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– Eh bien ! ils avaient tort, dit Bournisien rĂ©signĂ© Ă  tout entendre.

– Parbleu ! ils en font bien d’autres ! exclama l’apothicaire.

– Monsieur ! ! ! reprit l’ecclĂ©siastique avec des yeux si farouches, que le pharmacien en fut intimidĂ©.

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– Je veux seulement dire, rĂ©pliqua-t-il alors d’un ton moins brutal, que la tolĂ©rance est le plus sĂ»r moyen d’attirer les Ăąmes Ă  la religion.

– C’est vrai ! c’est vrai ! concĂ©da le bonhomme en se rasseyant sur sa chaise.

Mais il n’y resta que deux minutes. Puis, dĂšs qu’il fut parti, M. Homais dit au mĂ©decin :

– VoilĂ  ce qui s’appelle une prise de bec ! Je l’ai roulĂ©, vous avez vu, d’une maniĂšre !... Enfin, croyez-moi, conduisez Madame au spectacle, ne serait-ce que pour faire une fois dans votre vie enrager un de ces corbeaux-lĂ , saprelotte ! Si quelqu’un pouvait me remplacer, je vous accompagnerais moi-mĂȘme. DĂ©pĂȘchez-vous !

Lagardy ne donnera qu’une seule reprĂ©sentation ; il est engagĂ© en Angleterre Ă  des appointements considĂ©rables. C’est, Ă  ce qu’on assure, un fameux lapin ! il roule sur l’or ! il mĂšne avec lui trois maĂźtresses et son cuisinier ! Tous ces grands artistes brĂ»lent la chandelle par les deux bouts ; il leur faut une existence dĂ©vergondĂ©e qui excite un peu l’imagination. Mais ils meurent Ă  l’hĂŽpital, parce qu’ils n’ont pas eu l’esprit, Ă©tant jeunes, de 452

faire des économies. Allons, bon appétit ; à demain !

Cette idĂ©e de spectacle germa vite dans la tĂȘte de Bovary ; car aussitĂŽt il en fit part Ă  sa femme, qui refusa tout d’abord, allĂ©guant la fatigue, le dĂ©rangement, la dĂ©pense ; mais, par

extraordinaire, Charles ne cĂ©da pas, tant il jugeait cette rĂ©crĂ©ation lui devoir ĂȘtre profitable. Il n’y voyait aucun empĂȘchement ; sa mĂšre leur avait expĂ©diĂ© trois cents francs sur lesquels il ne comptait plus, les dettes courantes n’avaient rien d’énorme, et l’échĂ©ance des billets Ă  payer au sieur Lheureux Ă©tait encore si longue, qu’il n’y fallait pas songer. D’ailleurs, imaginant qu’elle y mettait de la dĂ©licatesse, Charles insista davantage ; si bien qu’elle finit, Ă  force d’obsessions, par se dĂ©cider. Et, le lendemain, Ă  huit heures, ils s’emballĂšrent dans l’ Hirondelle.

L’apothicaire, que rien ne retenait à Yonville, mais qui se croyait contraint de n’en pas bouger, soupira en les voyant partir.

– Allons, bon voyage ! leur dit-il, heureux mortels que vous ĂȘtes !

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Puis, s’adressant à Emma, qui portait une robe de soie bleue à quatre falbalas :

– Je vous trouve jolie comme un amour ! Vous allez faire florùs à Rouen.

La diligence descendait Ă  l’hĂŽtel de la Croix-Rouge, sur la place Beauvoisine. C’était une de ces auberges comme il y en a dans tous les faubourgs de province, avec de grandes Ă©curies et de petites chambres Ă  coucher, oĂč l’on voit au milieu de la cour des poules picorant l’avoine sous les cabriolets crottĂ©s des commis voyageurs ; – bons vieux gĂźtes Ă  balcon de bois vermoulu qui craquent au vent dans les nuits d’hiver, continuellement pleins de monde, de vacarme et de mangeaille, dont les tables noires sont poissĂ©es par les glorias, les vitres Ă©paisses jaunies par les mouches, les serviettes humides tachĂ©es par le vin bleu ; et qui, sentant toujours le village, comme des valets de ferme habillĂ©s en bourgeois, ont un cafĂ© sur la rue, et du cĂŽtĂ© de la campagne un jardin Ă  lĂ©gumes.

