est pratiquée comme par enchantement, et à peine si quelques gouttes de sang sont venues sur la peau, comme pour dire que le tendon rebelle venait enfin de céder sous les efforts de l’art. Le malade, chose étrange (nous l’affirmons de visu) n’accusa point de douleur. Son état, jusqu’à présent, ne laisse rien à désirer. Tout porte à croire que la convalescence sera courte ; et qui sait même si, à la prochaine fête villageoise, nous ne verrons pas 366

notre brave Hippolyte figurer dans des danses bachiques, au milieu d’un chœur de joyeux drilles, et ainsi prouver à tous les yeux, par sa verve et ses entrechats, sa complète guérison ?

Honneur donc aux savants généreux ! honneur à ces esprits infatigables qui consacrent leurs veilles à l’amélioration ou bien au soulagement de leur espèce ! Honneur ! trois fois honneur !

N’est-ce pas le cas de s’écrier que les aveugles verront, les sourds entendront et les boiteux marcheront ! Mais ce que le fanatisme autrefois promettait à ses élus, la science maintenant l’accomplit pour tous les hommes ! Nous tiendrons nos lecteurs au courant des phases successives de cette cure si remarquable. »

Ce qui n’empêcha pas que, cinq jours après, la mère Lefrançois arriva tout effarée en s’écriant :

– Au secours ! il se meurt !... j’en perds la tête !

Charles se précipita vers le Lion d’or, et le pharmacien qui l’aperçut passant sur la place, sans chapeau, abandonna la pharmacie. Il parut lui-même, haletant, rouge, inquiet, et demandant 367

à tous ceux qui montaient l’escalier :

– Qu’a donc notre intéressant stréphopode ?

Il se tordait, le stréphopode, dans des convulsions atroces, si bien que le moteur mécanique où était enfermée sa jambe frappait contre la muraille à la défoncer.

Avec beaucoup de précautions, pour ne pas déranger la position du membre, on retira donc la boîte, et l’on vit un spectacle affreux. Les formes du pied disparaissaient dans une telle bouffissure, que la peau tout entière semblait près de se rompre, et elle était couverte d’ecchymoses occasionnées par la fameuse machine. Hippolyte déjà s’était plaint d’en souffrir ; on n’y avait pris garde ; il fallut reconnaître qu’il n’avait pas eu tort complètement ; et on le laissa libre quelques heures. Mais à peine l’œdème eut-il un peu disparu, que les deux savants jugèrent à propos de rétablir le membre dans l’appareil, et en l’y serrant davantage, pour accélérer les choses.

Enfin, trois jours après, Hippolyte n’y pouvant plus tenir, ils retirèrent encore une fois la mécanique, tout en s’étonnant beaucoup du 368

résultat qu’ils aperçurent. Une tuméfaction livide s’étendait sur la jambe, et avec des phlyctènes de place en place, par où suintait un liquide noir.

Cela prenait une tournure sérieuse. Hippolyte commençait à s’ennuyer, et la mère Lefrançois l’installa dans la petite salle, près de la cuisine, pour qu’il eût au moins quelque distraction.

Mais le percepteur, qui tous les jours y dînait, se plaignit avec amertume d’un tel voisinage.

Alors on transporta Hippolyte dans la salle de billard.

Il était là, geignant sous ses grosses couvertures, pâle, la barbe longue, les yeux caves, et, de temps à autre, tournant sa tête en sueur sur le sale oreiller où s’abattaient les mouches. Madame Bovary le venait voir. Elle lui apportait des linges pour ses cataplasmes et le consolait, l’encourageait. Du reste, il ne manquait pas de compagnie, les jours de marché surtout, lorsque les paysans autour de lui poussaient les billes du billard, s’escrimaient avec les queues, fumaient, buvaient, chantaient, braillaient.

– Comment vas-tu ? disaient-ils en lui frappant 369

sur l’épaule. Ah ! tu n’es pas fier, à ce qu’il paraît ! mais c’est ta faute. Il faudrait faire ceci, faire cela.

Et on lui racontait des histoires de gens qui avaient tous été guéris par d’autres remèdes que les siens ; puis, en manière de consolation, ils ajoutaient :

– C’est que tu t’écoutes trop ! lève-toi donc !

tu te dorlotes comme un roi ! Ah ! n’importe, vieux farceur ! tu ne sens pas bon !

La gangrène, en effet, montait de plus en plus.

Bovary en était malade lui-même. Il venait à chaque heure, à tout moment. Hippolyte le regardait avec des yeux pleins d’épouvante et balbutiait en sanglotant :

– Quand est-ce que je serai guéri ?... Ah !

sauvez-moi !... Que je suis malheureux ! que je suis malheureux !

Et le médecin s’en allait, toujours en lui recommandant la diète.

– Ne l’écoute point, mon garçon, reprenait la mère Lefrançois ; ils t’ont déjà bien assez 370

martyrisé ? tu vas t’affaiblir encore. Tiens, avale !

Et elle lui présentait quelque bon bouillon, quelque tranche de gigot, quelque morceau de lard, et parfois des petits verres d’eau-de-vie, qu’il n’avait pas le courage de porter à ses lèvres.

L’abbé Bournisien, apprenant qu’il empirait, fit demander à le voir. Il commença par le plaindre de son mal, tout en déclarant qu’il fallait s’en réjouir, puisque c’était la volonté du Seigneur, et profiter vite de l’occasion pour se réconcilier avec le ciel.

– Car, disait l’ecclésiastique d’un ton paterne, tu négligeais un peu tes devoirs ; on te voyait rarement à l’office divin ; combien y a-t-il d’années que tu ne t’es approché de la sainte table ? Je comprends que tes occupations, que le tourbillon du monde aient pu t’écarter du soin de ton salut. Mais à présent, c’est l’heure d’y réfléchir. Ne désespère pas cependant ; j’ai connu de grands coupables qui, près de comparaître devant Dieu (tu n’en es point encore là, je le sais bien), avaient implorés sa miséricorde, et qui certainement sont morts dans les meilleures 371

dispositions. Espérons que, tout comme eux, tu nous donneras de bons exemples ! Ainsi, par précaution, qui donc t’empêcherait de réciter matin et soir un « Je vous salue, Marie, pleine de grâce », et un « Notre Père, qui êtes aux cieux » ?

Oui, fais cela ! pour moi, pour m’obliger. Qu’est-ce que ça coûte ?... Me le promets-tu ?

Le pauvre diable promit. Le curé revint les jours suivants. Il causait avec l’aubergiste et même racontait des anecdotes entremêlées de plaisanteries, de calembours qu’Hippolyte ne comprenait pas. Puis, dès que la circonstance le permettait, il retombait sur les matières de religion, en prenant une figure convenable.

Son zèle parut réussir ; car bientôt le stréphopode témoigna l’envie d’aller en pèlerinage à Bon-Secours, s’il se guérissait, à quoi M. Bournisien répondit qu’il ne voyait pas d’inconvénient ; deux précautions valaient mieux qu’une. On ne risquait rien.

L’apothicaire s’indigna contre ce qu’il appelait les manœuvres du prêtre ; elles nuisaient, prétendait-il, à la convalescence d’Hippolyte, et il 372

répétait à madame Lefrançois :

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