Charles immédiatement se mit en courses. Il

confondit l’avant-scùne avec les galeries, le 454

parquet avec les loges, demanda des explications, ne les comprit pas, fut renvoyĂ© du contrĂŽleur au directeur, revint Ă  l’auberge, retourna au bureau, et, plusieurs fois ainsi, arpenta toute la longueur de la ville, depuis le thĂ©Ăątre jusqu’au boulevard.

Madame s’acheta un chapeau, des gants, un

bouquet. Monsieur craignait beaucoup de manquer le commencement ; et, sans avoir eu le temps d’avaler un bouillon, ils se prĂ©sentĂšrent devant les portes du thĂ©Ăątre, qui Ă©taient encore fermĂ©es.

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XV

La foule stationnait contre le mur, parquĂ©e symĂ©triquement entre des balustrades. À l’angle des rues voisines, de gigantesques affiches rĂ©pĂ©taient en caractĂšres baroques : « Lucie de Lamermoor... Lagardy... OpĂ©ra... etc. » Il faisait beau ; on avait chaud ; la sueur coulait dans les frisures, tous les mouchoirs tirĂ©s Ă©pongeaient les fronts rouges ; et parfois un vent tiĂšde, qui soufflait de la riviĂšre, agitait mollement la bordure des tentes en coutil suspendues Ă  la porte des estaminets. Un peu plus bas, cependant, on Ă©tait rafraĂźchi par un courant d’air glacial qui sentait le suif, le cuir et l’huile. C’était l’exhalaison de la rue des Charrettes, pleine de grands magasins noirs oĂč l’on roule des barriques.

De peur de paraütre ridicule, Emma voulut, avant d’entrer, faire un tour de promenade sur le 456

port, et Bovary, par prudence, garda les billets à sa main, dans la poche de son pantalon, qu’il appuyait contre son ventre.

Un battement de cƓur la prit dùs le vestibule.

Elle sourit involontairement de vanitĂ©, en voyant la foule qui se prĂ©cipitait Ă  droite par l’autre corridor, tandis qu’elle montait l’escalier des premiĂšres. Elle eut plaisir, comme un enfant, Ă  pousser de son doigt les larges portes tapissĂ©es ; elle aspira de toute sa poitrine l’odeur poussiĂ©reuse des couloirs, et, quand elle fut assise dans sa loge, elle se cambra la taille avec une dĂ©sinvolture de duchesse.

La salle commençait Ă  se remplir, on tirait les lorgnettes de leurs Ă©tuis, et les abonnĂ©s, s’apercevant de loin, se faisaient des salutations.

Ils venaient se dĂ©lasser dans les beaux-arts des inquiĂ©tudes de la vente ; mais, n’oubliant point les affaires, ils causaient encore cotons, trois-six ou indigo. On voyait lĂ  des tĂȘtes de vieux, inexpressives et pacifiques, et qui, blanchĂątres de chevelure et de teint, ressemblaient Ă  des mĂ©dailles d’argent ternies par une vapeur de 457

plomb. Les jeunes beaux se pavanaient au parquet, Ă©talant, dans l’ouverture de leur gilet, leur cravate rose ou vert pomme ; et madame Bovary les admirait d’en haut, appuyant sur des badines Ă  pomme d’or la paume tendue de leurs gants jaunes.

Cependant, les bougies de l’orchestre s’allumĂšrent ; le lustre descendit du plafond, versant, avec le rayonnement de ses facettes, une gaietĂ© subite dans la salle ; puis les musiciens entrĂšrent les uns aprĂšs les autres, et ce fut d’abord un long charivari de basses ronflant, de violons grinçant, de pistons trompettant, de flĂ»tes et de flageolets qui piaulaient. Mais on entendit trois coups sur la scĂšne ; un roulement de timbales commença, les instruments de cuivre plaquĂšrent des accords, et le rideau, se levant, dĂ©couvrit un paysage.

C’était le carrefour d’un bois, avec une fontaine, Ă  gauche, ombragĂ©e par un chĂȘne. Des paysans et des seigneurs, le plaid sur l’épaule, chantaient tous ensemble une chanson de chasse ; puis il survint un capitaine qui invoquait l’ange 458

du mal en levant au ciel ses deux bras ; un autre parut ; ils s’en allùrent, et les chasseurs reprirent.

Elle se retrouvait dans les lectures de sa jeunesse, en plein Walter Scott. Il lui semblait entendre, à travers le brouillard, le son des cornemuses écossaises se répéter sur les bruyÚres.

D’ailleurs, le souvenir du roman facilitant l’intelligence du libretto, elle suivait l’intrigue phrase Ă  phrase, tandis que d’insaisissables pensĂ©es qui lui revenaient, se dispersaient, aussitĂŽt, sous les rafales de la musique. Elle se laissait aller au bercement des mĂ©lodies et se sentait elle-mĂȘme vibrer de tout son ĂȘtre comme si les archets des violons se fussent promenĂ©s sur ses nerfs. Elle n’avait pas assez d’yeux pour contempler les costumes, les dĂ©cors, les personnages, les arbres peints qui tremblaient quand on marchait, et les toques de velours, les manteaux, les Ă©pĂ©es, toutes ces imaginations qui s’agitaient dans l’harmonie comme dans l’atmosphĂšre d’un autre monde. Mais une jeune femme s’avança en jetant une bourse Ă  un Ă©cuyer vert. Elle resta seule, et alors on entendit une flĂ»te qui faisait comme un murmure de fontaine 459

ou comme des gazouillements d’oiseau. Lucie entama d’un air brave sa cavatine en sol majeur ; elle se plaignait d’amour, elle demandait des ailes. Emma, de mĂȘme, aurait voulu, fuyant la vie, s’envoler dans une Ă©treinte. Tout Ă  coup, Edgar Lagardy parut.

Il avait une de ces pĂąleurs splendides qui donnent quelque chose de la majestĂ© des marbres aux races ardentes du Midi. Sa taille vigoureuse Ă©tait prise dans un pourpoint de couleur brune ; un petit poignard ciselĂ© lui battait sur la cuisse gauche, et il roulait des regards langoureusement en dĂ©couvrant ses dents blanches. On disait qu’une princesse polonaise, l’écoutant un soir chanter sur la plage de Biarritz, oĂč il radoubait des chaloupes, en Ă©tait devenue amoureuse. Elle s’était ruinĂ©e Ă  cause de lui. Il l’avait plantĂ©e lĂ  pour d’autres femmes, et cette cĂ©lĂ©britĂ© sentimentale ne laissait pas que de servir Ă  sa rĂ©putation artistique. Le cabotin diplomate avait mĂȘme soin de faire toujours glisser dans les rĂ©clames une phrase poĂ©tique sur la fascination de sa personne et la sensibilitĂ© de son Ăąme. Un bel organe, un imperturbable aplomb, plus de 460

tempĂ©rament que d’intelligence et plus d’emphase que de lyrisme, achevaient de rehausser cette admirable nature de charlatan, oĂč il y avait du coiffeur et du torĂ©ador.

DĂšs la premiĂšre scĂšne, il enthousiasma. Il pressait Lucie dans ses bras, il la quittait, il revenait, il semblait dĂ©sespĂ©rĂ© : il avait des Ă©clats de colĂšre, puis des rĂąles Ă©lĂ©giaques d’une douceur infinie, et les notes s’échappaient de son cou nu, pleines de sanglots et de baisers. Emma se penchait pour le voir, Ă©gratignant avec ses ongles le velours de sa loge. Elle s’emplissait le cƓur de ces lamentations mĂ©lodieuses qui se traĂźnaient Ă  l’accompagnement des contrebasses, comme des cris de naufragĂ©s dans le tumulte d’une tempĂȘte.

Elle reconnaissait tous les enivrements et les angoisses dont elle avait manquĂ© mourir. La voix de la chanteuse ne lui semblait ĂȘtre que le retentissement de sa conscience, et cette illusion qui la charmait quelque chose mĂȘme de sa vie.

Mais personne sur la terre ne l’avait aimĂ©e d’un pareil amour. Il ne pleurait pas comme Edgar, le dernier soir, au clair de lune, lorsqu’ils se disaient : « À demain ; Ă  demain !... » La salle 461

craquait sous les bravos ; on recommença la strette entiĂšre ; les amoureux parlaient des fleurs de leur tombe, de serments, d’exil, de fatalitĂ©, d’espĂ©rances, et quand ils poussĂšrent l’adieu final, Emma jeta un cri aigu, qui se confondit avec la vibration des derniers accords.

– Pourquoi donc, demanda Bovary, ce

seigneur est-il à la persécuter ?

– Mais non, rĂ©pondit-elle ; c’est son amant.

– Pourtant il jure de se venger sur sa famille, tandis que l’autre, celui qui est venu tout Ă  l’heure, disait : « J’aime Lucie et je m’en crois aimĂ©. » D’ailleurs, il est parti avec son pĂšre, bras dessus, bras dessous. Car c’est bien son pĂšre, n’est-ce pas, le petit laid qui porte une plume de coq Ă  son chapeau ?

MalgrĂ© les explications d’Emma, dĂšs le duo

Are sens